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Embâcles printaniers : reproduire le comportement des rivières dans le confort de son laboratoire

18 février 2022 - Source : BLOGUE

 


L’équipe de Polytechnique Montréal recrée en laboratoire les conditions propices à la formation de glace et d’embâcle dans son simulateur, un outil unique au Canada (Photo : Laboratoire du Pr Shakibaeinia)


Chaque printemps, parfois même en hiver, des redoux entraînent la formation d’embâcles sur les rivières québécoises. Pour les populations riveraines, le phénomène peut prendre une tournure dramatique parce qu’il rime avec inondations. Des solutions pour mitiger l’impact des embâcles existent pourtant. Une équipe de Polytechnique Montréal les teste avec ses outils numériques et son simulateur de comportement des glaces, un instrument unique au pays.

Lorsque le thermomètre affiche -15 ou -20 degrés Celsius, on peut avoir de la difficulté à imaginer que l’hiver tirera un jour à sa fin. Pourtant, ce sera bien le cas. Au nombre des certitudes sur lesquelles on peut compter, il y en a une autre qu’on espère moins : celle de la crue des eaux au printemps.

En fondant, la neige et la glace gonflent nos rivières. La plupart du temps, le phénomène s’étale dans le temps et n’entraîne pas de conséquences fâcheuses. L’histoire est différente lorsque le réchauffement survient en quelques jours. La glace qui s’est formée tout au long de l’hiver rompt alors brusquement. Des morceaux se détachent et dérivent sur les rivières. Lorsqu’ils rencontrent un obstacle, ils s’entassent pour former un embâcle.

Cet embâcle agit comme un barrage et retient l’eau. Résultat : la rivière sort habituellement de son lit en amont. L’inondation peut aussi survenir en aval lorsque l’embâcle cède soudainement et qu’un grand volume d’eau est libéré d’un coup. C’est justement ce qui est survenu en 2019 en Beauce, par exemple.

Bref, gérer la formation d’embâcles, c’est s’éviter bien des soucis.

Trouver la solution optimale

Un barrage-estacade jumelé à un déversoir permet à la municipalité de Saint-Raymond-de-Portneuf de gérer la formation d’embâcles sur la rivière Sainte-Anne. (Photo : Courrier de Portneuf)

Avec les années, on a adopté différentes stratégies pour éviter que les glaces s’entassent et forment un embâcle près des zones habitées. Les structures naturelles ou artificielles qui font obstacle à la glace sont modifiées ou tout simplement retirées des rivières. Les piliers des nouvelles structures sont aussi conçus de façon à faire dévier les morceaux de glace pour éviter qu’ils s’accumulent.

À certains endroits, on construit même des barrages-estacades en amont des zones habitées afin de contrôler le débit de l’eau aux endroits névralgiques. Ces structures ont aussi pour rôle de retenir le frasil et la glace en amont des municipalités, loin des infrastructures critiques en élevant ou en abaissant la hauteur du barrage selon la saison. Des filets peuvent aussi être ajoutés de façon à retenir la glace tout en laissant l’eau passer.

Comment sélectionner le site optimal pour assembler ces structures? Quel design choisir pour retenir efficacement les glaces à un coût minimal? Voilà le genre de questions auxquelles s’attaque Ahmad Shakibaeinia, professeur agrégé au Département des génies civil, géologique et des mines de Polytechnique Montréal.

Pr Ahmad Shakibaeinia

Dans son laboratoire situé au pavillon principal, l’équipe du Pr Ahmad Shakibaeinia aide les municipalités, les ministères et les entreprises avec lesquelles elles travaillent à prendre des décisions optimales pour gérer la formation d’embâcles sur les rivières québécoises.

Ici, il n’y a pas de paillasses ou de montages électroniques : le laboratoire a les allures d’un entrepôt dans lequel se trouve entre autres un grand conteneur réfrigéré, capable d’atteindre des températures aussi basses que -23 degrés Celsius. À l’intérieur se cache un simulateur d’embâcles, constitué d’un long canal fait d’acier et d’un polymère transparent (plexiglas).

« C’est un équipement unique au Canada », lance fièrement Pr Shakibaeinia. « Il nous permet de réaliser des expériences de formation et de rupture de glace en reproduisant les conditions du cours d’eau qu’on étudie. »

Le comportement de la glace à un endroit donné est d’abord établi avec un outil de calcul développé par l’équipe de Polytechnique Montréal. Celui-ci prend en compte différentes variables, comme l’épaisseur de la glace, la taille des morceaux, le débit et les dimensions de la rivière, ainsi que les contraintes physiques qu’on y trouve pour établir le risque de formation d’embâcle.

L’action d’hélices permet de reproduire le débit d’eau d’une rivière à l’étude. (Photo : Laboratoire du Pr Shakibaeinia)

« Le simulateur nous permet ensuite de valider nos modèles », explique celui qui est aussi titulaire de la Chaire de recherche du Canada de niveau 2 en hydrosystèmes numériques. « Une fois que le modèle est validé, on regarde avec le simulateur comment la glace se comporte en présence de structures de contrôle des glaces (SCG) comme des barrages-estacades. »

Un système de caméras à haute vitesse capte et suit le déplacement de chaque morceau à la surface de l’eau. Il permet ainsi de déterminer quel pourcentage est retenu par la structure. D’autres outils mesurent la force appliquée sur les structures introduites dans le simulateur alors que d’autres mesurent le volume d’eau qui s’en écoule.

« Cette façon de travailler nous permet de déterminer, par exemple, quelle est la distance optimale que doivent avoir les piliers d’une structure, ou quel débit d’eau optimal permet de contenir un embâcle à cet endroit », ajoute-t-il, soulignant que ce projet est mené en collaboration avec l’équipe de Tadros Ghobrial, professeur au Département de génie civil et de génie des eaux de l’Université Laval.

 

Coup d'oeil sur... l'écoulement de l'eau des rivières

Dans cette capsule Innovatio, Pre Elmira Hassanzadeh et Pr Ahmad Shakibaeinia présentent un outil de modélisation 3D jumelant une surface en sable et un système de réalité virtuelle qui permet de visualiser les impacts de phénomènes hydrologiques sur une région, comme la rupture d’un barrage, par exemple.

L’équipe du Pr Shakibaeinia ne s’intéresse pas qu’à l’écoulement des morceaux de glace sur nos cours d’eau. En compagnie des autres membres du Groupe expérimental et numérique d’ingénierie des écoulements d’eau (GENIE-EAU), il s’intéresse à différents types de systèmes hydriques en les modélisant.

En plus de la dynamique des embâcles, les membres de ce groupe étudient la crue des cours d’eau ainsi que les glissements de terrain avec leurs outils numériques avancés. Grâce à eux, ils déterminent quelles mesures permettent de corriger un problème afin d’éviter de nouvelles catastrophes.


En savoir plus

Fiche d'expertise du professeur Ahmad Shakibaeinia
Site web de la Chaire de recherche du Canada de niveau 2 en hydrosystèmes numériques
Site web du Groupe expérimental et numérique d’ingénierie des écoulements d’eau (GENIE-EAU)
Site web du Département des génies civil, géologique et des mines

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