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Inventer la 6G

18 janvier 2022 - Source : BLOGUE

 


La petite taille des antennes mobiles de la téléphonie 5G a facilité leur intégration aux circuits électroniques, comme ici sur ce circuit formateur de faisceaux à ondes millimétriques. Les antennes 6G seront encore plus petites. (Photo : Mohammad Sharawi)


Pendant que la cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile (5G) se déploie dans nos villes, des ingénieurs travaillent sur la technologie qui lui succèdera, la « 6G ». Mohammad Sharawi, professeur agrégé au Département de génie électrique, fait partie du lot. Avec son équipe, il développe et teste la prochaine gamme d’antennes. Des antennes aussi grandes que le bout de quelques cheveux!

Au cours des 40 dernières années, les antennes de nos appareils cellulaires ont progressivement rapetissé. Les premiers exemplaires, qui pouvaient arborer une antenne longue de 30 centimètres, ont cédé leur place à des appareils aux antennes courtes. Aujourd’hui, elles sont même imperceptibles, dissimulées derrière l’écran des téléphones intelligents, en bordure.

N’allez pas croire qu’il y a une raison esthétique derrière ce rétrécissement. Si on fabrique aujourd’hui des antennes plus petites, c’est avant tout pour qu’elles soient capables de capter et d’émettre des ondes à des fréquences plus élevées. La raison est physique donc, et on y reviendra plus tard.

Des antennes microscopiques

La technologie 6G s’appuiera sur l’échange de données à des fréquences de 0,1 à 10 THz, dans une région du spectre électromagnétique proche du visible, dans l’infrarouge lointain.

Chaque nouvelle génération de téléphonie mobile vient avec sa nouvelle gamme de fréquences, toujours plus élevée que la précédente. Au tournant de 1990, les antennes devaient capter des ondes avoisinant les 900 mégahertz (MHz). Aujourd’hui avec la 5G, elles ciblent des fréquences allant de 10 à 50 gigahertz (GHz), soit 10 000 à 50 000 MHz, dans la région du spectre électromagnétique correspondant aux ondes courtes.

Et ça n’a pas fini de grimper.

Dans son laboratoire de Polytechnique Montréal, le professeur Mohammad Sharawi développe la prochaine génération d’antennes. Des antennes qui ciblent des fréquences de 0,1 à 0,3 térahertz (THz), soit 100 000 à 300 000 MHz.

Pourquoi s’attaquer à ces fréquences d’un autre ordre de grandeur? « Tout simplement parce qu’elles permettent de pousser beaucoup plus de données, plus rapidement », explique le professeur Sharawi.

Pr Mohammad Sharawi (Photo : Polytechnique Montréal)

Jusqu’ici, toutes les technologies cellulaires ont exploité des fréquences localisées dans une mince bande du spectre électromagnétique, localisée entre celle des ondes radio, et celle des micro-ondes. En ciblant les fréquences de l’ordre du térahertz, dans une région du spectre correspondant à l’infrarouge lointain, on se rapproche un peu plus des ondes lumineuses et des capacités de transmission de la fibre optique.

« À ces fréquences, on devrait atteindre des vitesses de transmission de l’ordre du téraoctet par seconde », souligne le spécialiste. « On ouvrira la porte à de nouvelles applications en plus d’améliorer celles qui s’appuient sur la 5G et qui nécessitent d’échanger des données instantanément. »

Parmi elles, l’ingénieur mentionne d’entrée de jeu la technologie des véhicules autonomes qui s’appuie largement sur l’échange de données. « Des vitesses de transmission plus élevées permettront aussi de réaliser des opérations chirurgicales à distance, ou même de piloter un avion », ajoute-t-il. « L’important, c’est de réduire au maximum la latence. »

Selon lui, les antennes de cette génération seront si petites qu’elles pourront être incorporées à des circuits intégrés ou puces électroniques. De nouvelles façons d’utiliser les antennes seront assurément envisagées, ajoute-t-il. « Elles seront si petites qu’on pourrait les intégrer par exemple au verre des fenêtres pour faciliter l’échange de données entrant et sortant des édifices. »
 

Le B.a.-ba... de la conception d'antennes

La taille des antennes est inversement proportionnelle à la gamme de fréquences qu’elles ciblent. Dans cette capsule vidéo (en anglais), on explique les principes physiques derrière cette nécessité. (Crédit : Lesics et YouTube)

L’antenne de nos téléphones cellulaires joue le double rôle d’émetteur et de récepteur. Lorsqu’elle émet des données, une antenne convertit un signal électrique du téléphone en ondes électromagnétiques. Lors de la réception de données, l’inverse se produit.

Avant qu’arrivent la 4G et la 5G, les antennes représentaient l’une des plus grosses composantes de nos appareils mobiles. Désormais, celles-ci tiennent sur le bout du doigt. Pourquoi? Parce que pour fonctionner de façon optimale, une antenne doit avoir une taille inversement proportionnelle à la fréquence qu’elle cible : plus on s’attaque à des fréquences élevées, plus l’antenne devra être courte pour capter et émettre des ondes à cette fréquence.

En vrai, le facteur considéré est celui de la longueur d’onde, c’est-à-dire la distance entre chacune des crêtes d’une onde, une variable inversement proportionnelle à la fréquence. Pour qu’une antenne fonctionne de façon optimale, sa taille doit être deux fois plus petite que celle de la longueur d’onde qu’elle cible.

Par exemple, les ondes de 900 MHz utilisées par les appareils de la deuxième génération ont une longueur d’onde de 33,3 centimètres (cm). Les antennes de ces appareils devaient donc faire un peu plus de 15 cm. La longueur d’onde d’une fréquence de 30 GHz fait pour sa part 1 centimètre. Les antennes de 5G doivent donc faire environ… 0,5 cm de longueur.

FABRICATION ADDITIVE ET optique

La chambre anéchoïque du Poly-Gram permet de tester les antennes sans interférences en provenance de l’environnement de Polytechnique Montréal. (Photo : Poly-Grames)

Alors, pour des antennes de 6G qui ciblent environ 0,3 THz, quelle taille d’antenne sera requise? La réponse : largement moins d’un millimètre. Environ 0,5 millimètre en fait, soit 450 micromètres. C’est la largeur de six cheveux!

Et comme on souhaite éventuellement atteindre des fréquences de 0,3 THz, certaines antennes pourraient même être plus petites…

« C’est vraiment minuscule », admet Mohammad Sharawi, sans toutefois se décourager. Son équipe mise sur les mêmes approches utilisées en microélectronique pour fabriquer des pièces de cette dimension, couche par couche. Il collabore à cet effet avec le Groupe de recherche en physique et technologie des couches minces (GCM) et profite de sa salle blanche, située au pavillon J-Armand Bombardier. Il développe aussi de nouvelles façons d’assembler des antennes intégrées multifonctionnelles et encapsulées par fabrication additive avec le Laboratoire de mécanique multi-échelles (LM2).

« Le défi, c’est de bien équilibrer les fonctions de transmission et de réception », ajoute-t-il. « À cette taille, n’importe quoi peut venir perturber leur fonctionnement. »

Le défi est d’autant plus important que ces ondes appartiennent au groupe de l’infrarouge lointain, des ondes qui se comportent comme des particules lumineuses. « Ça nous force à travailler avec une approche multidisciplinaire », confie le professeur Sharawi. Il faut jumeler nos connaissances en technologie des fréquences radio à de celles de la photonique. »

Depuis 2019, son groupe a déposé sept demandes de brevet en lien avec le développement de ces futures antennes ou qui proposent des façons originales de les tester. Reste que bien du travail sera encore nécessaire selon lui. « Cette technologie est encore loin d’être mature. »


En savoir plus

Fiche d'expertise du professeur Mohammad Sharawi
Site web du Département de génie électrique
Site web du laboratoire Poly-Grames
Site web du Groupe de recherche en physique et technologie des couches minces (GCM)
Site web du Laboratoire de mécanique multi-échelles (LM2)

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