
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Pour un succès collectif et à dimension humaine
Point de vue
Vingt-six ans après avoir reçu son diplôme de baccalauréat en génie industriel, Maud Cohen est revenue cet été à Polytechnique Montréal en tant que directrice générale. Être la première femme à réaliser ce mandat en 149 ans d’existence de Polytechnique n’intimide aucunement cette gestionnaire aguerrie, qui fut également la troisième femme à présider l’Ordre des ingénieurs du Québec, de 2009 à 2012. Résolument tournée vers l’avenir, elle entend rassembler les membres de la communauté de Polytechnique, riches de leur diversité, autour d’un projet, celui d’avoir un effet transformateur sur la société.

Maud Cohen, directrice générale de Polytechnique de Montréal. Photo : Bénédicte Brocard
Un attachement inaltérable
« Polytechnique, c’est mon alma mater. Durant mon baccalauréat, je m’y suis épanouie comme je n’aurais jamais imaginé pouvoir le faire. Je suis tout autant attachée à Polytechnique qu’à la profession d’ingénieur », déclare d’emblée Maud Cohen. Chez elle, ce sentiment est nourri par la conscience de l’impact positif et conséquent que les ingénieurs peuvent avoir dans la société. À ses yeux, Polytechnique incarne cet impact-là. « J’ai la certitude que Polytechnique peut, et doit, contribuer à transformer le monde. Notre université n’est-elle pas en position privilégiée pour le faire, avec tous ses talents et ses expertises, ainsi que tous ses réseaux locaux et internationaux? »
Madame Cohen trouve extraordinairement stimulant de participer à cette mission, surtout auprès de gens aussi engagés que les membres de Polytechnique. « Ce sont des gens de cœur, qui ont envie de permettre à Polytechnique d’aller plus loin dans ses réalisations par rapport aux grands enjeux d’aujourd’hui et de demain. Je pense évidemment à ceux liés au développement durable, mais aussi à ceux de la santé, de la cybersécurité, des télécommunications, etc., devant lesquels tous nos programmes se situent en première ligne. »
Former un ingénieur citoyen, en prise directe sur la société
Selon Mme Cohen, le rôle de l’ingénieur dans la société devrait être davantage reconnu. À cet effet, il faut que l’ingénieur prenne acte de son lien avec la communauté, estime-t-elle. « Les grands projets de société ne se réalisent pas en vase clos. L’ampleur des problématiques actuelles nécessite aujourd’hui une réflexion beaucoup plus globale, que l’ingénieur doit mener en collaboration avec diverses communautés, dont les communautés de pratique. Il revient aux équipes de Polytechnique de chercher la meilleure façon de former cet ingénieur pleinement conscient de son impact et de son rôle dans la création de liens avec les communautés. »
Penser le succès autrement
Cette ouverture à d’autres communautés attendue des ingénieurs implique qu’eux-mêmes soient formés en milieu inclusif, souligne-t-elle. « C’est une condition de notre succès en tant qu’université. De nombreuses études le montrent : les organisations qui font place à plus de diversité se révèlent plus performantes et plus efficaces. Elles sont capables d’appréhender les problématiques de façon complètement différente que par le passé, car elles adoptent des perspectives plus larges et encouragent des échanges plus riches. »
Fervente supportrice de l’approche équité, diversité et inclusion (EDI), elle se réjouit que Polytechnique affirme son engagement envers cette approche dans ses politiques. « Je considère que l’EDI doit pleinement s’intégrer dans les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) permettant de mesurer la soutenabilité et l’impact social d’une organisation. Bien sûr, devoir considérer des points de vue différents exprimés par des personnes de tous les horizons peut parfois être déstabilisant, mais quel enrichissement apporté à nos réflexions, et même à notre travail quotidien! Je prône pour cela une démarche qui n’est pas celle de la confrontation, mais la recherche collective de solutions à des enjeux communs, dans laquelle chacun peut exprimer sa sensibilité et ses perspectives ».
Ses trois mots préférés
Quels sont les trois mots qui expriment le mieux les valeurs de Maud Cohen?
« Le premier est authenticité : respecter qui on est dans sa façon d’être avec les autres, indique-t-elle. Pour moi, cela implique la transparence, dans le leadership comme dans la vie personnelle, ainsi que la cohérence dans ses choix et ses actions. Cela implique aussi l’éthique, car on doit respecter ses valeurs et les incarner.
« Le désir d’authenticité a amené un changement important d’attitude chez les leaders, remarque-t-elle. « Par le passé, il fallait se montrer invulnérable pour être reconnu, ce qui poussait à éviter de parler de ses enjeux pour ne pas paraître faible. Les premières femmes qui ont brisé le plafond de verre n’ont pas eu le choix de mimer ce comportement et de mettre en avant leur force. Elles avaient un côté "dames de fer". Mais elles ont été extraordinaires, car elles nous ont ouvert la voie. Aujourd’hui, hommes et femmes peuvent diriger en exprimant un visage plus humain. On accepte mieux que leur force ne réside pas dans la dissimulation de leurs difficultés, mais dans leur résilience et leur capacité à résoudre ces difficultés. Un bon leader sait parler des enjeux et sait fédérer les gens pour les affronter. »
Le deuxième mot qui lui vient à l’esprit est impact. « Je regrette qu’en français, ce mot possède une connotation plutôt négative, dans le sens d’un heurt. Je l’emploie quant à moi pour exprimer la notion d’un effet positif marquant. La volonté d’avoir un impact a guidé la seconde moitié de ma carrière. J’ai cherché à exercer des fonctions non seulement stimulantes, mais qui me permettaient en même temps d’agir pour apporter une amélioration concrète à la société. »
Autre mot qui lui est cher : la famille. « C’est quelque chose de central dans ma vie. Je suis fille unique, d’un père immigrant et d’une mère québécoise, mais j’ai grandi au sein d’une famille tissée serré, pleine d’oncles, de tantes, de cousins et de cousines dont j’étais très proche. Ma mère était l’organisatrice en chef des réunions de famille du temps des Fêtes. Après son décès, j’ai repris le flambeau. Pendant la pandémie, ce sont ces joyeuses réunions qui m’ont manqué le plus. Pour moi, la famille est un milieu sécurisant, où chacun est aimé et accepté pour ce qu’il est. Cet esprit de famille m’inspire dans mes relations amicales et dans le climat que j’essaie d’instaurer dans les organisations où je travaille. Je cherche à créer des environnements où il fait bon travailler ensemble, où l’on favorise l’échange d’idées plutôt que la confrontation de personnalités. »
Épanouissement au travail
Mme Cohen considère que le plaisir de travailler ensemble est un facteur clé de l’épanouissement dans une organisation. Habitée par le souvenir heureux de sa vie étudiante, elle est ravie de retrouver l’effervescence de la collectivité propre à Polytechnique. « Dès la première assemblée de direction à laquelle j’ai participé, j’ai reconnu chez mes collaborateurs ce goût de réaliser des projets et ce plaisir de le faire ensemble. Je souhaite que nous le cultivions à travers nos différentes activités. »
Donner du sens à nos actions
Actuellement fort occupée à rencontrer les équipes de Polytechnique ainsi que la communauté élargie afin de bien saisir les enjeux et les priorités, la directrice générale perçoit nettement l’envie de succès collectifs exprimée par tous les groupes. Elle souhaite enclencher un processus de réflexion commune visant à déterminer où concentrer la plus grande part des énergies pour atteindre ces beaux succès espérés.
« Notre communauté étudiante, notre corps professoral, notre personnel, la Fondation et Alumni, ainsi que les bénévoles, de même que les équipements de notre campus, tout cela constitue une richesse extraordinaire qui fait de Polytechnique un joyau. Mais ce joyau n’est pas encore entièrement découvert. Je pense que notre 150e anniversaire, que nous célébrerons en 2023, sera l’occasion idéale pour le faire.
« S’il est important de célébrer ce qu’on a réalisé, il est encore plus important – et plus difficile – de se remettre en question pour affronter l’avenir. Une personne d’une grande sagesse m’a dit un jour : "Les organisations qui ne se sont pas encore réinventées sont en train de le faire. Et si elles n’ont pas encore commencé à le faire, même si elles avaient une position de leaders, elles vont se faire rattraper par les autres et perdre de leur pertinence." Perdre de sa pertinence est à mes yeux plus grave que de se faire rattraper. C’est pourquoi, en fêtant notre 150eanniversaire, je souhaite que nous réfléchissions à la façon dont Polytechnique pourra rester pertinente dans les prochaines décennies.
« Je veux dire à nos étudiants et étudiantes de continuer à exiger plus et mieux de leur université d’ingénierie. Faites-nous connaître votre perspective, car c’est vous qui allez, demain, apporter des solutions aux considérables enjeux. Vous avez du talent et une grande sensibilité envers votre rôle social. Continuez à nous mettre au défi! C’est ainsi que nous allons demeurer pertinents. »