
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Sofiane Achiche, éternel étudiant
Portrait de professeur
D’Alger à Montréal, en passant par Copenhague et São Paulo, le parcours de Sofiane Achiche est guidé par le désir d’apprendre, un désir qu’il souhaite plus que tout transmettre à ses étudiants.

Une jeunesse prometteuse
« Je suis né à Alger dans un milieu très modeste. Mes parents, originaires d’une région rurale de Kabylie, n’avaient pu accéder qu’à une scolarité des plus minimes. Pour eux les études représentaient quelque chose de prestigieux, et il était important que leurs enfants réussissent à l’école. Aussi, bien que n’étant pas particulièrement sévère avec nous, mon père se montrait très exigeant quand il s’agissait de nos résultats scolaires », rapporte le Pr Achiche, qui a toujours comblé les espoirs parentaux avec ses brillants bulletins scolaires.
Ses prédispositions pour les matières scientifiques l'ont orienté vers des études en génie à l’université d’Alger. Sorti major de sa promotion, le jeune ingénieur a démarré sa carrière dans des entreprises locales, mais n’a guère trouvé de débouchés correspondant à ses aspirations. « Nous étions dans les années 90 et l’Algérie, secouée par une vague de terrorisme, vivait une période de grande instabilité économique et politique. Si je souhaitais me réaliser professionnellement et vivre dans une société en paix, je savais qu’il me fallait partir, relate-t-il. Le Canada, où ma sœur s’était installée depuis peu, représentait cet espoir de vie meilleure. »
Un voyage semé d’embûches
Accepté au programme de maîtrise en génie mécanique à Polytechnique, sous la direction des Prs Marek Balazinski et Luc Baron, Sofiane Achiche a entrepris les démarches pour émigrer. Dès lors, il s’est trouvé en butte à des « tracasseries administratives » qui ont mis sa ténacité à l’épreuve.
D’abord, sa première demande de visa fut refusée, les services de l’immigration n’ayant pas été convaincus par sa lettre de motivation. « J’ai donc écrit une nouvelle lettre, qu’il me fallait faxer. Je me suis rendu au moins trois fois par semaine au bureau de postes pour la faxer et j’ai répété l’opération pendant plusieurs semaines, jusqu’à ce que j’obtienne enfin une convocation à l’ambassade canadienne », se souvient le professeur, qui aime à citer un proverbe arabe signifiant « Celui qui ne baisse pas les bras sortira toujours victorieux contre l’adversité ».
« Quand enfin j’ai pu prendre l’avion pour le Canada, mon vol avait un arrêt à Madrid », reprend-il. « Là, on m’a fait des ennuis aux douanes, car je ne possédais pas de billet de retour. Je me suis vu retirer mon passeport ! C’est grâce à l’intervention d’une agente consulaire canadienne rencontrée à l’aéroport que j’ai pu finalement réembarquer. »
Il n’oubliera jamais son arrivée à deux heures du matin à l’aéroport de Mirabel où, exténué et encombré de ses énormes valises, il a voulu prendre un chariot. Celui-ci refusait de rouler! Échaudé par ses expériences avec les représentants de l’autorité, c’est avec appréhension qu’il a vu un agent de sécurité s’approcher… « Mais cet agent venait juste m’aider à prendre le chariot, et il s’est montré des plus aimables. Il représente ma première impression du Québec et symbolise encore pour moi le sens de l’accueil québécois! »
Épris de liberté intellectuelle
Durant sa maîtrise en génie mécanique puis son doctorat en fabrication industrielle, Sofiane Achiche a l’occasion de donner des cours et prend goût à l’enseignement. Son doctorat terminé, il travaille pendant un an au Centre de recherche industrielle du Québec, puis ressent à nouveau un élan vers de nouveaux horizons. Il est engagé comme professeur de mécatronique, conception et développement de produits à l’Université technique du Danemark à Copenhague, où il demeure six ans.
Cette expérience dans la capitale danoise – la plus belle ville d’Europe à ses yeux – a beaucoup accru sa sensibilité au design. « L’influence de l’esthétique du produit sur son utilisateur, ainsi que le lien émotionnel qui peut se créer entre eux sont des aspects que j’ai pu explorer librement dans mon travail, car au Danemark, les professeurs subissent une pression moins forte que leurs collègues nord-américains concernant la recherche de financement. »
De retour à Montréal, il devient professeur au Département de génie mécanique de Polytechnique et mène des recherches dans les domaines de la conception de systèmes mécatroniques, ainsi que de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage machine appliqués aux procédés de fabrication, au développement de produit et au design.
« Ma spécialisation me fournit des occasions de collaborations dans un spectre de domaines très étendu : je travaille tout aussi bien sur des projets en aérospatiale, dans la conception de drones notamment, que sur des projets en génie biomédical, en particulier sur des systèmes robotiques venant en aide à des enfants ayant un handicap. Je m’en réjouis, car je m’ennuierais à mourir si je devais faire de la recherche "verticale"! Quel que soit le domaine, mes motivations principales sont l’échange d’idées avec d’autres chercheurs, l’apprentissage de nouvelles notions – car je demeure un éternel étudiant –, ainsi que la possibilité d’avoir un impact humain positif. »
Mû par son désir insatiable d’apprendre, le Pr Achiche est retourné récemment à l’Université technique du Danemark dans le cadre d’un congé sabbatique. Il a ensuite passé neuf mois au Brésil, où il a collaboré avec une entreprise à un projet associant robotique et vision artificielle. Ce fut l’occasion pour ce polyglotte d’apprendre à parler couramment le portugais, lui qui maîtrisait déjà six langues.
Attentif au parcours de ses étudiants
Le Pr Achiche est tout autant stimulé par la dimension humaine de l’enseignement que par celle de la recherche. Il trouve essentiel d’établir une connexion avec ses étudiants. « J’aime leur intelligence, leur énergie. Je suis attentif à leur évolution, tenant compte de là d’où ils partent, car je suis bien placé pour savoir que les chances au départ ne sont pas égales. C’est entre autres pourquoi je suis très sensible à la discrimination. »
Il reconnaît qu’aujourd’hui, les jeunes ont beaucoup plus d’options d’études qu’à son époque. Il exprime un grand respect pour celles et ceux qui, de tous les choix possibles, font celui d’étudier en génie malgré l’exigence des programmes.
« Enseigner, c’est un acte de transmission, conclut-il. Pas seulement de transmission de connaissances, mais de l’envie véritable d’apprendre une matière, indique-t-il. Une des plus belles récompenses pour un professeur, c’est de voir que ce qu’il enseigne a une influence positive sur le développement de ses étudiants. »