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Marcher grâce à une neuroprothèse

05 février 2024 - Source : BLOGUE

 

La neuroprothèse développée par l’équipe de Montréal stimule le cerveau et la moelle épinière d’un sujet pour l’assister dans sa marche. Elle met à profit une IA pour que cette stimulation se fasse au bon moment et au bon endroit. (Image : Polytechnique Montréal)


Dans son laboratoire de Polytechnique Montréal, l’équipe du professeur Marco Bonizzato met au point un outil qui pourrait un jour changer la vie de nombreuses personnes qui ont perdu l’usage partiel d’un membre. Leur neuroprothèse - une sorte de stimulateur cardiaque, un pacemaker, pour le système nerveux - assiste le mouvement en faisant intervenir une intelligence artificielle (IA). Coup d’œil sur une technologie qui relève de moins en moins de la science-fiction.

Marcher, boire ou se brosser les dents constitue des actions que la plupart d’entre nous réalisent de façon automatique. Mais pour les personnes qui ont subi un traumatisme à la moelle épinière, certains de ces gestes relèvent d’une promenade sur l’Everest.

Suite à un accident vasculaire cérébral ou à un dommage à la moelle épinière, une personne peut se retrouver dans un état où elle ne contrôle que partiellement certains de ses muscles. Des tâches courantes deviennent alors impossibles. Pour l’un, c’est une jambe qui traîne en marchant. Pour l’autre, appliquer juste ce qu’il faut de pression pour saisir un verre d’eau devient irréalisable. Le cerveau n’a pas perdu complètement accès aux muscles, mais le signal est plus difficile à communiquer parce qu’il a accès à moins de voies pour le transmettre, telle une route de cinq voies à laquelle il n’en resterait plus qu’une.

Mais une technologie est en voie de changer la donne pour ces patients. Une technologie issue entre autres d’une collaboration entre chercheurs de Polytechnique Montréal et de l’Université de Montréal.

Une IA qui capte les intentions

Le professeur Marco Bonizzato (au centre) et son équipe (Photo : laboratoire de Marco Bonizzato)

C’est dans le cadre d’un stage postdoctoral à l’Université de Montréal que Marco Bonizzato, aujourd’hui professeur adjoint au Département de génie électrique à Polytechnique Montréal, s’est donné pour mission de développer un outil capable d’améliorer le sort de victimes d’une lésion au cerveau ou à la moelle épinière. Un travail fait en collaboration avec l’équipe de Marina Martinez et Numa Dancause, professeurs au Département de neurosciences de l’Université de Montréal.

Leur objectif est d’assister le système nerveux des patients en le stimulant électriquement avec une neuroprothèse, un peu à la façon d’un stimulateur cardiaque qui active le muscle du coeur. La différence ici, c’est que la neuroprothèse stimule directement des neurones seulement lorsque nécessaire, et elle le fait à partir du cortex et de la moelle épinière pour faciliter la contraction de muscles situés beaucoup plus loin dans le corps.
De nombreuses équipes de recherche travaillent au développement de ce genre de technologie. L’équipe de Montréal a toutefois un atout dans sa manche : elle mise sur l’IA pour accélérer l’arrivée de l’appareil dans le monde réel.

C’est que l’IA est susceptible de surmonter un grand défi qui freine le développement des neuroprothèses. « Chaque implantation est différente, et il faut que la neuroprothèse s’adapte à l’individu qu’on cherche à aider », explique Marco Bonizzato. « Avant, on procédait par essais et erreurs pour délivrer la stimulation au bon moment, avec la bonne force, à la bonne place et pour une durée idéale en ajustant les paramètres de la neuroprothèse nous-mêmes. Le processus prend des heures et est très difficile à reproduire d’un individu à un autre. Avec l’IA, cet apprentissage se fait par lui-même : la technologie s’adapte au patient plutôt que l’inverse. »

Cet aspect n’a rien d’anodin parce que la neuroprothèse devra comprendre les intentions de la personne qu’elle assiste pour être vraiment utile. Prenons en exemple l’action de boire un verre d’eau. Pour saisir un verre de plastique et l’amener à sa bouche, il faut appliquer juste ce qu’il faut de pression pour que la main saisisse le verre sans l’échapper. À l’inverse, elle ne doit pas trop appliquer de pression pour éviter d’écraser l’objet. En laissant l’IA s’adapter aux intentions du patient et moduler l’intensité et le moment où la neuroprothèse stimule le système nerveux, les chercheurs de l’équipe montréalaise pensent arriver à une solution fonctionnelle.

Le groupe a fait la démonstration qu’il avançait dans la bonne direction avec la publication d’un article dans la revue scientifique Cell Reports Medicine. Travaillant avec des modèles d’intervention préclinique, notamment chez le rongeur, l’équipe a démontré que son algorithme autoguidé sélectionne les meilleurs paramètres de stimulation du système nerveux pour assister en temps réel ses sujets dans leurs mouvements.

Pour le démontrer, le groupe a notamment mesuré comment un rat, qui a perdu l’usage partiel d’une patte arrière, était capable de marcher à nouveau sans gêne en levant la patte de plus en plus haut. Voyez-le par vous-mêmes dans cette vidéo associée à l’article.

Qui plus est, l’IA du groupe de recherche démontre non seulement une capacité accrue à s’adapter au besoin à combler, mais s’avère en plus capable d’ajuster le tir en s’adaptant aux changements occasionnés, par exemple, par la plasticité neuronale. « L’entraînement reste progressif, mais il se fait plus rapidement que si on devait ajuster nous-même les paramètres », explique Marco Bonizzato. « On se rapproche de plus en plus de notre objectif. »

Les travaux des équipes de Marco Bonizatto et de Numa Dancause ont été retenus dans la courte liste des 10 découvertes de l’année du magazine Québec Science en 2023. Vous pouvez voter pour eux en suivant ce lien.
 

 

Coup d'oeil sur... Des neuroprothèses déjà parmi nous

Voyez dans ce reportage du Téléjournal de Radio-Canada comment des neuroprothèses peuvent corriger les symptômes de la maladie de Parkinson. (Crédit : Radio-Canada)

Les neuroprothèses sont déjà utilisées couramment pour amoindrir les symptômes qui accompagnent la maladie de Parkinson. En implantant des électrodes dans le cerveau, on est maintenant en mesure de bloquer les tremblements, par exemple.

Une entreprise pour accélérer le déploiement

Pendant qu’il raffine avec son équipe la technologie de neuroprothèse, Marco Bonizzato travaille en parallèle sur Neuraldrive, l’entreprise qu’il a cofondée avec des partenaires et qui se donne pour mission d’amener le projet jusqu’à la commercialisation. « Comme ingénieur, on a le devoir d’amener les technologies dans le monde réel », souligne-t-il. « Je souhaite que notre recherche sorte du laboratoire pour avoir un impact sur la société. »

En attendant d’y arriver, son équipe et lui cherchent à voir si leur outil pourrait aussi améliorer la motricité fine de modèles animaux qui ont perdu en partie l’usage de leurs membres supérieurs. À entendre parler Marco Bonizzato, le problème est d’une complexité bien supérieure à celle de l’aide à la marche. « On travaille avec une véritable boîte noire avec toute sorte de signaux qui entrent et qui sortent en même temps », dit-il.

Selon lui, les neuroprothèses qui redonneront la motricité fine à des patients devront non seulement être connectées au système nerveux à plusieurs endroits dans le corps, mais aussi utiliser une IA capable d’analyser la situation en temps réel. Un jour encore lointain qu’il envisage tout de même avec le sourire.

En savoir plus

Fiche d'expertise du professeur Marco Bonizzato
Site web du Département de génie électrique
Article Autonomous optimization of neuroprosthetic stimulation parameters that drive the motor cortex and spinal cord outputs in rats and monkeys paru dans Cell Reports Medicine

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