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Une caméra compacte pour voir à travers neige et brouillard

17 mars 2022 - Source : BLOGUE

 

L’équipe du professeur Moutanabbir conçoit des semi-conducteurs qui rendent possible la « vision » dans les régions de l’infrarouge SWIR et MWIR du spectre électromagnétique difficiles à exploiter avec les outils actuels. (Crédit : Laboratoire des semiconducteurs nanoscopiques)

Dans son laboratoire à Polytechnique Montréal, l’équipe du professeur Oussama Moutanabbir développe un véritable œil bionique, un photodétecteur fait de semi-conducteurs fabriqués maison sur puces de silicium qui pourraient bientôt se retrouver dans des technologies variées, incluant des systèmes de navigation des véhicules autonomes, la communication optique, la thermophotovoltaïque et les caméras de vision nocturne. Un outil qui voit littéralement… à travers la neige et le brouillard!

Lorsqu’une tempête de neige ou qu’un brouillard sévit, les systèmes de navigation ont encore beaucoup de mal à se repérer. Le problème touche en particulier les secteurs de véhicules autonomes et de l’aviation où les drones et les pilotes d’avion ou d’hélicoptère doivent s’orienter dans des conditions météorologiques extrêmes.

Pr Oussama Moutanabbir (Photo : Polytechnique Montréal)

Certaines technologies de détection opérant dans l’infrarouge permettent en principe de contourner le problème, mais les mots « en principe » prennent tout leur sens ici. Dans les faits, on est encore loin de les adopter à grande échelle. Le coût de ces caméras, qui peut dépasser, et de loin, 10 000 dollars, ne constitue qu’un des freins. L’autre, c’est leur taille, gonflée par un système de refroidissement à l’azote liquide qui complique leur implantation dans des applications civiles en plus d’imposer des frais supplémentaires en entretien.

Ces difficultés pourraient bientôt appartenir au passé grâce aux capteurs développés par l’équipe d’Oussama Moutanabbir, professeur titulaire au Département de génie physique à Polytechnique Montréal. En misant sur des semi-conducteurs sensibles à une région spécifique de l’infrarouge et compatibles avec les procédés de fabrication du silicium, son groupe est en voie de développer une caméra infrarouge compacte capable de voir, à faible coût, ce que l’œil humain ne discerne pas.

Le groupe travaille sur cette technologie depuis des années, entre autres grâce au support de la Défense nationale à travers le programme Innovation pour la Défense, l’Excellence et la Sécurité ainsi que celui de la Fondation canadienne pour l'innovation (FCI) et de PRIMA Québec. Il a atteint de nouveaux jalons récemment en démontrant l’efficacité de ses photorécepteurs à température pièce et leur vitesse de réponse suffisamment élevée pour réaliser des applications de photodétection spectroscopique. Les résultats viennent d'être révélés dans deux articles parus dernièrement dans le magazine ACS Photonics, des articles portant les titres High-Bandwidth Extended-SWIR GeSn Photodetectors on Silicon Achieving Ultrafast Broadband Spectroscopic Response et Extended-SWIR Photodetection in All-Group IV" Core/Shell Nanowires, des travaux menés respectivement par le stagiaire post-doctoral Mahmoud R.M. Atalla et la doctorante Lu Luo.

Voir l'infrarouge d'un nouvel oeil

Le rayonnement infrarouge (IR) s’étend des longueurs d’onde de 0,75 micromètre à 1000 micromètres. (Crédit : ploufandsplash, licence CC BY-SA 3.0)

 

Je vous entends tout de suite vous demander : « Mais voir dans l’infrarouge, n’est-ce pas déjà possible? » C’est vrai, mais pas tout à fait en même temps.

La région du spectre électromagnétique qui correspond à la lumière infrarouge est vaste et s’étend de longueurs d’onde allant de 0,75 micromètre à environ 1 000 micromètres. Les caméras thermiques qui captent la chaleur dégagée par nos corps ciblent des longueurs d’onde allant de 8 à 12 micromètres. L’équipe du professeur Moutanabbir s’intéresse pour sa part à la région du spectre comprise entre 1,7 micromètre et 8 micromètres, une sous-région qui correspond essentiellement à celle de l’infrarouge à ondes courtes et moyennes, ou SWIR pour short-wave infrared et MWIR pour mid-wave infrared en anglais.

« L’idée, ici, ce n’est pas de détecter la chaleur », explique le chercheur affilié au Département de génie physique. « Notre capteur détecte la lumière réfléchie par un objet lorsqu’il est éclairé par la lumière émise à ces longueurs d’onde. Il fonctionne comme notre œil ou nos appareils photo, mais avec une lumière différente. Cette lumière invisible à nos yeux est d’ailleurs abondante dans notre environnement la nuit, il faut juste être capable de la détecter. »

En ciblant les longueurs d’onde du proche et du moyen infrarouge, ce photodétecteur contourne le problème de la lumière visible qui est réfléchie par la neige, la glace ou le brouillard, parce que ce problème ne concerne que très peu les longueurs d’onde de la région SWIR et MWIR. Résultat : des caméras basées sur cette technologie pourraient voir à travers un rideau de neige ou de brouillard sans difficulté.

Des outils de spectrométrie utilisant ces capteurs pourraient aussi permettre de détecter des substances biochimiques dans l’environnement, plusieurs molécules offrant des « signatures spectroscopiques » dans cette région du spectre électromagnétique. L’équipe de Polytechnique Montréal développe d’ailleurs pareil outil.

Des couches minces... De germanium et d'étain

Les caméras de type SWIR, basées sur la technologie InGaAs différente de celle développée à Polytechnique Montréal, permettent de voir à travers la brume et le brouillard. Crédit : Sensors Unlimited)

Si les capteurs développés par le laboratoire de Polytechnique Montréal se démarquent des technologies SWIR et MWIR déjà existantes, c’est parce qu’ils s’appuient sur une nouvelle famille de semi-conducteurs à base de germanium et d’étain.

Ces semi-conducteurs sont assemblés directement à Polytechnique Montréal dans les installations de croissance épitaxiale de couches minces. Là-bas, on dépose les atomes de ces deux métaux sur des gaufrettes de silicium couche par couche en les exposant à des gaz contenant de l’étain et du germanium. « On forme littéralement des cristaux qui n’existent pas dans la nature », confie le professeur Moutanabbir. Pareille stratégie permet de contrôler la quantité d’étain incorporée dans les cristaux et ainsi ajuster avec précision la longueur d’onde où le capteur sera le plus sensible.

À terme, cette technologie devrait se retrouver dans les lidars des systèmes de navigation des véhicules autonomes, mais aussi servir dans des outils de communication optique. Elle pourrait aussi se trouver au cœur de caméras pour la vision de nuit ou détecter des agents chimiques ou biologiques spécifiques par spectroscopie. On envisage aussi d’incorporer ces capteurs dans des cellules thermophotovoltaïques pour transformer en électricité la chaleur résiduelle émise par des cuves, qui dépasse les 500 degrés Celsius. Tout ça, pour une fraction minime du coût des technologies actuelles, selon celui qui est également titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les semiconducteurs quantiques et nanoscopiques.

« Le fait que cette technologie est peu coûteuse à fabriquer et qu’elle fonctionne à température pièce conduit à toutes sortes de possibilités », confie d’ailleurs le scientifique.

Selon lui, l’histoire est d’autant plus intéressante qu’on dispose déjà au Québec de l’expertise et des technologies nécessaires du développement de ce type de semi-conducteurs. « Il y a une course à l’international pour développer ce genre de technologies, et on a la chance d’être parmi les meneurs. », ajoute-t-il.

En savoir plus

Fiche d’expertise de Pr Oussama Moutanabbir
Site Web du Département de génie physique
Site Web du Laboratoire des semiconducteurs nanoscopiques et quantiques

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