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Vers des avions… sans pilote

05 janvier 2022 - Source : BLOGUE

 

Le jet d’affaires Falcon 10X du fabricant français Dassault fait partie des nombreux nouveaux modèles à incorporer des écrans tactiles dans son cockpit. La livraison de ses premiers avions est prévue pour 2025. (Photo : Dassault Aviation)


Dans son laboratoire à Polytechnique Montréal, Philippe Doyon-Poulin et son équipe aménagent les cockpits de demain : des habitacles tapissés d’écrans où le pilote se transforme progressivement d’un conducteur... à un surveillant.

Aux débuts de l’aviation civile, le poste de pilotage des grands transporteurs pouvait contenir jusqu’à cinq membres d’équipage, chacun remplissant un rôle bien précis pour assurer la navigation, le pilotage, la surveillance du carburant, la communication et la sécurité des passagers durant le vol.

Puis, ce nombre a diminué avec l’amélioration technologique des aéronefs. De cinq, on est passé à quatre, puis à trois membres de l’équipage travaillant dans le cockpit. Depuis les années 1980, les avions sont désormais certifiés en considérant que deux pilotes suffisent pour accomplir toutes les tâches de vol et assurer la sûreté des passagers. Cette certification implique que si l’un d’eux perdait connaissance ou avait un malaise en plein vol, le second pilote serait capable de faire atterrir seul l’appareil sans danger.

Spécialiste de l’ergonomie des cockpits et professeur adjoint au Département de mathématiques et de génie industriel à Polytechnique Montréal, Philippe Doyon-Poulin, lui, voit déjà plus loin.

« La cible, maintenant, c’est de certifier les avions pour un seul pilote », affirme-t-il. « Pour cela, il faudrait donc que ces avions soient capables de voler sans pilote. »

De pilote à surveillant

PPhilippe Doyon-Poulin (Photo : Polytechnique Montréal)

Je vous rassure tout de suite. Des pilotes postés au sol contrôlent déjà des drones militaires, mais le jour où ils prendront les commandes d’un vol commercial n’est pas pour demain.

Si cette possibilité est maintenant évoquée, c’est plutôt parce que la cabine de pilotage des avions a adopté le virage numérique comme tant d’outils qui nous entourent. L’habitacle, autrefois tapissé de boutons et de commandes manuelles, accueille progressivement des écrans tactiles qui servent à une partie des opérations de pilotage.

« La tâche du pilote est en train de changer », confie le professeur Doyon-Poulin. « Plutôt qu’un conducteur, le pilote devient de plus en plus un surveillant de systèmes automatisés qui doit pouvoir intervenir rapidement lorsqu’il y a un problème. »

Pareille transformation du poste de pilotage force les ingénieurs à repenser leur aménagement. Une transformation qui vient avec plusieurs questions. Peut-on interagir avec ces outils de façon sécuritaire? Quelles commandes doivent demeurer sous contrôle mécanique ou électrique? Que se passe-t-il si un écran flanche ou si l’avion traverse des zones de turbulence?

Le groupe de recherche du professeur Doyon-Poulin tente d’apporter des réponses à une partie de celles-ci en s’assurant que la nouvelle interface de travail des pilotes demeure sécuritaire tout en étant facile d’utilisation pour eux. Formé en ingénierie cognitive et en ergonomie, il a fait ses classes dans le secteur aéronautique pour Bombardier en partageant l’espace d’un simulateur de vol avec de vrais pilotes pendant plus de 700 heures durant les tests de certification. En plus d’évaluer le niveau de concentration des pilotes à différentes étapes d’un vol, il s’assurait que les écrans mis à leur disposition étaient faciles d’utilisation et prévenaient le risque d’erreur humaine.

« Je suis devenu bon dans mon métier lorsque j’ai compris comment les pilotes réfléchissent et utilisent le cockpit dans des scénarios de vol compliqués », confie-t-il. « J’ai beaucoup appris en les observant et les questionnant durant mon temps en simulateur. Ce sont les moments les plus riches en informations que nous pouvons avoir dans ma discipline. C’est d’ailleurs ce que je dis souvent à mes étudiants. Aller sur le terrain pour observer les opérateurs réaliser leur travail permet d'accumuler une foule d’informations qu'on n'aurait jamais appris en se contentant de lire les documents de spécification technique. »

RENCONTRE DE L'INGÉNIERIE... ET de l'ergonomie

Voyez comment Pr Doyon-Poulin et Adam Schachner ont évalué la meilleure façon de permettre aux pilotes d’interagir avec des écrans tactiles. (Crédit : YouTube et Adam Schachner)

Comme le rapportait le magazine Poly dans son édition d’août dernier, le groupe de recherche du professeur Doyon-Poulin a notamment évalué différents moyens par lesquels un pilote pouvait interagir avec des écrans tactiles dans un cockpit fait maison et capable de simuler des turbulences.

Est-il plus simple de transmettre des commandes en étirant le bras pour toucher l’écran du doigt ou devrait-on plutôt privilégier un clavier ou une boule de commande (trackball) à utiliser plus près du corps? La question peut sembler anodine, mais on ne lésine pas avec la sécurité d’un avion qui traverserait une zone de turbulence. « Faire une erreur dans un texto, ce n’est pas si grave, mais quand il s’agit de coordonnées de navigation, c’est une autre affaire », souligne d’ailleurs le principal intéressé.

Aux contraintes de sécurité et de facilité d’utilisation s’ajoute celle de l’espace disponible à bord. « L’espace est une denrée rare dans le poste de pilotage », explique Philippe Doyon-Poulin, « alors nous cherchons toutes les façons de maximiser son utilisation tout en permettant au pilote d’avoir accès au maximum d’informations. »

Et quel est le verdict du projet piloté par son étudiant à la maîtrise Adam Schachner? Les pilotes sont deux fois plus rapides lorsqu’ils interagissent directement avec l’écran plutôt qu’avec un curseur, mais le taux d’erreur s’avère aussi plus élevé, de l’ordre de 10-15 %. Sans trop de surprise, ce taux d’erreur explose de 30 % à 40 % durant les périodes de vibration lorsque les cibles à sélectionner à l’écran sont petites (environ 8 millimètres de diamètre, soit la plus petite taille des objets présentés aux pilotes). Pensez à ces publicités qui apparaissent sur vos écrans cellulaires et que vous tentez de faire disparaitre en sélectionnant un X minuscule. Le défi rencontré par les pilotes se compare assurément.

Du cockpit à l'usine

Une fois terminée, cette nouvelle interface utilisateur d’un simulateur d’usine chimique facilitera la prise de décision d’un opérateur en proposant une piste de solution basée sur de l’IA lors d’une inondation d’alarmes. (Photo : Karine Ung)

Aménager le cockpit des avions de demain ne constitue pas le seul intérêt des membres de l’équipe du Département de mathématiques et de génie industriel de Polytechnique Montréal.

« Notre objectif avant tout, c’est de faciliter la prise de décision critique dans des environnements complexes, que l’opérateur soit un pilote d’avion, un opérateur d’usine ou le personnel médical », précise le professeur Doyon-Poulin.

Au chapitre des projets qu’il supervise, il y a d’ailleurs celui de la doctorante Karine Ung qui travaille également sous la codirection de Moncef Chioua, professeur adjoint au Département de génie chimique.

Leur objectif : adapter le simulateur d’une usine chimique pour qu’il propose une piste de solution à l’opérateur humain lorsque plusieurs alarmes se déclenchent en même temps, un phénomène qu’on décrit comme une « inondation d’alarmes ».

Comme dans un avion, les alarmes se déclenchent lorsqu’une mesure atteint un niveau à ne pas dépasser, ou lorsqu’il y a défaillance d’un capteur. Selon Philippe Poulin-Doyon, plusieurs signaux d’alarme apparaissent souvent en même temps. Un exemple? La perte de l’alimentation électrique. Celle-ci déclenche une alarme en lien direct avec la perte électrique, soit la cause du problème, mais aussi une panoplie d’alarmes associées aux équipements qui ont perdu leur alimentation électrique et qui se retrouvent désormais inopérants. Pareille situation peut conduire à une surcharge cognitive de l’opérateur.

« Ça devient très difficile pour l’opérateur d’identifier la cause du problème », affirme-t-il. « En aviation, s’il y a 15 alarmes, le pilote doit alors réaliser 15 procédures une après l’autre, alors que le problème peut avoir une seule source. La situation est la même dans le domaine chimique, d’où l’intérêt de ce projet. »

Le groupe souhaite faciliter l’aide à la décision en suggérant à l’opérateur la cause la plus probable du problème à partir des nombreuses alarmes présentes, de façon à régler le problème le plus rapidement possible. Un outil d’aide au diagnostic, basé sur un algorithme d’intelligence artificielle, viendra guider l’opérateur pour accélérer la remise en état de l’usine virtuelle.


En savoir plus

Fiche d'expertise du professeur Philippe Doyon-Poulin
Fiche d'expertise du professeur Moncef Chioua
Site du Département de mathématiques et de génie industriel
Site du Département de génie chimique

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