
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Un nouveau regard sur la différence
Grand dossier - Bâtir sa vie en région quand on vient de l'international
« S’adapter à un nouveau pays, c’est assez rapide : en quelques mois, c’est fait. Ce qui est plus long, c’est d’accepter la différence, affirme Hichem Ighouba, Po 2015. C’est-à-dire accepter qu’absolument tout soit différent et qu’on doive abandonner tous ses repères. Ma seule certitude en arrivant au Québec, c’est que j’étais là pour rester. »

Hichem Ighouba
Un marché de l’emploi peu favorable
Venu d’Algérie en 2010 pour étudier au baccalauréat en génie civil à Polytechnique, il se souvient comme d’hier de son arrivée. « Je suis arrivé le 25 décembre. C’était glacial. Et tout était fermé. J’ai vécu beaucoup de stress au début dans mes études, car venant d’un système différent, je devais fournir plus d’efforts que la plupart des autres étudiants pour me maintenir au niveau. J’aurais dû me mettre moins de pression, prendre moins de cours par trimestre et me laisser le temps de profiter de la vie étudiante. Je me suis tout de même impliqué, les années suivantes, auprès du Service aux étudiants, en tant que mentor pour les nouveaux arrivants », témoigne le diplômé.
Ces années-là, le contexte du marché de l’emploi dans le secteur du génie civil est difficile. « Même les stages étaient difficiles à obtenir. J’ai eu la chance de trouver le mien en Algérie, chez SNC-Lavalin. Quand j’ai obtenu mon baccalauréat, il m’a fallu sept mois pour décrocher un emploi. Il ne correspondait pas vraiment à mes réels intérêts, mais je l’ai pris comme une occasion d’acquérir une expérience. Il s’agissait d’un poste dans un laboratoire d’essais géotechniques. J’y suis resté six mois. Puis, j’ai travaillé durant six autres mois comme estimateur en finition intérieure des bâtiments. »
L’expérience du Nord
M. Ighouba obtient ensuite un emploi saisonnier à la Baie-James qui lui ouvre de nouvelles perspectives. « J’étais assistant chargé de projet en construction civile et voirie pour la Compagnie de construction et de développement crie. J’étais responsable pendant neuf mois d’un campement de 15 personnes en territoire cri. Nous vivions dans des roulottes, dans le bois, sans téléphone ni réseau. C’était comme vivre dans un autre pays, avec d’autres règles du jeu. J’ai appris à la dure! Mais ce fut très formateur. J’ai développé mon sens de la diplomatie. »
Cette expérience lui permet d’obtenir un poste à Val-d’Or comme chargé de projets chez Services Miniers Nord-Ouest. « Seul ingénieur de mon équipe, je m’occupais de tout : estimation, gestion de projet, contrôle de qualité sur le terrain, etc. J’ai énormément appris là aussi, notamment auprès des contremaîtres expérimentés. »
La vie à Val-d’Or est confortable, mais l’isolement représente un défi. « Je me suis joint à une petite communauté "d’expatriés" comme moi qui s’est créée sur Facebook pour organiser des activités. »
En octobre 2020, il entre chez Canadian Royalties, une société minière qui l’envoie au Nunavik. «Je travaille en fly-in, fly-out (NDLR : horaire de rotation). J’aime cela, car cela me permet de me déconnecter, loin des problèmes de la ville, depuis que je suis redevenu citadin à mi-temps. » (En effet, comme il s’est marié entretemps, il vient rejoindre son épouse en ville pendant ses congés.)
Celui qu’on appelle « le Canadien » quand il retourne voir sa famille en Algérie se sent changé par son expérience : « Avant, j’ignorais que le Québec est si vaste et qu’il existe autant de différences culturelles entre ses régions. À mon arrivée, je me sentais différent des autres, aujourd’hui, je me rends compte que c’est le cas de tout le monde. »