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Un projecteur de pixels liquides pour traiter des surfaces avec précision

14 janvier 2021 - Source : NOUVELLES

C’est une innovation qui pourrait accélérer la réalisation de tests biochimiques et biologiques, en plus d’offrir de toutes nouvelles avenues aux chercheurs. Une équipe de Polytechnique Montréal vient de dévoiler son « afficheur chimique pixélisé », sorte de projecteur de liquide miniature qui permet d’effectuer simultanément des dizaines d’expériences à la fois. Les chercheurs ont dévoilé leur innovation dans la plus récente édition de la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS).

«Poly» sur un afficheur chimique pixélisé

En faisant circuler des fluorophores rouge ou vert à la surface de son afficheur, l’équipe de Thomas Gervais s’est permis un petit clin d’œil à son alma mater dans son article.


Au cours des 20 dernières années, le milieu de la recherche biomédicale a réalisé des bonds de géants en miniaturisant ses outils et en automatisant certaines opérations avec des robots. Un test réalisé jadis dans un tube de plastique s’effectue désormais dans l’un des nombreux puits d’une plaque de plastique qui tient dans la main et qui comporte 6, 96, voire 1 536 puits!

Le hic, c’est que certaines manipulations, comme le rinçage d’un puits ou l’ajout et le retrait d’un réactif, s’avèrent parfois fastidieuses, même pour un robot. En plus, on doit réaliser ces opérations en série, ce qui prolonge les procédures.

« Il est frappant de constater qu’en plus de 20 ans d’innovation en robotisation de la manipulation des liquides dans les laboratoires, les robots ne font encore que répéter le mouvement d’un bras humain », explique Thomas Gervais, professeur titulaire au Département de génie physique à Polytechnique Montréal et principal auteur de l’article. « En gros, ils robotisent le mouvement d’un technicien de laboratoire. Il y a vraiment place à l’amélioration de ce côté. »

L’innovation que vient de dévoiler son équipe permettrait de contourner ces problèmes.

La microfluidie comme alternative

Dans leur article intitulé « Pixel-based open-space microfluidics for versatile surface processing », les chercheurs ont présenté les prouesses d’un dispositif baptisé « afficheur chimique pixélisé » qui est capable de créer jusqu’à 144 pixels chimiques indépendants sur une surface d’à peine 1 cm2.

L’afficheur génère chaque pixel indépendamment grâce à une série d’ouvertures connectées à un réseau de tubulures. Ces ouvertures injectent ou aspirent les liquides, créant un écoulement qui sert à générer chaque pixel chimique lorsqu’on rapproche cet afficheur d’une surface à traiter.
 

Afficheur chimique pixélisé

L’afficheur génère chaque pixel coloré à sa surface grâce à une série d’ouvertures (points gris) qui sont connectées à un réseau de tubulures où on injecte ou aspire les liquides. Plutôt que de se mélanger, les liquides se repoussent et créent des pixels. C’est là une étonnante propriété des écoulements de liquides à l’échelle microscopique.


« C’est une approche complètement différente à la manipulation des fluides, qui sort de ce paradigme de puits et de pipettes », explique Pr Gervais. « Les afficheurs permettent l’écoulement de réactifs dans des dizaines, voire des centaines de zones adjacentes ».

L’équipe de Polytechnique prend avantage d’une particularité de la physique des liquides à l’échelle microscopique, ajoute le chercheur. « Une telle approche ne pourrait jamais fonctionner à l’échelle macroscopique », souligne-t-il. « Les fluides sous ce dispositif se mélangeraient les uns avec les autres. Mais à l’échelle microscopique, les fluides comme l’eau on la propriété fondamentale de se déplacer sans aucune turbulence et donc de se mélanger très, très lentement. »

Selon Thomas Gervais, pareille approche permettra de générer des zones de test sur n’importe quelle surface plane, sans avoir recours à des puits ou à d’autres reliefs physiques. Cette stratégie permet aussi de faire varier la composition chimique de chaque pixel indépendamment au fil du temps, ce qui ouvre la porte à l’automatisation des expériences.

Plusieurs dispositifs basés sur l’écoulement continu de fluides sur des surfaces ont déjà vu le jour jusqu’ici, mais celui mis de l’avant par l’équipe de Polytechnique Montréal est le premier à laisser entrevoir une parallélisation massive des expériences. « Notre approche est modulaire », précise Pr Gervais. « Tout comme un écran d’ordinateur pourrait être créé avec différentes dimensions et nombres de pixels, nos afficheurs chimiques sont basés sur des pixels qui peuvent être répétés afin d’obtenir le nombre de zones de test et la dimension désirée. »

 

Thomas Gervais, professeur agrégé au Département de génie physique de Polytechnique Montréal.

Thomas Gervais, professeur titulaire au Département de génie physique.


Dans un précédent article, le groupe avait démontré la possibilité d’utiliser une approche similaire pour automatiser des tests immunologiques. Cette fois-ci, les chercheurs se sont plutôt intéressés au traitement de surface en démontrant qu’il était possible d’utiliser leur afficheur comme s’il s’agissait d’une estampe dynamique pour transférer des protéines sur une surface en un point bien déterminé. Le groupe a aussi démontré l’utilité de son approche en électronique flexible en déposant des circuits d’argent sur des films plastiques.

« Ce sont deux expériences complètement différentes qui démontrent bien la flexibilité de notre technologie », indique Thomas Gervais. Selon lui, l’afficheur chimique reconfigurable pourrait surtout profiter au secteur des sciences de la vie dans une foule d’applications. « On pourrait par exemple tester différentes conditions sur une culture cellulaire directement dans un Petri, ou tester différents réactifs sur un tissu ou une biopsie », confie le chercheur.


Pour en savoir plus

Article publié dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America
Fiche d’expertise du professeur Thomas Gervais
Site du Département de génie physique

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