
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Noémy Gagnon-Lafrenais, le génie est dans ses cordes
La relève en vedette

Noémy Gagnon-Lafrenais, violoniste baroque et étudiante en génie chimique. Photo : Mari Photographe
On ne croise pas tous les jours une violoniste spécialiste de la performance historique du répertoire baroque et classique, ainsi que de la musique de chambre du 19e siècle. Il est encore moins fréquent d’en rencontrer une qui entreprend des études d’ingénieur alors que sa carrière artistique est lancée. Cet oiseau rare, c’est Noémy Gagnon-Lafrenais. Bien décidée à accrocher un baccalauréat en génie chimique aux côtés de ses diplômes de prestigieuses écoles de musique, celle-ci se partage depuis trois ans entre la scène et Polytechnique.
FORMATION ARTISTIQUE
Noémy Gagnon-Lafrenais tient son premier archet à l’âge de quatre ans, encouragée par sa famille de mélomanes. Originaire de l’Estrie, elle mène ses études secondaires dans une école à vocation musicale à Sherbrooke, puis vient s’installer à Montréal. « Pour le cégep, j’ai postulé dans des programmes de musique et de sciences pures. J’ai été admise dans tous, mais j’ai choisi la musique, ce qui a décidé de mon orientation pour les 10 années suivantes. De l’âge de 16 à 27 ans, je me suis entièrement consacrée au violon », rapporte-t-elle.
Diplômée d’un baccalauréat en musique du Conservatoire de Montréal en 2009, la jeune musicienne part en Californie pour y poursuivre ses études au Conservatoire de San Francisco. C'est là-bas que naît sa passion pour la musique baroque. Elle obtient sa maîtrise en 2011 et un certificat d’art en musique de chambre en 2013. « Cette année-là, j’ai découvert une niche qui m'était alors inconnue : le répertoire pour violon et continuo de la fin du 17e siècle. Il se prête à l'utilisation d'instruments qui sont montés (chevalet, âme, cordes de boyau, copies d'archets historiques) de façon à émuler des conditions de performance proches des conditions de création des oeuvres, ce qu’on appelle l’interprétation historique. » La même année, elle est acceptée à la sélective école Juilliard, à New York, pour y étudier l’interprétation historique du répertoire baroque et classique. Elle en sort diplômée de sa deuxième maîtrise en 2015.
INTERROGATIONS
Après ses études, la brillante violoniste se dédie à sa carrière, sillonnant avec succès les scènes canadiennes, américaines et européennes. En 2021, elle est nommée violon solo d’Arion Orchestre Baroque, une formation réputée qui oeuvre sur la scène québécoise, canadienne et internationale depuis plus de 45 ans. Les interprétations de Noémy Gagnon-Lafrenais donnent vie à la découverte et aux émotions. « Je joue présentement avec deux violons anciens : un Salomon datant de 1756 et un Joseph Wassermann de 1737. Chaque instrument est unique et répond différemment aux paramètres de jeu. Un musicien curieux adapte son jeu et sa technique à chaque instrument. C’est ainsi qu’il développe une plus grande palette de couleurs et d'expressions. »
À partir de 2017, elle vit cependant une période de questionnement. Malgré la reconnaissance de son talent, elle se sent parfois à l’étroit dans le milieu de la musique classique. « C’est un milieu dont les pratiques s’appuient fortement sur de longues traditions. Or, moi, je sors facilement du cadre », témoigne la musicienne. Volubile et fébrile, celle-ci laisse deviner une personnalité intense et un brin fantasque. « J’étais aussi prise d’écoanxiété. Je ressentais le désir de contribuer de façon active aux changements qui s’opèrent dans notre société. J’ai pensé qu’exercer un métier en environnement comblerait davantage ce besoin. »
TOURNANT MARQUANT
À la veille de son trentième anniversaire, sans abandonner son violon, elle effectue son retour aux études, estimant qu’une formation scientifique lui permettrait de mieux comprendre les enjeux environnementaux. En 2019, une fois ses cours scientifiques complétés au cégep, elle entre à Polytechnique. Évoquant sa nouvelle vie, elle confirme qu’étudier en génie et mener de front une carrière de musicienne classique s’avère extrêmement exigeant. « J’ai dû passer beaucoup d’heures sur les mathématiques pour rattraper le niveau. Et quand les examens finaux tombent le même jour qu’un concert, je vis des journées assez folles. Heureusement, l’apprentissage du violon m’a appris la persévérance et le sens de l’organisation, mais je dois oublier les loisirs pour un moment! »
Paradoxalement, la pandémie a facilité sa vie : « L’annulation de certains concerts m’a permis de concentrer mon énergie sur mes études et de reprendre mon souffle. » Elle se réjouit également d’avoir reçu un avant-goût du domaine de la recherche en génie, grâce à un stage associé à une bourse du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, réalisé au sein du laboratoire du Pr Fabio Cicoira : « J’ai ainsi pu collaborer à la rédaction d’articles scientifiques qui ont été publiés dans Advanced Materials et Printed and Flexible Electronics. »
Se sent-elle en décalage en face d’étudiants de 10 ans plus jeunes qu’elle? « L’âge n’est pas un enjeu. Je connecte avec mes pairs sans difficulté. Certains de mes amis ou collègues musiciens sont bien plus âgés que moi, alors je ne vois pas pourquoi à mon tour, je ne pourrais pas m’entendre avec des gens plus jeunes. Les voir garder leur cap quand ils affrontent des difficultés dans leurs études m’inspire. De plus, j’apprécie la solidarité des étudiants de génie chimique. Devant eux, je ne crains pas d’exprimer mes angoisses, ma crainte d’échouer ou mes satisfactions. Ils me rassurent et m’encouragent à poursuivre, et je leur rends la pareille. »
Elle vit toujours le même sentiment d’urgence environnementale, mais, depuis qu’elle étudie en génie chimique, sa vision des problématiques change. « Ma compréhension du monde s’est enrichie. Elle devient plus large, tout en étant plus pointue! J’appréhende mieux le rôle des systèmes organisationnels et les processus qui peuvent mener au changement. »
Selon elle, la science et l’art se complètent bien, l’une permet de regarder le monde de façon rationnelle et de développer des méthodologies pour le comprendre, l’autre permet de développer son instinct et son intelligence émotionnelle. « Je crois que j’ai choisi la bonne voie », déclare la musicienne étudiante, qui enregistrera cet automne son premier album de musique de chambre, l’opus 1 des Sonates en trio de Dietrich Buxtehude. On pourra également l’entendre avec Arion Orchestre Baroque tout au long de la saison 2022-2023.