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Quand le cirque s’invite au labo


Charlotte Dubost (crédit : Anne-Marie Lambert-Chevrier)
Lorsqu’elle a envisagé un projet plutôt inusité pour ses études de maîtrise en génie, Charlotte Dubost a d’abord sondé l’intérêt d’une poignée de professeures et professeurs des deux côtés de l’Atlantique. Frédérick Gosselin, professeur à Polytechnique Montréal, lui a tout de suite ouvert les portes de son laboratoire. Voici l’histoire d’une artiste de cirque et ingénieure qui a entrepris de mettre un peu de génie dans un appareil de cirque né au Québec : la roue Cyr.
En atterrissant à Montréal, Charlotte Dubost s’amenait avec un projet ambitieux en tête : celui de révolutionner le petit monde de la roue Cyr, cette roue de métal d’environ 2 mètres de diamètre qu’utilisent des artistes de cirque comme elle pour réaliser des numéros acrobatiques.
« C’est un appareil vraiment intéressant, mais qui a ses limites à cause de sa rigidité et de son poids qui peut aller jusqu’à 20 kilos, explique la Française d’origine. Je me disais qu’en remplaçant le métal par un matériau composite, on pourrait compresser la roue, par exemple, et permettre tout un éventail de possibilités techniques aux artistes. »
À la fois légers, flexibles, et solides, les matériaux composites faits en partie de fibres de carbone ont rapidement pris leur place autour de nous ces dernières années. On les trouve notamment dans certaines pièces d’avions et d’automobiles, mais aussi dans les cadres de vélos et raquettes parmi d’autres applications. Même l’ordinateur portatif sur lequel ce texte est écrit en est recouvert en partie.
La vague d’adoption de ces matériaux composites a aussi happé le milieu du cirque, confie Charlotte Dubost. On les utilise, par exemple, pour assembler des portiques qui permettent aux trapézistes de s’exercer. Les adeptes du mât chinois profitent aussi de la grande flexibilité du matériau pour tester les nouvelles limites de cet appareil.
Pour les fabriquer, on utilise les tiges faites de longues fibres composites sortant directement des usines, en leur apportant de légères modifications. Pour la roue Cyr, le défi était d’un autre ordre, souligne la jeune chercheuse. « Il fallait d’une part identifier les meilleurs matériaux à utiliser, mais aussi développer toute une stratégie de fabrication des pièces courbées avec de courtes fibres », dit-elle.
UNE COURTE HISTOIRE DE... LA ROUE CYR |
Formée à l'école de Cirque de Montréal et membre du Cirque Éloize, Angelica Bongiovonni fait partie des artistes contemporains contribuant à populariser cet agrès de cirque. (YouTube) La roue Cyr a été inventée en 2003 par le Québécois et cofondateur du Cirque Éloize Daniel Cyr. Chaque roue fait environ 2 mètres de diamètre, et est fabriquée sur mesure pour son utilisateur. Elle est généralement formée de 3 à 5 pièces de métal – d’acier ou d’aluminium - qui s’emboîtent pour former un tout. Elle se distingue de la roue allemande qui est plutôt formée par deux roues reliées par des barreaux, tel une échelle circulaire. On doit cet agrès de crique à un certain Otto Feick, un Allemand - vous l'aurez deviné - qui a fait breveter son invention en 1925. |
Vers un prototype

Résultat d'un test d'impression du tube au PLA, soutenu par une structure interne en PVA (Photo : Charlotte Dubost)
Avant d’en arriver à un prototype, encore fallait-il répondre à une série de questions. Sous la supervision de Frédérick Gosselin, Annie Ross et Daniel Therriault, la jeune ingénieure a mené une série de tests in silico pour modéliser le comportement d’une roue en différentes situations.
« On a étudié deux mouvements précis, le saut et la rotation, en plus de considérer les contraintes maximales que peut subir une roue Cyr, explique-t-elle. Maintenant, on sait précisément comment une roue se comporterait dans le monde réel, peu importe ses dimensions et sa composition. »
Cette information en poche, les chercheurs ont ensuite évalué différentes stratégies de fabrication de la roue en matériaux composites, toutes basées sur l’impression additive. « Il y a toute une expertise à Polytechnique pour fabriquer des pièces en composite par impression 3D », souligne d’ailleurs l’ingénieure.
Pour ce faire, l’équipe de Polytechnique a opté pour un assemblage de trois sections d’un tube cylindrique s’emboîtant les unes aux autres pour former une roue. Cette approche est la même qui est utilisée pour les roues Cyr de métal afin de faciliter le transport de l’objet.
Le robot FANUC du LM2 mis à profit

Le robot FANUC (Photo : LM2)
Après avoir testé trois stratégies d’impression 3D en matériaux composites, le groupe a fait son choix, optant pour une approche d’impression avec deux types de matériaux. Le tube lui-même sera fabriqué en nylon renforcé avec des fibres de carbone courtes qui sera soutenu par des segments de polyacétate de vinyle (PVA) durant l’impression. « Cette stratégie est plus longue que d’autres qu’on a testés, mais elle nous permet de fabriquer des tubes avec une grande fidélité, indique Charlotte Dubost. Une fois la pièce terminée, on n’a qu’à la plonger dans l’eau pour dissoudre le PVA. »
La COVID-19 y contribuant, le projet s’est toutefois buté à une série de délais qui ont empêché l’étudiante de l’amener à son terme. « Là, il reste la meilleure partie », admet-elle, se montrant tout de même satisfaite du chemin parcouru.
« On prévoyait imprimer le prototype avec le Robot FANUC, puis réaliser toute une série de tests et de recherches artistiques avec des gens de l’École Nationale de Cirque de Montréal, ajoute-t-elle. Ça aurait été fantastique. »
Charlotte Dubost a déposé son mémoire de maîtrise sur le sujet en décembre dernier. Est-ce que le projet connaîtra une suite? De son côté, Pr Frédérick Gosselin ne ferme pas la porte, mais il faudra d’abord trouver le financement nécessaire.
Coup d'oeil sur... LES MATÉRIAUX COMPOSITES |
![]() ![]() Les matériaux composites à base de carbone sont fait d'un enchevêtrement d'au moins deux types de matériaux. (Photo : Racingjeff, licence CC 3.0) On dit d’un matériau qu’il est « composite » lorsqu’il combine au moins deux composantes immiscibles et ayant des propriétés complémentaires qui permettent au tout de posséder des propriétés supérieures à celles de ses composantes séparées. Un exemple? Le béton armé. En laissant le béton figer autour d’une armature d’acier, on confère solidité et résistance au nouveau matériau. Or, le béton « nu » et l’armature d’acier ne possèdent pas toutes ces propriétés si on les prend seuls. L’expression « matériaux composites » fait toutefois référence à des « matériaux composites à base de polymère ». Des fibres de renforcement faites de carbone ou de verre sont associées à une résine de plastique qui agit comme liant pour disperser les contraintes sur l’ensemble des fibres. Il en résulte un matériau souvent plus léger et flexible que le métal, mais tout aussi - sinon plus - résistant et durable. Dans le milieu de l’aéronautique, on utilise entre autres des résines à base de plastiques thermodurcissables ou de thermoplastiques. Dans les deux cas, les pièces sont cuites dans un moule, puis conservent leur forme une fois le matériau refroidi. |
En savoir plus
Fiche d'expertise de Pr Frédérick Gosselin
Fiche d'expertise de Pre Annie Ross
Fiche d'expertise de Pr Daniel Therriault
Site Web du Laboratoire de mécanique multi-échelles (LM2)
Site Web du Département de génie méchanique
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