
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Jouer comme un enfant avec des blocs LEGO atomiques

Pr Oussama Moutanabbir, responsable de la Chaire de recherche du Canada sur les semiconducteurs quantiques et nanoscopiques au Département de génie physique
Du ballon rond au terrain de jeu des semi-conducteurs
Jusqu’à ses 15 ans, Oussama Moutanabbir nourrissait un rêve : devenir joueur de soccer. Certes, l’adolescent, qui excellait à l’école, adorait aussi la physique, mais ignorait qu’on pouvait en faire son métier. « C’est alors que j’ai découvert une émission qui a nourri mon intérêt pour la science. Elle passait très tôt chez moi, 5 h du matin au Maroc, sur la chaine TV5. L’astrophysicien Hubert Reeves, avec son accent qui me semblait bizarre, y racontait des choses passionnantes. Je me levais aux aurores pour l’écouter! », se souvient le chercheur, titulaire de la Chaire de recherche du Canada de niveau 2 sur les semiconducteurs quantiques et nanoscopiques, et professeur au Département de génie physique.
Bien qu‘élevé au sein d’un foyer où la culture littéraire et philosophique était prédominante, celui-ci s’est dirigé vers des études scientifiques. « Je suis entré à l’université avec deux années d’avance. J’obtenais de bons résultats, mais je n’avais sans doute pas la maturité suffisante pour envisager sérieusement ma future carrière. J’ai entrepris une maîtrise en calcul théorique principalement parce que ce domaine suscitait mon intérêt, sans que je me soucie vraiment de ses éventuelles applications pratiques, ni de chercher à établir des liens avec d’autres chercheurs dans le monde. Cette façon d’aborder la recherche pourrait facilement mener à l’échec ou à la marginalisation, j’en suis conscient. »
Des travaux remarqués
Son travail a toutefois attiré l’attention d’un chercheur de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), qui l’a invité au Québec pour entamer un projet de doctorat appliquant ses calculs dans le domaine des semi-conducteurs. Sa vie a pris alors un tour inattendu. « J’ai un peu traîné des pieds avant d’accepter l’invitation, car je n’avais pas tellement envie de quitter le Maroc. Pourtant, ma visite à l’INRS s’est poursuivie par un doctorat. J’ai aussi rencontré au Québec celle qui allait devenir mon épouse. »
L’adaptation au travail en laboratoire ne s’est pas faite sans difficultés pour le jeune chercheur théoricien amené à travailler sur des projets expérimentaux. « Je n’avais jamais touché un instrument! Comme il n’y avait pas de technicien pour m’aider, j’ai dû me débrouiller avec des manuels pour comprendre comment utiliser les équipements. Il m’a fallu plusieurs mois pour maîtriser leur fonctionnement, car j’étais trop orgueilleux pour demander de l’aide à mes collègues. En revanche, mes connaissances fondamentales solides se sont révélées un atout majeur pour débloquer des projets appliqués. Elles permettent de saisir les subtilités des interactions atomiques, ce qui facilite la résolution de divers problèmes. Le véritable défi réside dans la capacité à poser les questions justes, un processus qui demande souvent de suivre son intuition. »
Fort de ce bagage, Oussama Moutanabbir a terminé sa thèse dans le temps record de trois ans et demi. Peu après l'obtention de son doctorat, lors d'une conférence en Arizona, il a fait la connaissance de deux chercheurs, l’un de l'Université Keio, au Japon, l’autre de l'Université de Berkeley, qui lui ont proposé de collaborer à leurs travaux. Grâce à une bourse, il a organisé sa vie entre Tokyo et San Francisco.
Influence d’un mentor
Un an plus tard, une autre invitation allait également s'avérer déterminante. Elle émanait du directeur du célèbre Institut Max Planck, le Pr Ulrich Gösele, connu pour ses contributions majeures dans les domaines des dispositifs électroniques à l'échelle nanométrique et des nouveaux matériaux pour l'industrie des semi-conducteurs. Celui-ci souhaitait qu’Oussama Moutanabbir se joigne à son équipe. Comment refuser une telle proposition?
Direction l’Allemagne, donc, pour le chercheur et son épouse. Auprès du Pr Gösele, il a appris comment structurer et diriger une équipe de recherche de façon à ce que chacun puisse s’épanouir et poursuivre ses propres intérêts scientifiques. « Le Pr Gösele était un chercheur brillant et profondément humain. Il m’a recommandé cette règle de vie que je n’ai jamais oubliée : faire attention à ma santé en premier lieu, à ma famille en second et à ma carrière, seulement en troisième. »
Guidé par ce précepte, Oussama Moutanabbir a tourné le dos sans hésiter aux projets passionnants et au prestige de l’Institut Max Planck quelques années plus tard, lorsque ses enfants ont atteint l’âge d’être scolarisés. « Ma femme, une Montréalaise, m’a fait valoir qu’il fallait retourner s’établir au Québec afin qu’ils puissent suivre leur scolarité en français. Alors, pour la première fois de ma vie, j’ai postulé à un poste : celui de professeur à Polytechnique Montréal. »
Fervent défenseur de la recherche fondamentale en génie
Aujourd’hui, dans son laboratoire, le Pr Moutanabbir et son équipe étudient la structure de nanomatériaux, développent des semi-conducteurs et les assemblent dans des dispositifs destinés à des domaines aussi divers que l’imagerie médicale, la détection infrarouge, la biodétection, les technologies quantiques, ainsi que l’informatique ou la photonique quantiques.
« Fondamentalement, nous jouons avec des LEGO atomiques pour modifier les propriétés de certains matériaux, propriétés que nous exploitons ensuite dans de nouvelles technologies, déclare-t-il. Notre laboratoire figure parmi les rares dans le monde à couvrir l'intégralité du processus, depuis la recherche fondamentale jusqu'à la démonstration technologique. Cette caractéristique a non seulement renforcé notre positionnement, mais elle nous a également permis d'obtenir des financements stratégiques pour continuer à développer notre ligne de recherche », déclare le professeur.
Parmi ses récents projets, figure une solution d'imagerie haute performance à base de semi-conducteurs intégrés pour des applications diverses allant des technologies de la défense aux véhicules autonomes et au diagnostic du cancer. Actuellement, son équipe s'engage aussi dans un projet futuriste de transfert d'énergie à longue distance, ouvrant la voie à l'exploitation potentielle de fermes d'énergie solaire dans l'espace.
Les étudiantes et étudiants du Pr Moutanabbir bénéficient d’un large éventail de possibilités : se plonger dans la science fondamentale, résoudre des problèmes d'ingénierie ou se consacrer au développement de nouvelles technologies. « Je souhaite qu'ils prennent le temps de développer leur propre vision et de définir leur ligne de recherche. Mon rôle est de les soutenir dans leur développement pour qu’ils ou elles réalisent leurs ambitions professionnelles. »
Cette façon d’exercer son leadership sans dirigisme peut détonner dans l’univers ultra-compétitif de la recherche, mais le professeur constate qu’elle ne nuit pas au progrès. Bien au contraire, elle favorise l’esprit d’équipe, la créativité et, donc, l’impact réel.
Rester en mode ludique
« Je n’ai aucune stratégie de carrière à conseiller aux jeunes. Je n’ai jamais rien planifié, j’ai juste dit oui aux propositions. Je crois que le modèle qui résume le mieux ma carrière, c’est d’avoir toujours nourri l’enfant en moi. La vie nous impose un sérieux artificiel, alors que les enfants savent naturellement jouer et explorer le monde autour d’eux, et ils le font avec beaucoup de sérieux. Les imiter permet de vivre avec moins de stress et de s’accomplir avec plaisir dans notre travail. Et pour réussir, il faut juste mettre un peu plus d’efforts là où ça compte et le faire avec persistance, selon ce que m’a dit un jour un sage monsieur qui a eu beaucoup d’influence sur moi », livre le Pr Moutanabbir.
Celui-ci trouve encore le temps de jouer au soccer quatre fois par semaine. Une autre preuve de sa fidélité à sa passion d’enfant!