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Ingénieurs en génie chimique: des héros obscurs de la pandémie (partie 1)

17 août 2021 - Source : BLOGUE

 

Les bioréacteurs tout neufs du Pr Olivier Henry ont rapidement été mis à la tâche pour produire des milliards d’exemplaires de la protéine S du virus causant la COVID-19. (Photo : Martin Primeau)


Dans les bioréacteurs de son laboratoire du pavillon J.-Armand Bombardier (JAB), l’équipe du Pr Olivier Henry produit des milliards de copies d’une protéine devenue célèbre avec la pandémie : la fameuse protéine S du SARS-CoV-2, le virus derrière la COVID-19. Voici le premier de deux textes qui rappellent que des ingénieurs spécialisés en génie chimique se sont retrouvés au cœur de la lutte à la COVID-19.


Au début de l’année 2020, on n’avait pas idée des deux années folles qui allaient se présenter à nous. À Wuhan, en Chine, les autorités viennent tout juste de rapporter plusieurs cas d’une pneumonie atypique qui s’avère mortelle. Quelques jours plus tard, on en identifie la cause : un nouveau type de coronavirus qui prend le nom de SARS-CoV-2.

S’enclenche alors un branle-bas de combat dans la communauté scientifique.

Le 10 janvier 2020, le Chinese Center for Disease Control and Prevention publie la séquence génétique du virus. Un peu partout sur la planète, des entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques s’intéressent au problème.

Grâce aux données colligées par le passé sur les autres coronavirus, on identifie rapidement la protéine qui deviendra la cible de tous les vaccins : la protéine S. C’est elle d’ailleurs qui permet au virus de s’attacher aux cellules humaines pour les infecter.

Fin février, un premier cas est confirmé au Québec. À ce moment, on teste déjà en différents endroits sur la planète les premiers candidats vaccins. Reste maintenant franchir le stade des études cliniques. Les données seront transmises à chaque jalon aux autorités sanitaires des différentes juridictions.

Le 11 décembre 2020, c’est la consécration. La Food and Drug Administration (FDA), figure d’autorité en matière d’homologation de produits de santé aux États-Unis, donne son aval à l’administration d’un premier vaccin chez l’humain, celui des entreprises Pfizer et BioNTech. Une première non seulement pour un vaccin contre la COVID-19, mais aussi pour un vaccin à ARN messager (ARNm) tout court.
 

Coup d'oeil sur... Les vaccins à arn messagers

Les vaccins contre la COVID-19 permettent aux cellules immunitaires de cibler la protéine S (en rouge) à la surface des virus. Ces cellules éliminent ensuite les particules virales de l'organisme.(Photo :AustroHungarian1867, sous licence CC BY-SA 4.0)

La pandémie aura permis à la plupart d’entre nous de faire connaissance avec les vaccins à ARNm et à ADN, deux approches qui se démarquent de la façon traditionnelle avec laquelle on fabriquait les vaccins jusqu’ici.

Au lieu d’injecter directement chez l’hôte des fragments de protéines ou des protéines complètes, on lui administre plutôt une séquence codante qui permet aux cellules de fabriquer elles-mêmes ces protéines. Dans le cas des vaccins à ARNm et à ADN, cette séquence correspond grosso modo à celle d’une section de la protéine S.

Pour produire chacune de ses propres protéines, une cellule mise sur une séquence précise comprise dans l’ADN de son noyau. Cette séquence est lue, puis traduite en ARNm qui contient également l’information. Ce dernier se déplace à l’extérieur du noyau où un outil cellulaire appelé « ribosome » lit à son tour la séquence afin d’utiliser cette information pour fabriquer la protéine.

Les vaccins à ARNm et à ADN emploient la même stratégie. Les premiers sont encapsulés dans des liposomes, sortes de bulles de lipides qui protègent l’ARNm avant de fusionner avec les cellules pour relâcher leur contenu.

Dans le cas des vaccins à ADN, c’est plus complexe. Pour les concevoir, on cultive dans un bioréacteur des cellules de mammifère qui produisent des adénovirus à l’intérieur desquels se trouve la séquence d’ADN codant pour la protéine S. Ces adénovirus sont ensuite purifiés et rendus inoffensifs. Une fois injectés dans le corps,  ils transmettent tout simplement leur ADN aux cellules de l’hôte, ce qui permet à celles-ci de fabriquer les protéines qui stimuleront le système immunitaire.


Contribuer à l'effort de guerre

Pr Olivier Henry (Photo : Polytechnique Montréal)

Dans un futur texte du Labo 2500, une diplômée en génie chimique de Polytechnique Montréal aujourd’hui basée à Paris nous dévoilera comment elle a contribué à la production de milliers de doses de vaccin à ARN.

Mais d’ici là, déplaçons-nous au pavillon JAB de Polytechnique Montréal. Dans son laboratoire, le professeur en génie chimique Olivier Henry vient d’assembler une plateforme de quatre petits bioréacteurs pouvant contenir chacun jusqu’à 1 litre de milieu de culture.

L’équipe du Pr Henry les utilisera au cours des prochains mois pour optimiser la production de biothérapeuthiques (médicaments biologiques ou biosimilaires) ou de protéines ayant un intérêt pour la recherche.

La première mission des bioréacteurs appartient à cette dernière catégorie : ils devront servir au développement et à la mise en place d’un procédé à grande échelle capable de produire des quantités importantes de la protéine S, pour appuyer le développement de vaccins et de tests diagnostiques. Un projet piloté par une équipe du Conseil national de recherches du Canada (CNRC) auquel collabore le Pr Henry dans le cadre du programme Défi en réponse à la pandémie.

Spécialisé en bioprocédés, Pr Henry cherche d’abord à optimiser les conditions de culture des cellules qui produisent la protéine d’intérêt. Un travail qui est différent à chaque occasion, selon la nature du produit (vaccin, anticorps, etc.).

« Le défi pour nous, c’est d’identifier les conditions propices et de les maintenir les plus homogènes possible, quelle que soit l’échelle de production », explique-t-il. Température, pH, nutriments, concentrations d’oxygène et de gaz carbonique dissous, vitesse de mélange, etc. : voilà seulement quelques-uns des paramètres qui doivent être ajustés pour optimiser la productivité des cellules, mais aussi la fonctionnalité et la stabilité des protéines qu’elles fabriquent.

« Il y a du savoir-faire, mais aussi un peu d’art », admet le professeur en génie chimique, soulignant que les résultats varient parfois pour des raisons encore incomprises du fait de la complexité des systèmes biologiques.

Pareil travail est important, puisque les conditions identifiées à petite échelle sont pour la plupart transposées aux bioréacteurs de plus grande capacité. « Chaque petit gain qu’on va chercher pour optimiser la production permet de réduire les coûts et d’accélérer considérablement la production », ajoute-t-il.

Pareille stratégie sert par exemple à fabriquer des anticorps thérapeutiques… et même des virus servant de vaccin. C’est d’ailleurs dans des bioréacteurs similaires – quoique beaucoup plus volumineux – que les vaccins à ADN comme ceux produits par AstraZeneca et Johnson & Johnson sont fabriqués.
 

quel avenir pour...  les vaccins à ARN messager et à ADN

Le site de fabrication de BioNTech à Marburg, en Allemagne, est l'un de ceux où on fabrique un vaccin à ARNm contre la COVID-19. (Photo : BioNTech)

Alors, est-ce que le succès des vaccins à ARNm et ADN sonne le glas des autres techniques de fabrication de vaccins? Pas nécessairement, selon Pr Henry.

Les vaccins à ARNm comme ceux de Moderna et de Pfizer peuvent être fabriqués rapidement, mais coûtent entre 25 et 40 dollars la dose. Pour un vaccin à ADN, on parle plutôt de 3 à 4 dollars pour l’AstraZeneca, et de 10 dollars pour le Johnson & Johnson.

Dans le cas du vaccin contre la grippe (influenza), l’approche couramment utilisée qui mise sur la prolifération, puis l’inactivation d’un virus multiplié dans les œufs pourrait donc garder sa place, selon lui, en raison de ses faibles coûts de production, mais aussi parce que la stratégie a été éprouvée à maintes reprises.

« Pour la grippe saisonnière, cela reste une approche fiable », dit-il. « Mais en cas de pandémie, les deux autres stratégies ont démontré une flexibilité qui permet de réagir beaucoup plus vite. Chaque approche a ses avantages et ses inconvénients. »


En savoir plus

Outil dynamique préparé par Radio-Canada pour expliquer comment fonctionnent les différents types de vaccins contre le virus de la COVID-19
Fiche d'expertise du professeur Olivier Henry
Site du Département de génie chimique

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