Carrefour de l'actualité

Prendre de la hauteur avec le Pr Ludvik Martinu

Portrait de professeur

Par Catherine Florès
17 juin 2022 - Source : Magazine Poly  | VersionPDFdisponible (Été 2022)
17 juin 2022 - Source : Magazine Poly
VersionPDFdisponible (Été 2022)
Professeur Ludvik Martinu
Le Pr Ludvik Martinu, Département de génie physique. Photo : Denis Bernier


UN PHYSICIEN CHEZ LES INGÉNIEURS

Ses parents, son frère, son épouse : tous ingénieurs. Malgré un tel cercle familial, Ludvik Martinu n’est devenu lui-même ingénieur qu’assez tardivement, alors que sa carrière à Polytechnique était déjà entamée. Car lui, c’est sous le charme de la physique qu’il était tombé.

« Jeune, je m’intéressais à la littérature, à l’histoire, aux mathématiques ainsi qu’à l’apprentissage des langues », se souvient ce professeur au Département de génie physique de Polytechnique Montréal. « J’ai d’ailleurs obtenu un diplôme d’État de mon pays d’origine, la Tchécoslovaquie comme on l’appelait alors, qui m’aurait permis d’enseigner les langues étrangères. » Outre sa langue maternelle, il maîtrise en effet l’allemand, le russe, l’anglais et le français. Sa préférence s’est cependant portée vers les sciences. « Durant mes études secondaires, les mathématiques me fascinaient au point que je me voyais devenir mathématicien, mentionne-t-il. J’avais pour modèles les excellents professeurs qui m’ont enseigné cette matière. Cependant, vers 18 ans, c’est en participant à des olympiades rassemblant les meilleurs étudiants du pays que j’ai changé ma perspective, grâce à un physicien venu nous donner un cours d’introduction à sa discipline pendant trois semaines. Je me suis mis à considérer les mathématiques comme des outils pour faire avancer les connaissances en physique et faire évoluer les technologies. »

Décidé à devenir physicien, il doit alors choisir entre deux domaines en plein essor en ce début des années 80 : la physique cybernétique et la physique des composants électroniques, précurseure des nanotechnologies. C'est cette dernière qui obtient sa préférence. « Découvrir des façons de créer de la nouvelle matière sous forme de couches minces, étudier les caractéristiques physicochimiques de celles-ci : je trouvais cela passionnant. J’ai été admis à l’Université Charles de Prague. Fondée en 1348, c’est une des plus anciennes d’Europe, poursuit le Pr Martinu, toujours féru d’histoire. Or, cette université possédait un laboratoire de physique électronique de réputation internationale. »

UNE UNIVERSITÉ DE RENOM SUR UNE MONTAGNE…

Accomplir ses études supérieures dans un domaine en vogue donne au jeune chercheur l’occasion de participer à de nombreux congrès internationaux et donc de développer ses contacts dans le monde de la recherche. Une fois son doctorat obtenu, c’est par le biais de ce réseau qu’il prend connaissance de la possibilité d’être accueilli à Polytechnique comme chercheur invité.

Pour Ludvik Martinu, qui adore la nature et la majesté des paysages montagnards, le lieu de travail rêvé serait une université de renom nichée au milieu des montagnes. Certes, le mont Royal ne rivalise pas avec les Alpes, mais Polytechnique lui paraît somme toute proche de son idéal. « Lors de ma première journée à Polytechnique, je me suis débrouillé pour accéder au toit du pavillon principal, afin de profiter de la vue, avoue-t-il. Regardés d’un point de vue suffisamment élevé, les problèmes du monde deviennent tout petits! »

Assez rapidement, Ludvik Martinu devient associé de recherche dans l’équipe du Pr Michael Wertheimer, un éminent spécialiste des films minces au Département de génie physique qui développe de solides partenariats avec l’industrie. À ses côtés, Ludvik Martinu se perfectionne dans l’art d’établir des collaborations avec des entreprises. Dans les années 90, le taux d’embauche de nouveaux professeurs à Polytechnique est loin d’atteindre le niveau actuel. Mais, grâce à la Chaire CRSNG créée par le Pr Wertheimer, Ludvik Martinu obtient un poste de professeur en 1994. Il devient ainsi le plus jeune professeur du Département de génie physique. Dix ans plus tard, il se voit offrir la direction du département. « Le règlement de Polytechnique exigeait que j’obtienne le titre d’ingénieur pour exercer cette fonction. C’est à ce moment-là seulement que j’ai passé l’examen de l’Ordre des ingénieurs du Québec. »

INTÉRÊT CROISSANT DE L’INDUSTRIE

Les projets du Pr Martinu visant la conception de nouveaux matériaux avec des caractéristiques spécifiques pour répondre à des besoins industriels particuliers ne tardent pas à attirer l’attention des entreprises. De plus, l’implication croissante du chercheur auprès d’une société savante dédiée aux technologies de dépôt de revêtements sous vide pour le traitement des surfaces, la Society of Vacuum Coaters, offre à ses travaux une grande visibilité auprès des entreprises membres de cette organisation internationale (dernièrement, M. Martinu en est devenu le président, le premier issu du monde universitaire et le premier venant de l’extérieur des États-Unis).

En 1998, le Pr Martinu fonde le laboratoire de revêtements et ingénierie des surfaces et démarre une collaboration étroite avec la Pre Jolanta-Ewa Sapieha, spécialisée dans les revêtements protecteurs durs et ultra-durs. Les projets féconds issus de cette collaboration font naître un projet de chaire soutenu par des entreprises du domaine des télécommunications. Mais l’éclatement de la bulle des télécommunications en 2000 bloque le projet. L’équipe du Pr Martinu réoriente alors ses activités vers de multiples autres secteurs : aérospatial, manufacturier, optique, énergétique, biomédical, notamment.

En 2012, la Chaire de recherche industrielle multisectorielle du CRSNG en revêtements et en ingénierie des surfaces est enfin créée. Il s’agit à l’époque de la seconde plus grande chaire de recherche au Canada et la plus importante dans le domaine des technologies propres.

APPROCHE HOLISTIQUE

Le succès de ses projets s’explique en partie par son approche holistique du traitement des surfaces, croit le Pr Martinu. « La recherche en ingénierie demande une vérification permanente du bien-fondé de nos solutions. Or, plus on fait progresser le domaine des revêtements et des procédés, moins les normes qui permettaient la vérification peuvent s’appliquer. C’est pourquoi mon équipe développe en même temps que des revêtements, les techniques pour les tester et les caractériser. Je parle de leur caractérisation non seulement fonctionnelle, mais aussi des propriétés liées à leur cycle de vie et à leur impact environnemental, économique et sociétal. Ces dimensions, négligées par le passé, ont pris une importance centrale. Ceci acquis, nous pouvons ensuite travailler sur le développement des procédés. Avec une telle démarche, nous ne sommes plus limités que par notre imagination, surtout depuis que nous pouvons profiter des nouvelles possibilités apportées dans notre domaine par l’apprentissage automatique. »

SAVOIR CE QUE L’ON VEUT ATTEINDRE DANS SA VIE

« Je constate une sorte de désarroi parmi la nouvelle génération d’étudiants quand il s’agit de trouver leur place et de définir leurs objectifs de vie », rapporte le professeur. « Je crains qu’il leur soit difficile de faire le tri parmi les informations dont ils sont inondés. On doit leur fournir des méthodes pour cela. Je m’efforce aussi de leur apprendre l'importance de la persévérance, ainsi que la nécessité d’avoir des objectifs de vie et pas seulement de carrière. Je crois qu’il faut avoir des points de référence, qui peuvent être incarnés par des modèles, voire des contre-modèles. Aujourd’hui, les médias nous assènent qu’on ne doit surtout pas vouloir être comme quelqu’un d’autre et survalorisent l’individualité et la différence. Mais je pense que les modèles nous aident à nous approcher d’un idéal, voire nous rappeler ce qu’on ne souhaite pas devenir. Par ailleurs, on doit se laisser la liberté de changer d’objectif en cours de route, selon les circonstances de la vie. »

Lauréat cette année du Prix d'excellence en recherche et innovation de Polytechnique, Ludvik Martinu voit en ce prix une récompense pour les immenses efforts fournis par son équipe au grand complet pour faire avancer les connaissances sur les revêtements multisurfaces, ainsi que pour attirer de nouveaux talents et les aider à propulser leur carrière. Il espère aussi que les prix comme celui-ci puissent inspirer les nouvelles générations d’ingénieurs.

À lire aussi

20 avril 2022
NOUVELLES

Polytechnique Montréal décerne le Prix d’excellence en recherche et innovation 2022 au professeur Ludvik Martinu

13 novembre 2019
NOUVELLES

Le professeur Ludvik Martinu distingué par deux prestigieuses institutions