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Technologies quantiques : des petits trous pour stocker l’information


Illustration accompagnant l’article publié dans Advanced Materials par l’équipe du Pr Moutanabbir qui évoque comment on pourrait modifier et l’état de spin d’un électron de germanium par la lumière d’un laser (crédit : Laboratoire des semiconducteurs nanoscopiques et quantiques)
Pendant que d’autres misent sur les diamants ou les supraconducteurs pour développer les premières technologies quantiques, l'équipe du professeur Oussama Moutanabbir, elle, participe à l’émergence d’une troisième voie : celle des semi-conducteurs élémentaires à base de silicium, de germanium et d’étain. Le groupe vient de démontrer dans le magazine Advanced Materials une nouvelle façon de manipuler « l’information quantique » dans des structures de germanium sur puce de silicium. Une avenue particulièrement intéressante parce qu’elle s’appuie sur des technologies de production qui existent déjà.
Il y a encore quelques années de cela, passer un appel téléphonique à l’étranger par des lignes fixes impliquait que la conversation allait être accompagnée de délais entre chaque intervention. Nos communications avaient beau déjà s’appuyer sur de la fibre optique et des impulsions de lumière capables de faire le tour de la Terre en 130 millisecondes, rien n’y faisait.
Pourquoi? Parce que les signaux transitaient par des fils de cuivre et des dispositifs électriques beaucoup moins efficaces pour faire circuler l’information. Heureusement, on a aujourd’hui remédié au problème en remplaçant entre autres les fils de cuivre par de la fibre optique.
Un problème similaire persiste toutefois avec nos ordinateurs. Ceux-ci s’échangent peut-être de l’information par fibre optique, mais ils la traitent et la stockent toujours par l’intermédiaire de signaux électriques et magnétiques.
L’informatique quantique devrait changer la donne en remplaçant l’électricité par de la lumière et les propriétés magnétiques des atomes. Les chercheurs qui y travaillent ont déjà passé l’étape de la preuve de concept : on cherche maintenant à perfectionner les outils.
Coup d'oeil sur... L'informatique quantique |
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Plutôt que de stocker les données dans des semi-conducteurs ou des disques magnétiques sous la forme de « bits », les ordinateurs quantiques emmagasinent l’information dans les atomes eux-mêmes, dans des « qubits », en modifiant et en lisant l’angle avec lequel un électron ou une autre particule tourne sur elle-même. Un angle qu’on désigne comme son « spin ». Pareille technologie permet de multiplier la quantité d’information qui se cache dans une unité de mémoire. Plutôt que d’offrir deux options (1 ou 0) comme dans un bit, un qubit peut théoriquement exister dans une centaine de positions différentes, voire plus, dans la mesure où on peut modifier et lire l’état du spin d’une particule. Les ordinateurs basés sur cette technologie effectueront donc des calculs plus rapidement, mais seront surtout capables de stocker une quantité astronomique de données. Jusqu’ici, les chercheurs en ingénierie quantique ont fait des pas de géant en se basant sur deux approches, la première qui implique des diamants et la seconde des supraconducteurs. Dans le premier cas, ce sont des imperfections dans le cristal d’atomes de carbone du diamant qui servent à stoker et à lire un qubit grâce à un laser et des microondes. La technologie montre de belles promesses, mais sa production à grande échelle soulève des questions. Les supraconducteurs eux, sont utilisés pour créer un champ magnétique autour de l’électron d’un atome qu’on cible afin de contrôler au doigt et à l’œil son état de spin. Google, Intel et IBM misent entre autres sur cette stratégie. Mais il y a un hic : pour fonctionner, il faut maintenir l’atome ciblé à une température proche du zéro absolu, soit -273 degrés Celsius. Oussama Moutanabbir, professeur titulaire en génie physique à Polytechnique Montréal, fait partie d’un groupe de chercheurs internationaux qui ouvrent une voie alternative qui se démarque des deux autres par la facilité avec laquelle on pourrait l’implanter. |
Des trous pour stocker l'information
![]() Pr Oussama Moutanabbir (Photo : Polytechnique Montréal)
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Dans son article A Light-Hole Germanium Quantum Well on Silicon publié dernièrement dans Advanced Materials, l’équipe du professeur Moutanabbir démontre comment le germanium pourrait être utilisé pour développer des qubits capables d’interagir avec des photons optiques. L’avancée permet d’envisager des interfaces qui font le pont entre les mondes du quantique et de l’optique pour manipuler l’information quantique et la transmettre sur de longues distances dans des fibres optiques.
Ça semble assurément complexe, et c’est plutôt difficile à concevoir, mais ici, l’information n’est pas emmagasinée dans le spin d’un électron. On l’enferme plutôt dans le spin d’un endroit laissé vacant par un électron et qui se comporte comme une quasi-particule. Les scientifiques la désignent comme un « trou lourd » ou un « trou léger », mais pour mieux comprendre, on pourrait plutôt imaginer une simple bulle d’air qui tourne sur elle-même au centre d’un verre d’eau.
« Ces trous-là ont pour avantage d’être beaucoup moins affectés que les électrons par tout le bruit magnétique et énergétique ambiant », explique professeur Moutanabbir. « L’environnement quantique du trou est beaucoup plus calme. »
Sans entrer dans les détails, l’équipe de Polytechnique Montréal a démontré comment elle pouvait manipuler efficacement « l’état quantique » de trous légers en se servant de nouveaux alliages de germanium et d’étain pour créer des puits quantiques de germanium en introduisant une contrainte de traction (tension) dans le matériau. Ces puits quantiques sont directement intégrés sur des puces de silicium. L’avancée est importante parce que jusqu’ici, les scientifiques focalisaient leur attention sur les « trous lourds » dans le germanium, des quasi-particules dont l’interaction avec la lumière ne permet pas de préserver avec la fidélité l’information quantique à lire, selon le chercheur.
Il y a toutefois encore loin de la coupe aux lèvres pour faire du germanium et des semi-conducteurs du groupe IV SiGeSn l’avenue empruntée pour développer les ordinateurs quantiques de demain. « Nous sommes plusieurs années en arrière de ceux qui travaillent avec les supraconducteurs », admet Pr Moutanabbir.
Le chercheur entrevoit tout de même des niches où on pourrait adopter rapidement cette technologie, comme celle des « répéteurs quantiques », des stations intermédiaires disposées tout au long d’un parcours qui serviraient à copier l’information pour la transporter sans perte d’un point A à un point B.
L’avenir quantique dans les semi-conducteurs?
Même si les recherches à leur sujet sont moins avancées que pour le diamant ou les supraconducteurs, les semi-conducteurs ont un avantage marqué par rapport aux deux autres lorsque vient le temps d’imaginer des façons de fabriquer à grande échelle ces technologies.
« L’industrie de la microélectronique a fait en sorte qu’on maîtrise déjà très bien la fabrication de semi-conducteurs sur des gaufrettes de silicium », explique-t-il. « On pourrait donc fabriquer des dispositifs quantiques à grande échelle avec les mêmes procédés. »
La région de Montréal dispose d’ailleurs déjà de toute l’infrastructure à Polytechnique Montréal et à l’Université McGill pour fabriquer des semi-conducteurs pour des fins de recherche académique, souligne le chercheur.
Et qu’elle est la prochaine étape? Professeur Moutanabbir hésite. « Il reste beaucoup de travail à faire et on ne sait pas par quoi commencer », dit-il. Avec l’appui de la Fondation Canadienne pour l’Innovation, le Ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec, le Ministère de la Défense Nationale (IDEaS), le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), PRIMA Québec et les Chaires de Recherche du Canada, le chercheur travaille à mettre en place les équipements nécessaires pour tester les technologies qu’il développe et amener ce nouveau concept au niveau supérieur. « On espère aussi attirer de gros joueurs de l’industrie des semi-conducteurs pour mettre en place des infrastructures spécialisées afin d’étudier, par exemple, l’interaction des qubits et des réseaux de qubits avec des photons optiques », dit-il.
En savoir plus
Fiche d’expertise de Pr Oussama Moutanabbir
Article publié dans Advanced Materials
Site Web du Département de génie physique
Site Web du Laboratoire des semiconducteurs nanoscopiques et quantiques
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