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Les Canadiens ne sentent pas tous l’urgence d’agir pour le climat
À l’heure où le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, participe à l'élaboration du prochain chapitre de la coordination internationale de la lutte contre les changements climatiques à Paris, une nouvelle étude conjointe de l'Université de Montréal et de l'Institut de l'énergie Trottier montre que les Canadiens ont des opinions divisées sur la question.
Le rapport, intitulé Peu m’en chaut? Le paradoxe de l’opinion publique et des politiques climatiques au Canada : vers un nouveau programme de recherche, analyse les multiples facettes de l'opinion publique à l'égard de ce problème politique complexe. « Bien qu’une majorité de Canadiens croient à l’existence des changements climatiques, peu se sentent personnellement à risque, déclare Erick Lachapelle, auteur principal du rapport et professeur adjoint au Département de science politique de l'Université de Montréal. En outre, les Canadiens ne sont généralement pas disposés à assumer personnellement une partie des coûts associés à une transition vers un approvisionnement énergétique carboneutre », ajoute-t-il.
Ce projet de recherche a été financé par l’Institut de l’énergie Trottier et la Chaire d’études politiques et économiques américaines, une unité de recherche du Centre d'études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM). Établi à Polytechnique Montréal, l’Institut de l’énergie Trottier a pour mission de former une nouvelle génération d’ingénieurs, de scientifiques et d’innovateurs ayant une compréhension systémique des enjeux technologiques, économiques et sociaux propres au domaine de l’énergie.
Un enjeu peu important pour les Canadiens
À l'aube de la 21e Conférence des Parties sur le réchauffement à Paris, l'enjeu climatique demeure un sujet peu important pour les Canadiens, tel qu'en atteste le faible niveau d'attention qu'il a suscité pendant la campagne électorale fédérale de 2015. Le faible niveau de connaissances rapportées des électeurs sur le réchauffement planétaire témoigne de la modeste importance de l'enjeu : seuls 27 % des répondants se disent très bien informés sur la question. « Les gens qui sont vraiment préoccupés par les changements climatiques, au point de se tenir informés sur les derniers développements, sont une minorité relative au pays. Environ un quart de la population appartiendrait à cette catégorie », précise le professeur Lachapelle.
Si une majorité de Canadiens perçoit que le climat se réchauffe (82 %), beaucoup moins croient que l'activité humaine est la cause principale de ce réchauffement (49 %). Les Canadiens qui croient que les changements climatiques sont causés à la fois par l'activité humaine et des causes naturelles sont moins nombreux encore (18 %), ainsi que le sont ceux qui n'attribuent le réchauffement qu'à des causes naturelles (12 %) ou ceux qui demeurent incertains (3 %). En d'autres mots, alors qu'une majorité de Canadiens (67 %) reconnaît une certaine mesure de responsabilité humaine dans le réchauffement climatique, seule environ la moitié d'entre eux embrasse le consensus scientifique selon lequel l'activité humaine en est la cause principale. « L'attribution d'une responsabilité causale est une nuance importante, souligne le professeur Lachapelle. Les gens qui ne sont pas convaincus du rôle que joue l'humanité dans le réchauffement planétaire seront réticents à changer leurs comportements ou à soutenir des politiques de réduction d'émission de gaz à effet de serre ».
Pas personnellement exposés aux risques
Peu de répondants se sentent personnellement exposés à un risque lié aux changements climatiques, et 24 % d'entre eux croient n'être exposés à aucun risque. Seuls 14 % des répondants se sentent grandement exposés à des risques climatiques, alors que 31 % croient qu'ils sont modérément exposés et les autres 31 % croient qu'ils sont exposés à un faible risque. « Ce sentiment d'invulnérabilité personnelle n'est toutefois pas dû à la croyance que les Canadiens seront capables de s'adapter à la nouvelle réalité climatique. Les Canadiens sont beaucoup plus portés à croire que ce sont les générations futures qui feront les frais des changements climatiques », précise M. Lachapelle.
En fait, près de la moitié des répondants (49 %) croient que les générations futures de Canadiens en souffriront beaucoup. Seuls 7 % des répondants croient que les générations futures ne souffriront pas des effets du réchauffement climatique, tandis que 13 % croient qu’elles souffriront un peu et que 30 % croient qu’elles souffriront modérément. « L’écart que nous observons quant à la perception du risque suggère que les Canadiens estiment que le réchauffement est un problème collectif plutôt qu’individuel », commente le professeur Lachapelle.
Même les mesures des provinces en faveur du climat ont peu contribué à sensibiliser les Canadiens à l’enjeu. En dépit de l’adoption de programmes de plafonnement et d’échange de droits d’émission au Québec et en Ontario, 44 % des répondants admettent ne rien connaître de cette politique et 37 % affirment en avoir entendu parler un peu. Seuls 19 % des répondants déclarent en avoir entendu parler beaucoup. « L’inaction du gouvernement fédéral explique en partie le faible niveau de connaissance des Canadiens en matière de politiques climatiques, mais elle n’est pas responsable à elle seule de leur ignorance, souligne le professeur Lachapelle. De fait, de nombreux Canadiens n’ont jamais entendu parler des programmes de plafonnement et d’échange de droits d’émission, malgré l’adoption de tels programmes par les deux plus grandes provinces ».
Les Canadiens ne sont en outre généralement pas disposés à payer plus pour soutenir la production d'énergie renouvelable : un quart des Canadiens préfèreraient ne rien payer du tout. Près de la moitié des répondants (44 %) seraient prêts à payer entre 1 et 100 $ par an pour la production d'énergie propre. Seul le tiers serait prêt à payer un montant plus important. Erick Lachapelle n’est pas surpris de ces résultats : « Les Canadiens ne sont pas prêts à payer plus cher pour des services qu'ils obtiennent déjà à bon marché. Il revient aux gouvernements de persuader le public que la transition vers une économie carboneutre s’accompagne de nombreux bénéfices. Parmi ceux-ci, on compte les possibilités d'amélioration de la qualité de l’air et de la santé publique, ainsi que d’innovation économique génératrice d’emplois et de croissance. Toutes ces conséquences attendues s’accordent avec les valeurs des Canadiens ».
Émergence d’un leadership politique
L’heure est néanmoins au changement. « Après toutes ces années durant lesquelles il était attendu du public qu'il exerce une pression sur le gouvernement, nous observons néanmoins l’émergence d’un leadership politique en la matière, commente M. Lachapelle. Les Canadiens élisent les politiciens pour qu’ils agissent en leaders. Les résultats de cette étude suggèrent qu'après des années d'inaction fédérale, le gouvernement Trudeau doit maintenant convaincre le public canadien de l’importance de l’enjeu climatique. L’élection d’un nouveau gouvernement fédéral, le blocage du projet d’oléoduc Keystone XL par Washington et la tenue de la 21e Conférence sur les changements climatiques à Paris constituent ensemble une conjoncture favorable pour un renouveau du leadership fédéral. Si les politiques climatiques sont bonifiées, le public ne sera pas loin derrière à les appuyer. Le gouvernement a désormais comme défi de s'efforcer de mieux communiquer les bénéfices de la transition vers une économie carboneutre », conclut M. Lachapelle.
À propos de cette étude
Le sondage pancanadien a été réalisé auprès d'un échantillon représentatif de 1014 Canadiens âgés de 18 ans et plus. Les entrevues téléphoniques ont été faites en français et en anglais, entre le 1er et le 15 septembre 2015. Les appels ont été effectués à partir d'annuaires de téléphones filaires (601 entrevues complétées) et mobiles (413 entrevues complétées). Jusqu’à sept appels ont été effectués pour joindre les répondants. Le taux de réponse RR3 de l’AAPOR est de 8 % dans l'ensemble. La marge d’erreur de l’échantillon complet est d’environ 3,1 %, 19 fois sur 20. Les résultats rapportés ont été pondérés quant au genre, à l’âge et à la région, de manière à refléter les paramètres du dernier recensement de Statistique Canada (2011).
Pour en savoir plus
Le rapport de recherche intégral sera publié par l’Institut de l’énergie Trottier au début du mois de décembre 2015.
Site Web du professeur Erick Lachapelle.