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L’ère des térahertz, c’est pour bientôt!

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Par Catherine Florès
11 juin 2019 - Source : Magazine Poly  | VersionPDFdisponible (Printemps 2019)

Dans le laboratoire de la Chaire de recherche du Canada en photonique térahertz omniprésente dirigée par le Pr Maksim Skorobogatiy, de nombreux projets donnent un élan à l’exploitation des ondes térahertz (THz). Celle-ci permettrait le développement de nouvelles technologies en imagerie, ainsi qu’une solution à la saturation des réseaux de télécommunications soumis à la demande grandissante de contenus gourmands en bande passante.

Pr Maksim Skorobogatyi
Le Pr Maksim Skorobogatiy, titulaire de Chaire de recherche du Canada en photonique térahertz omniprésente

Des ondes polyvalentes mais encore discrètes

Les ondes THz ont tout pour devenir des « superstars » de l’électromagnétisme : leur pouvoir de pénétration leur permet de traverser à peu près tous les matériaux non métalliques (béton, brique, carton, papier, tissu, plastique, etc.) et de caractériser des composants solides, liquides ou gazeux. Situées entre le spectre de l’infrarouge et celui des micro-ondes, elles possèdent des propriétés proches à la fois de la lumière et des ondes radio. De ce fait, elles peuvent se réfléchir sur des surfaces comme les miroirs, être focalisées par des lentilles, être détectées par leur champ magnétique, ou encore être émises par des antennes. De plus, leur longueur d’onde, qui mesure entre une trentaine de micromètres et trois millimètres environ, est suffisamment petite pour obtenir une résolution spatiale satisfaisante (autrement dit, la capacité à distinguer les détails). Enfin, ces rayonnements sont non ionisants, donc a priori sans danger pour les organismes vivants.

On se représente donc sans peine l’énorme potentiel d’applications industrielles promis à des technologies THz : communications sans fil, sécurité, imagerie médicale, etc. Cependant, les systèmes THz demeurent pour l’instant relativement peu employés en industrie. « Le transfert vers l’industrie est freiné par deux obstacles majeurs : des sources d’ondes THz puissantes et peu coûteuses ne sont pas encore disponibles sur le marché, et l’absence de systèmes de détection – comme des caméras – suffisamment sensibles pour réagir aux THz », explique le Pr Maksim Skorobogatiy.

Celui-ci développe des solutions visant à combler ce fossé technologique dans les deux grands axes de développement de technologies THz explorés par sa chaire : l’imagerie en temps réel et les communications sans fil. Ses contributions reconnues dans le domaine lui ont d’ailleurs valu d’être récemment invité à publier un état de l’art de la recherche dans la prestigieuse revue Advances in Optics and Photonics éditée par l’Optical Society of America.

Imagerie à haute résolution en temps réel

« En imagerie THz, la non-disponibilité de caméras suffisamment sensibles aux ondes THz pose un problème important : le temps d’acquisition d’une image est très long », rapporte le Pr Skorobogatiy. « Les détecteurs les plus sensibles existants sont à pixel unique. Ainsi, pour obtenir l’image d’un objet, il faut habituellement déplacer cet objet point par point pour reconstituer l’image pixel par pixel. »

Cette méthode, qui prend un temps énorme, ne peut en outre s’appliquer à tous les types d’objets. Mais grâce à des travaux de l’équipe du Pr Skorobogatiy, il existe désormais une parade : cette équipe a mis au point un procédé de reconstruction d’images à partir d’un nombre très limité de pixels, en employant des outils peu coûteux couramment utilisés dans les laboratoires : une lentille et un système de spectroscopie THz dans le domaine temporel.

« Grâce à un algorithme que nous avons développé, nous pouvons mesurer le spectre et la trajectoire d’un signal envoyé pour quelques pixels et reconstituer en quelques fractions de seconde la quasi-totalité de l’image d’un objet, avec une haute résolution », mentionne le chercheur.

Reconstruction d'une image par imagerie THz

Les THz : l’avenir des réseaux sans fil à très haut débit ?

La saturation du spectre des ondes électromagnétiques face à l’explosion du trafic de données haut débit rend très séduisante l’idée de pouvoir utiliser la gamme de fréquences THz dans les télécommunications sans fil. Faire passer la fréquence porteuse, qui est le support de l’information, vers les THz permettrait de lui faire soutenir des débits supérieurs à 100 GHz.

Avec son équipe, le Pr Skorobogatiy développe des systèmes de communication sans fil dans les térahertz à haute performance en utilisant des composantes provenant des technologies infrarouges et micro-ondes déjà bien développées.

« Le procédé consiste à coupler deux lasers, dont l’un transporte des données modulées en intensité grâce à un modulateur optoélectronique, et à les envoyer sur un système qui détecte et démodule le flux de données, tout en amplifiant le signal optique. De cette façon, on peut augmenter significativement le débit de transmission de l’information sans perdre en qualité du signal. Avec ce procédé, nous avons par exemple obtenu la diffusion en direct en continu de vidéos HD et 4K non compressées », précise Maksim Skorobogatiy, qui développe également des composantes passives telles que des guides d’ondes térahertz.

Une autre préoccupation de l’équipe du chercheur concerne les pertes d’absorption dans la plupart des composants diélectriques aux fréquences THz. Hichem Guerboukha, étudiant au doctorat, mène un projet prometteur visant à pallier ce phénomène grâce à l’utilisation de métamatériaux poreux pour les composants optiques.

Hichem Guerboukha

« Nous avons fabriqué des composants optiques en polymère de Plexiglas, dont nous avons très précisément contrôlé la position et la grandeur des pores, c’est-à-dire des trous micrométriques, explique-t-il. Ces composants ont été aisément fabriqués au PolyFab par gravure au laser et leur coût est donc minime. L’usage de ces composants permet de décupler la quantité d’information transportée par l’onde térahertz en ajoutant une couche de multiplexage. Nous avons montré que ces composants poreux présentent significativement moins de pertes d’absorption que des composants conventionnels tels que des lentilles convexes. Ils ouvrent ainsi la porte à la fabrication de composants optiques aux fonctionnalités nouvelles. »

Ce procédé pourrait trouver des applications dans les dispositifs de communication avancés (6G). L’article publié par Hichem Guerboukha sur cette avancée a paru dans la prestigieuse revue scientifique Advanced Optical Materials (Wiley). De plus, il est arrivé finaliste au concours des meilleurs articles de la conférence internationale iWAT 2019 de l’Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE).

Promesse d’un nouveau souffle pour l’industrie

Cette conquête des ondes THz menée par l’équipe de la Chaire de recherche du Canada en photonique térahertz omniprésente avec des procédés à faible coût écourte l’attente du milieu industriel envers de nouvelles technologies d’imagerie et de télécommunications très puissantes.

« Par exemple, des technologies issues de nos travaux pourraient fournir aux manufacturiers, ou encore aux services douaniers, des systèmes de contrôle de qualité qui permettront de vérifier des produits de façon instantanée, sans ouvrir leur emballage. Dans le secteur médical, on pourrait voir entre autres l’arrivée d’appareils d’imagerie à très haute résolution facilitant le diagnostic de maladies, ou la détection de certaines molécules dans des milieux biologiques. L’exploitation des technologies THz dans le secteur des télécommunications rend plus proches la 5G et même la 6G. Mon équipe et moi sommes heureux de contribuer à l’avènement d’une ère nouvelle pour toute l’industrie », conclut le Pr Skorobogatiy.

 

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