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Un parachute de Polytechnique Montréal atterrit dans la revue «Nature»
Un groupe de recherche du Département de génie mécanique de Polytechnique Montréal publie aujourd’hui un article dans la prestigieuse revue Nature. Il y dévoile un concept de parachute nouveau genre inspiré du kirigami, cet art du pliage et de la découpe japonais qu’utilisent les enfants pour fabriquer des flocons de neige en papier. Une idée originale qui permet d’entrevoir de nouvelles façons d’acheminer vivres, eau et médicaments lors de missions humanitaires... ou même de faciliter l’exploration de la planète Mars.

Frédérick Gosselin, Danick Lamoureux et David Mélançon derrière un exemplaire du parachute de plastique à motif kirigami qu’ils ont développé. (Photo : laboratoire LM2)
Tout au fond de l’atelier de fabrication collaboratif de Polytechnique, le PolyFab Normand-Brais, un laser s’active à l’intérieur d’un grand boîtier métallique. Son faisceau se déplace au-dessus d’une mince feuille faite de plastique qu’il découpe de façon chirurgicale, suivant une chorégraphie dictée par un ordinateur.
Au terme de la procédure d’une dizaine de minutes vient le moment d’apprécier le résultat. David Melançon, professeur au Département de génie mécanique de Polytechnique Montréal, retire une feuille tailladée de l’appareil. L’objet rond d’une vingtaine de centimètres de diamètre présente autant de tonus qu’un « slinky », mais sa fonction n’est pas celle d’un jouet. Attachez un poids en son centre et vous avez devant vous un parachute. Un concept tellement original qu’il a conduit à la publication de cet article dans Nature.

En chute libre, le parachute se déploie en forme de cloche inversée pour ralentir la descente de sa charge utile attachée au centre. (Photo : David Mélançon)
Une idée venue de loin
L’idée de ce concept à la fois simple et complexe revient à Frédérick Gosselin, également professeur au Département de génie mécanique de Polytechnique Montréal. Lors d’un congrès aux États-Unis, il assiste à une conférence où un chercheur dévoile comment une feuille de plastique se déforme après qu’on la découpe en suivant un motif kirigami particulier, le motif dit « en boucle fermée ».
« Découper une feuille avec ce genre de motif permet de lui conférer de nouvelles propriétés mécaniques, explique-t-il, et c’est surtout ce qui intéressait ce groupe de recherche. » Les chercheurs menaient leurs tests en attachant un poids au centre de leur feuille tailladée. Celle-ci se déformait alors pour s’étirer en forme de cloche inversée pour retenir le poids. « C’est en voyant cette image et en discutant avec Sophie Ramananarivo, professeure à l’École Polytechnique en France et co-autrice de l’étude, que je me suis demandé comment une feuille découpée avec ce motif se comporterait en chute libre et pourrait potentiellement agir comme parachute », confie Frédérick Gosselin, qui n’a toutefois pas poussé le projet plus loin à l’époque.
L’idée flotte dans l’air jusqu’à l’embauche de David Mélançon par Polytechnique Montréal. Spécialiste des structures pliables inspirées de l’origami et du kirigami, le jeune chercheur voit vite dans la proposition de son collègue une piste prometteuse à tester.
Le duo confie le projet à Danick Lamoureux, alors étudiant à la maîtrise. Sa mission : modifier le patron de découpe pour augmenter sa résistance à l’air. Autrement dit, il devait trouver des façons de réduire l’aérodynamisme du parachute, une variable qui influence directement la performance de celui-ci (voir l’encadré).
Après quelques tests, l’étudiant procède à une démonstration devant ses superviseurs. Il attache une petite masse au centre du parachute, puis le lance au-dessus de sa tête. Un moment gravé dans la mémoire de David Mélançon.
« Ce qui s’est passé m’a vraiment surpris », se souvient le chercheur. « Le parachute s’est tout de suite stabilisé avant de descendre contrairement à un parachute conventionnel. C’est à ce moment que je me suis dit que l’on tenait quelque chose. »
En se déployant, le parachute emprisonne l’air sous lui pour créer une force appelée « traînée » qui ralentit la vitesse de descente. Cette force dépend directement de l’aérodynamisme du parachute. Sa forme, sa composition et la façon dont l’air s’écoule autour de lui influencent la force de traînée produite : moins un parachute est aérodynamique et plus il génèrera une traînée forte.
Mais attention, la traînée n’a pas que du positif : plus elle est élevée, et plus elle engendre des tourbillons chaotiques au-dessus du parachute, rendant sa trajectoire de descente imprévisible.

Les drones et le groupe de Giovanni Beltrame, professeur au Département de génie informatique et génie logiciel, ont permis de réaliser des déploiements à partir d’une hauteur de 60 mètres. (Photo : Martin Primeau)
Un parachute qui se démarque
Plusieurs prototypes et des dizaines de largages plus tard, l’équipe de recherche associée au Laboratoire de mécanique multi-échelles (LM2) pense avoir cerné les paramètres optimaux de découpe en motif de boucle fermée. Son parachute se démarque de plusieurs façons d’un parachute hémisphérique conventionnel.
Outre sa capacité à se stabiliser rapidement après son largage, le parachute kirigami se déploie aussi de façon plus ordonnée que son cousin puisqu’il retient sa charge utile par une seule sustente plutôt que plusieurs qui pourraient s’entremêler.
« C’est un parachute inconditionnellement stable qui n’a pas besoin d’être plié d’une façon particulière pour se déployer correctement, explique David Mélançon. On peut le lancer de toutes les façons et il tombera tout droit, contrairement à un parachute conventionnel qui aura tendance à dériver. »
Sa trajectoire de descente en chute libre se démarque également, selon les chercheurs de Polytechnique. Si on le laisse tomber au-dessus d’une cible, il atterrira tout prêt, contrairement à un parachute conventionnel.
« Sa forme de cloche inversée étire les fentes du motif de kirigami et force l’air à travers ces multitudes de petites ouvertures, explique Frédérick Gosselin. Ceci fait en sorte que l’air s’écoule de façon ordonnée sans gros tourbillon chaotique, donnant lieu à une trajectoire prévisible. »
À ces caractéristiques s’ajoute un autre avantage d’importance : la fabrication de ce type de parachute se fait avec des matériaux et de l’équipement accessibles et à faible coût. « Il ne faut essentiellement qu’une feuille de papier ou de plastique qu’on découpe avec un laser ou avec une presse à découper, indique David Mélançon. La voile se fabrique sans matériel cousu en plus et est très simple à assembler. »
Un potentiel humanitaire
Ces aspects ouvrent la voie à l’utilisation de parachutes dans l’humanitaire, selon le chercheur. C’est que la nourriture larguée par voie aérienne se fait à l’occasion sans parachute, en tenant pour acquis que certains sacs se briseront pour absorber le choc. Avec un parachute hémisphérique, le problème est différent : outre le coût de fabrication et le temps consacré aux manipulations du parachute, la cargaison transportée peut atterrir loin de la cible.
« Le parachute à motif de kirigami pourrait s’avérer être la meilleure solution pour ce genre d’utilisation, indique le professeur Mélançon. On peut aussi envisager des livraisons de colis en région éloignée ou même utiliser cette approche en exploration spatiale sur Mars. »
Avant de penser à explorer le système solaire, l’équipe de Polytechnique tâchera d’explorer comment elle pourrait conférer de nouvelles propriétés à son parachute, un travail confié à l’étudiant Jérémi Fillion, également coauteur de l’article. « En modifiant le patron de découpe, on peut par exemple faire descendre le parachute en vrille ou dans un autre cas, le faire planer latéralement avant de descendre », confie David Mélançon.
« On pourrait, par exemple, avoir des parachutes qui se déplacent d’un côté s’ils transportent de l’eau alors que d’autres, plus légers, iraient à droite de façon à effectuer un tri dès le largage, explique David Mélançon. L’idée c’est de voir si on peut essayer de programmer la chute un peu plus de différentes façons. »
En savoir plus
L’article Kirigami-inspired parachutes with programmable reconfiguration publié dans l’édition du 2 octobre de Nature
Fiche d’expertise du professeur David Mélançon
Fiche d’expertise du professeur Frédérick Gosselin
Site du Département de génie mécanique de Polytechnique Montréal

