
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Un institut pour explorer l’inconnu et accélérer l’innovation
Il n’a pas encore de nom officiel, mais sa mission est déjà bien définie. C’est un endroit que l’on souhaite fédérateur et qui mise sur des expertises complémentaires pour développer des solutions d’impact autant en santé qu’en défense ou en communication, entre autres secteurs. Coup d’œil sur la genèse d’un institut de recherche d’envergure destiné aux innovations de rupture.
En faisant un don de 50 millions de dollars à Polytechnique Montréal, Pierre Lassonde a fait le souhait que sa contribution ait un impact durable non seulement pour soutenir le développement d’étudiantes et d’étudiants de haut calibre, mais aussi pour appuyer concrètement l’économie du Québec et du Canada.
C’est dans cette optique que sera bientôt créé, à Polytechnique Montréal, un institut de recherche destiné au développement de matériaux et de dispositifs de hautes technologies et qui s’appuiera notamment sur le génie quantique, la microélectronique et la photonique pour frapper des « coups de circuit technologiques », si on peut s’exprimer ainsi.
Co-idéateur du projet et professeur au Département de génie physique de Polytechnique Montréal, Oussama Moutanabbir parle du projet avec enthousiasme.
« On souhaite mettre en place ici toutes les conditions pour que nos étudiantes et étudiants aillent au bout de leurs rêves, dit-il. C’est en misant sur eux que nous galvaniserons l’écosystème en agissant autant comme pépinière de talents que d’innovations d’impact. »

Le professeur Oussama Moutabbir entouré d'étudiants, au Département de génie physique
Le premier institut deeptech en Amérique du Nord
Pour atteindre ses objectifs, l’institut adoptera l’approche deeptech, faisant de lui l’un des premiers du genre en Amérique du Nord. Déjà mise en œuvre avec succès en Europe et en Asie, cette approche a démontré son potentiel pour transformer des avancées scientifiques en innovations concrètes d’impact.

À la jonction de la science fondamentale, du génie et des entreprises utilisatrices, l’approche deeptech compte sur le regroupement d’expertises complémentaires pour arriver à ses fins tout en adoptant une vision centrée sur les problèmes à résoudre. L’institut se basera ainsi non seulement sur les forces en présence au Département de génie physique de Polytechnique Montréal, mais intègrera aussi des spécialistes des autres départements et de ses partenaires de l’écosystème pour compléter son noyau.
« Cette approche interdisciplinaire est essentielle pour surmonter les obstacles technologiques actuels et développer des solutions innovantes, indique le professeur Moutanabbir. Le potentiel de développer ici des innovations de rupture est énorme pour tous les secteurs, de la santé à l’informatique en passant par l’énergie et la défense. »
Comme leur nom l’indique, les « innovations de rupture » bouleversent un domaine plutôt que de n’apporter qu’une amélioration incrémentale. Elles créent de nouvelles catégories de produits et de solutions et peuvent remplacer des technologies dominantes, redéfinissant ainsi des industries entières. L’invention de la diode électroluminescente (DEL) bleue en est un exemple frappant, selon le professeur Moutanabbir. « Les diodes émettent de la lumière selon les types de matériaux qui les composent, explique-t-il. On a rapidement réussi à développer des DEL rouges et vertes, mais pas des bleues. Ça a pris une trentaine d’années. L'arrivée de la DEL bleue a tout changé, en nous permettant d’envisager des ampoules de lumière blanche qui consomment moins d’énergie, mais aussi des écrans couleurs à base de DEL, ce qui a révolutionné nos vies à travers les téléphones intelligents et les téléviseurs, parmi d’autres applications. »
Plusieurs équipes du Département de génie physique travaillent sur des semiconducteurs et des dispositifs susceptibles de trouver une application en santé, en télécommunication ou en défense, notamment. Le professeur Moutanabbir en donne deux exemples. Il parle d’abord d’un nouveau type de détecteur de rayons X qui permettrait de réduire les doses auxquelles on expose les patientes lors d’une mammographie et d’améliorer la sensibilité et la précision du diagnostic. Son équipe développe aussi un semiconducteur destiné aux caméras infrarouges, les rendant capables de « voir » à travers des milieux opaques tels que le brouillard ou la neige. « Toutes sortes d’applications sont envisageables, précise le chercheur. Ça va de la défense à la communication satellitaire, en passant par la fabrication de lidars plus sécuritaires pour les véhicules autonomes. »

Propulser les talents de demain
Le succès de l’institut pour les innovations de rupture passera par celui des jeunes talents qui viendront garnir ses rangs, selon Oussama Moutanabbir. La table sera d’ailleurs mise pour eux. Équipement de pointe, personnel de soutien, accompagnement : ces jeunes auront en plus accès à des bourses pour mener à bien leurs projets au terme de leurs études, en plus de compter sur un accompagnement pour se lancer en affaires.
« Une société qui n’investit pas dans ses jeunes n’a pas d’avenir, souligne-t-il. L’institut mettra en place non seulement les conditions pour entraîner des championnes et champions, mais veillera aussi à ce que les projets arrivent à maturité pour passer des laboratoires aux milieux preneurs. »
Ceux-ci pointent déjà à l’horizon dans les laboratoires de Polytechnique. Venu d’Espagne dans le cadre d’un stage, Salvador Poveda mène désormais des études de doctorat sous la supervision conjointe des professeurs Yves-Alain Peter et Nicolás Quesada. Son projet vise la fabrication d’un dispositif quantique d’émission de photons qui pourrait se retrouver, par exemple, dans une prochaine génération d’ordinateurs quantiques. Une innovation qui n’existe pour l’instant que sur papier.
Les longues heures qu’il passe dans la grande salle blanche du pavillon J.-Armand- Bombardier ne freinent pas son enthousiasme d’atteindre ses objectifs. « C’est un environnement de recherche fantastique ici, non seulement parce que j’ai accès à de l’équipement de pointe, mais surtout parce que je profite à la fois d’un expert en méthodes de fabrication et d’un autre qui est plutôt dans la théorie, explique le jeune chercheur. Jumeler les expertises de cette façon permet d’avancer beaucoup plus rapidement. »
Éloïse Rahier, stagiaire postdoctorale sous la supervision d’Oussama Moutanabbir, travaille, pour sa part, au développement d’un nouveau type de détecteurs à rayons X destiné au domaine biomédical et à la défense. Elle caractérise notamment ses matériaux avec la sonde atomique tomographique de Polytechnique, la plus performante en Amérique du Nord.
« De savoir que mon travail pourra avoir un impact concret sur la vie de plusieurs personnes est très valorisant », confie la jeune chercheuse qui prévoit poursuivre sa carrière dans le domaine privé au terme de son passage à Polytechnique.
En offrant aux talents l’opportunité d’explorer de nouvelles frontières scientifiques, l’institut destiné aux innovations de rupture entend multiplier les histoires à succès de ce type. Il deviendra aussi un terreau fertile pour qu’émergent des solutions technologiques d’avant-garde et agira comme un levier pour les autres initiatives en place dans l’est du Canada, afin de transformer notre société tout en stimulant l’économie du pays.