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Pas de géant en imagerie de la moelle épinière

31 août 2021 - Source : BLOGUE

 

Grâce au protocole développé par Pr Julien Cohen-Adad et ses collaborateurs, il sera désormais possible d’utiliser l’IA sur des données d’IRM de la moelle épinière. (Photo : NeuroPoly)


Ce n’est pas un, mais deux articles que Julien Cohen-Adad et son équipe viennent de publier dans des journaux du groupe Nature. Une contribution qui pourrait donner un coup d’accélérateur au développement de traitements contre des maladies neurodégénératives ou des lésions de la moelle épinière. Tout ça, grâce à un protocole qui uniformise la collecte de données obtenues par imagerie par résonance magnétique (IRM).

Depuis son avènement dans les hôpitaux de la planète au cours des années 1980 et 1990, l'IRM a fait faire des bonds de géant à la médecine moderne en permettant de voir ce qui se trame dans le corps d’un patient sans avoir recours à la chirurgie.

La technique sert par exemple à détecter des pathologies comme des tumeurs dans tous les recoins de l’organisme, notamment dans le cerveau et la moelle épinière. Elle permet aussi d’observer les lésions associées à des maladies neurodégénératives comme la sclérose en plaques (SP) ou la sclérose latérale amyotrophique (SLA).

Mais il y a un hic.

Jusqu’à encore tout récemment, les données d’imageries de la moelle épinière ne pouvaient être utilisées que de façon qualitative. L’absence de point de référence dans les images empêchait d’étalonner ce qu’on pouvait y mesurer.

Difficile, par exemple, de suivre l’évolution de la maladie d’un patient ou de mesurer l’amélioration de son état suite à un traitement, et ce, même si les images avaient été captées par le même appareil et le même technicien à quelques mois d’intervalle.

« Les appareils de neuro-imagerie doivent être paramétrés à chaque utilisation, on ne peut pas simplement presser un bouton pour les faire fonctionner », explique Julien Cohen-Adad, professeur agrégé au Département de génie électrique à Polytechnique Montréal.

« En plus, ces applications ont surtout été développées pour le cerveau », ajoute celui qui agit aussi comme codirecteur du Laboratoire de recherche en neuro-imagerie (NeuroPoly). « Pour la moelle épinière, il restait un fossé à remplir. »

Notez l’utilisation du passé composé ici. Parce que ce fossé est bel et bien en voie d’être refermé grâce au travail du Pr Cohen-Adad et de ses collaborateurs.

Deux publications d'impact

Pr Julien Cohen-Adad (Photo : Polytechnique Montréal)

Le groupe vient de publier deux articles d’impact dans des magazines du groupe Nature, soit Nature Protocols et Scientific data. Des articles que Pr Cohen-Adad signe comme premier auteur.

Le premier détaille les étapes d’un protocole qui permet de normaliser les images de moelle épinière prises par IRM, et ce, peu importe l’identité du fabricant derrière l’appareil. Le second démontre l’efficacité du protocole. Un projet colossal mené sur cinq ans et qui a impliqué 42 centres d’imagerie répartis tout autour de la planète, de l’Amérique à l’Asie en passant par l’Europe. Au total, les images provenant de 260 individus auront permis de constituer une base de données open source.

« Pour développer de nouveaux traitements, il faut d’abord être capable de voir la pathologie, mais aussi comprendre comment elle évolue », indique le scientifique. « Maintenant, nous avons accès à une base de données en IRM quantitative pour la moelle épinière qui nous permettra d’y parvenir. »

Ces données permettront d’une part de normaliser les images à l’aide de biomarqueurs ou en mesurant la taille de certaines structures, mais serviront aussi à des laboratoires comme le sien d’utiliser l’apprentissage automatique - le champ principal d'utilisation de l'intelligence artificielle (IA) - pour améliorer les outils diagnostic et de mesure de l’état de santé des patients.

« On pourra, par exemple, suivre l’évolution de la maladie d’un patient ou voir comment il réagit à un traitement », précise Pr Cohen-Adad, en donnant l’exemple de patients victimes d’une lésion partielle de la moelle épinière qui ont réussi à améliorer leur condition à la suite d'un entrainement rigoureux sur un tapis roulant.

Le protocole développé par ses collaborateurs et lui accélèrera aussi la segmentation (c.-à-d. leur stade) des tumeurs de la moelle épinière en permettant de quantifier le volume de celles-ci lors de chaque séance d’imagerie. Il permettra aussi de quantifier la vitesse avec laquelle progressent des maladies neurodégénératives comme la SP ou la SLA. « Le diagnostic de base repose entre autres sur le compte des lésions à la moelle épinière », rappelle d’ailleurs le codirecteur de NeuroPoly.

L’outil s’avèrera aussi précieux pour les chirurgiens cherchant à déterminer si un patient est opérable ou non. « On travaille sur des méthodes de segmentation de la moelle épinière pour les aider dans leur prise de décision », ajoute Pr Cohen-Adad.

L'IA amenée en contribution

Ces boules de Noël sont en fait des impressions 3D des cerveaux des étudiantes et étudiants du laboratoire du Pr Cohen-Adad qui se sont prêtés volontaires pour passer un test d’IRM. (Photo : NeuroPoly)

Tout ce travail devrait s’accélérer avec la contribution de l’IA. Un travail dont se chargent les membres de l’équipe supervisée par le professeur de Polytechnique Montréal en collaboration avec l'institut québécois en intelligence artificielle Mila.

En normalisant les données d’imagerie de la moelle épinière, on pourra entraîner des algorithmes comme on le fait déjà pour la détection de différents types de cancer ailleurs dans le corps.

« On est encore à développer des méthodes », confie le professeur de Polytechnique Montréal. « Une des grosses limitations que nous avons rencontrées jusqu’ici, c’était justement la qualité des données qui étaient obtenues par différentes méthodes. » Un problème appelé à disparaître si on applique un peu partout sur la planète le protocole proposé par ses collaborateurs et lui.

 

 

Coup d'oeil sur... l'IRM

Les appareils d’IRM s’appuient sur un puissant aimant et des ondes radio pour créer des images 2D et 3D de l’intérieur d’un corps humain. (PHOTO : National Institutes of Health (NIH), licence CC PDM 1.0).

Contrairement au scanneur ou à la radiographie, l’IRM ne repose pas sur des rayons X. Elle s’appuie plutôt sur le comportement des atomes d’hydrogène – les plus petits d’entre eux - placés au centre d’un puissant champ magnétique.

On trouve des atomes d’hydrogène dans les molécules d’eau et dans chacune des molécules organiques d’un corps humain, si bien qu’il y en a partout à différentes concentrations selon la nature des tissus.

Au centre de ces atomes, un proton tourne sur lui-même, un peu comme le fait la Terre à une tout autre échelle. En temps normal, un proton tourne sans direction précise. La situation change toutefois lorsqu’il est placé dans un champ magnétique comme celui d’un appareil d’IRM. Il se magnétise alors et aligne sa rotation en fonction du champ magnétique, un peu comme le ferait l’aiguille d’une boussole placée dans ce même champ magnétique.

Entre alors en jeu des ondes radio que l’appareil d’IRM émet à intervalles réguliers. Ces ondes font temporairement dévier l’axe de rotation des protons. Lorsque le signal radio disparaît, ceux-ci se réalignent en fonction du champ magnétique, et libèrent à leur tour une onde radio. Voilà le signal que capte l’appareil d’imagerie. Une fois traitées par ordinateurs, ces données permettent de reconstituer des images en deux ou en trois dimensions de l’endroit ciblé dans le corps par l’appareil. Comme chaque tissu renferme des concentrations différentes d’eau – et donc d’atomes d’hydrogène – on discerna chacun d’eux.

En savoir plus

Fiche d'expertise du professeur Julien Cohen-Adad
Site du Laboratoire NeuroPoly
Article publié dans Nature Protocols
Article publié dans Scientific data
Site du Département de génie électrique

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