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Le régolithe fera-t-il bonne impression ?

Grand dossier

Par Catherine Florès
29 octobre 2021 - Source : Magazine Poly  | VersionPDFdisponible (Automne 2021)
29 octobre 2021 - Source : Magazine Poly
VersionPDFdisponible (Automne 2021)

Comment faire du régolithe lunaire, cette couche de poussière produite par l’impact de météorites à la surface de la Lune, une ressource exploitable pour la fabrication de produits divers lors des futures missions sur la Lune? Une des réponses serait de parvenir à transformer cette fine poussière en un matériau pour l’impression 3D. C’est le défi que le Pr Frédérick Gosselin, du Département de génie mécanique, soumet depuis l’an dernier à une équipe d’étudiants dans le cadre de leur projet de fin d’études. 

Professeur Frédérick Gosselin

(Photo : Thierry du Bois)

L’impression 3D, technologie incontournable pour l’exploration spatiale

Étant donné les coûts des voyages Terre-Lune, les futurs astronautes basés sur la Lune ne pourront guère compter sur l’option de faire livrer des pièces de rechange si un de leurs outils se brise durant leur mission. Le fait de disposer sur place d’un moyen aisé de fabrication sera crucial, d’où l’intérêt pour l’impression 3D.

Membre de l’équipe du projet de rover lunaire en composites mené par le Pr Daniel Therriault, le Pr Frédérick Gosselin souhaitait impliquer des finissants du baccalauréat dans la recherche de solutions d’ingénierie aux défis des futures missions d’exploration spatiale. D’où son idée de consacrer le projet intégrateur de quatrième année dont il a la charge à un concept de fabrication additive à partir de régolithe. Lors de la première édition de ce projet, co-encadrés par Olivier Duchesne, chargé de cours et doctorant de Daniel Therriault, et Andrew Hayes, un représentant de l’Agence spatiale canadienne, 20 étudiants et étudiantes de génie électrique, génie mécanique et génie aérospatial, ainsi que trois étudiantes de HEC, ont donc planché sur ce projet hors des sentiers battus. « Explorer la possibilité d’utiliser le régolithe lunaire pour faire de l’impression 3D représente un problème très ouvert, toutes sortes de technologies pouvant être considérées », souligne le Pr Gosselin.

Extruder et imprimer

L’avenue que les étudiants ont choisi d’explorer a été de concevoir et de fabriquer dans un premier temps une extrudeuse, afin de fabriquer le filament destiné à l’impression. Le projet a intéressé la PME Dyze Design, qui a offert les pièces pour fabriquer l’extrudeuse.

Pour le matériau d’extrusion, les étudiants ont également mis au point une formule associant un simulant de régolithe fourni par l’Agence spatiale canadienne et un polymère PEI. 
Ils ont ensuite conçu une imprimante 3D qu’ils ont montée à partir de diverses pièces achetées sur Internet ou usinées au Fablab. « Leur imprimante ressemble à celles d’usage domestique, mais elle possède la particularité d’atteindre d’ultra-hautes températures. Une nécessité, car les conditions thermiques sur la Lune exigent que les polymères employés pour l’impression 3D puissent résister aux difficiles conditions de l’environnement lunaire, notamment des températures au soleil pouvant excéder les 130˚ C, précise le Pr Gosselin. 

Retombées pédagogiques

Cubes imprimés avec régolithe

Essais d'impression avec du régolithe (image fournie par l'équipe du projet intégrateur)

Les étudiants sont parvenus à faire leur preuve de concept. « Certes, le ratio de 20 % de régolithe pour 80 % de PEI obtenu pour le polymère produisant le filament n’est pas optimal, mais l’ensemble de leur démarche a satisfait l’Agence spatiale canadienne. Celle-ci les a d’ailleurs invités à faire une présentation orale de leurs résultats lors d’une conférence en ligne qui réunissait des collaborateurs de l’Agence de partout sur la planète », mentionne Frédérick Gosselin, fier du groupe d’étudiants. 

« Les étudiantes de HEC ont par ailleurs montré les possibilités de commercialisation de l’imprimante. Elle pourrait notamment être utile aux intervenants dans des environnements où les ressources pour fabriquer des objets sont difficiles d’accès; on peut penser à des missions humanitaires dans des zones de conflit ou des camps de réfugiés, par exemple », poursuit le professeur.

Celui-ci annonce que l’amélioration du ratio régolithe/PEI en faveur du régolithe est un des objectifs de la nouvelle édition du projet intégrateur. Cette année, le projet s’intéresse encore plus aux conditions d’utilisation de l’imprimante : celle-ci doit s’intégrer à un rover lunaire. L’aspect de l’alimentation électrique est à prendre en compte. À l’aide des données fournies par Ariane Group et SpaceX, les étudiants devront également faire une simulation par éléments finis des contraintes liées au lancement avec une fusée.

Rendu de l'imprimante à régolithe

Rendu 3D de l'imprimante à régolithe (image fournie par l'équipe du projet intégrateur)

 « Nous pousserons plus loin le projet dans les prochaines éditions, en visant une preuve de concept selon laquelle 100 % de ressources locales peuvent entrer dans la composition du matériau d’impression. On peut considérer la possibilité d’utiliser comme matériaux des déchets générés par la base lunaire, des déchets d’emballages de nourriture par exemple, mentionne le Pr Gosselin. La question du recyclage des pièces imprimées est également cruciale dans l’optique d’une mission lunaire; il faut donc produire un matériau pouvant être fondu plus d’une fois. Comme on peut le voir, ce projet encourage une pensée axée sur le développement durable très poussée, qui pourra influencer le design de produits et procédés destinés à une utilisation terrestre. »

Baptiste Langlet, responsable de l’équipe projet, témoigne :

Baptiste Langlet

« M’étant spécialisé en gestion de projets aérospatiaux dans le cadre de mon baccalauréat en génie aérospatial, j'ai manifesté mon intérêt pour prendre la gestion de notre projet et, à l'unanimité, l'équipe a décidé de me donner ce rôle.

Le mandat initial était d'utiliser des ressources lunaires (en l'occurence le sol lunaire) pour imprimer en 3D avec un rover. Il est impossible de développer un rover et une imprimante 3D lunaire en huit mois avec des étudiants qui n'ont que quelques heures par semaine réservées au projet, un budget de 4 400 $ CAD et quasiment aucun accès aux laboratoires de Polytechnique Montréal ou de salles pour travailler en groupe durant la pandémie. Nous avons dû nous poser les questions suivantes :
 Est-ce qu'il existe déjà des travaux sur le sujet ? Quelles sont les technologies existantes ?


Beaucoup de recherches ont été nécessaires.
Nous avons trouvé qu'il existait différents projets d’applications d'impression 3D sur la Lune. La NASA et l'Agence spatiale européenne prévoient d'imprimer à grande échelle des bases lunaires dans lesquelles les astronautes habiteront. D'un autre côté, les agences s’intéressent aussi à l'impression de petits objets qui permettrait de remplacer certains outils ou certaines pièces mécaniques (comme l'engrenage que nous avons imprimé à la fin de notre projet). Ces petites imprimantes pourraient être montées sur un rover comme elles pourraient être opérées par un astronaute une fois sur place. 


L'équipe a décidé d'avoir une approche réaliste est de se concentrer sur l'impression de petits objets (tels qu'un engrenage mécanique) avec une méthode d'impression 3D connue (FFF - Fused Filament Fabrication), avec des composants moins chèrs, et qui a prouvé son fonctionnement en environnement de microgravité. Cependant, l'intérêt d'un tel projet est de montrer un caractère innovant. Plusieurs essais d'impression 3D à base de régolite en FFF avaient déjà été faits mais avec un filament fait de PLA ou d'autres polymères non performants sur la Lune. L'idée était donc de créer notre imprimante 3D FFF, et d'extruder un filament fait de régolite et de polymère hautes performances capable d'évoluer dans un environnement lunaire. Nos ressources très limitées nous ont empêchés d'aller aussi loin que nous l’aurions souhaité mais nous avons pu imprimer un engrenage à partir d'un filament de PEI et une imitation de régolite lunaire. Côté budget, nous avons décidé de développer des partenariats pour débloquer des fonds et de l'équipement et nous avons notamment eu un soutien du Gouvernement du Canada par ECAMT avec un don de près de 14 000 $, un don de l'Agence spatiale canadienne qui nous a acheté certains polymères, et de l'équipement offert par Dyze Design.



Au-delà de ce défi et de celui de bien définir l’objectif de notre projet pour arriver à un résultat concret, la dimension qui m'a beaucoup apporté pour ma part est celle amenée par les étudiantes de HEC Montréal. Dans nos projets scientifiques, en tant qu'étudiants en génie, nous avons tendance à négliger la dimension affaires demandant une analyse poussée sur les enjeux économiques, politiques, sociaux, environnementaux qu'engendre notre projet, ainsi que sur les diverses applications terrestres que notre technologie lunaire pourrait apporter. Par exemple, des organismes tels que Médecins sans frontières pourraient utiliser une telle imprimante pour fournir certains outils médicaux dans des régions isolées. Finalement, notre objectif était selon moi bien adapté puisque nous avons pu obtenir des résultats satisfaisant, nous permettant même de participer à deux conférences internationales : le PTMSS avec des scientifiques des grandes agences spatiales comme la NASA, et le premier Canadian Lunar Workshop de l'Agence spatiale canadienne qui nous a sélectionnés pour présenter oralement nos travaux... un honneur que nous sommes les seuls étudiants au bac à avoir eu.



Nous avons assisté aussi à plusieurs conférences données par notre professeur, l'Agence spatiale canadienne ou des étudiants de l'équipe. Par exemple, j'ai réussi à échanger avec un des ingénieurs principaux de la NASA Kennedy Space Center Swamp Works qui dirige les recherches de la NASA depuis des années sur l'impression 3D à base de régolite lunaire et qui a accepté de nous rencontrer pour nous donner des conseils et nous expliquer ses recherches. 

Ce fut une superbe expérience qui m’a fait découvrir l’ingénierie des systèmes spatiaux. J'ai décidé de poursuivre avec une maîtrise dans le domaine avec un double cursus à TUM - Technological Universty of Munich en Allemagne et ISAE-SUPAERO, à Toulouse, en France. »

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