
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Le chemin de courage de Davoud Harandizadeh
La relève en lumière
« Perdre progressivement la vue, c’est émotionnellement difficile et plein de défis au quotidien », déclare sans ambages Davoud Harandizadeh. L’étudiant à la maîtrise en génie mécanique est atteint d’une rétinite pigmentaire, une maladie génétique entraînant une perte de vision graduelle. Derrière son calme se perçoit malgré tout une profonde détermination à réussir, nourrie par l’espoir d’offrir à ses fils un avenir meilleur.
Davoud Harandizadeh
Préoccupations écologiques
C’est en effet pour ses deux enfants, Sepenta et Pouya, aujourd’hui âgés respectivement de 11 et 7 ans, que Davoud et sa conjointe, Fatima, ont décidé de quitter l’Iran et leurs bonnes carrières pour venir s’établir au Canada en 2019.
« Nous étions très inquiets de la dégradation environnementale de notre pays. Ispahan, la ville où nous vivions, a perdu sa rivière, Zayandeh-roud, (n.d.l.r. : nom qui signifie "rivière fertile"), aujourd’hui complètement asséchée. La crise économique, sociale et politique aggravait la situation et ne nous rendait pas optimistes pour la vie future de notre famille. Nous avons décidé de tenter notre chance au Canada, réputé pour sa sécurité, sa tranquillité et la richesse de son environnement. »
Des sacrifices
Déjà diplômé d’un baccalauréat en génie des matériaux et d’une maîtrise en science des matériaux, Davoud travaillait depuis plus de 13 ans en Iran en tant que spécialiste des phénomènes de corrosion et de protection des matériaux dans une firme de génie-conseil. Son épouse, diplômée d’une maîtrise en mathématiques, faisait quant à elle carrière comme comptable.
« J’ai pensé que nous aurions plus de chance de réussir l’intégration au Canada si je reprenais mes études afin d’obtenir un diplôme canadien et de compléter mon expertise. J’ai été admis dans l’équipe de la Pre Myriam Brochu, pour effectuer une deuxième maîtrise portant sur la propagation des fissures de fatigue dans un acier inoxydable sous l’effet de l’hydrogène. J’aime beaucoup l’aspect multidisciplinaire de cette formation. »
En attendant que Davoud soit engagé dans une entreprise, Fatima, qui n’a pu trouver un emploi dans son domaine, a accepté un travail dans une usine de couture pour assurer leur subsistance. « Dès que j’aurai obtenu un emploi après mon diplôme, à son tour, elle reviendra aux études afin de faire un certificat en comptabilité qui lui permettra d’exercer au Québec. »
Arrivée en 2019 à Montréal, quelques mois à peine avant le déclenchement de la pandémie, la famille Harandizadeh a dû s’adapter en mode accéléré au système éducatif québécois. Malgré le confinement qui a compliqué les débuts de leur scolarisation, les deux jeunes enfants du couple, qui ne parlaient ni français ni anglais en arrivant, se débrouillent bien dans leur école francophone. L’aîné, Sepenta, a, il est vrai, une passion qui lui a permis de se faire rapidement des amis : le soccer!
Un combat quotidien
Si réussir à suivre sa formation scientifique de pointe malgré son handicap demande à Davoud Harandizadeh une capacité d’adaptation remarquable, c’est dans la vie de tous les jours que celui-ci rencontre le plus d’obstacles. « Mes déplacements, en particulier, sont laborieux, témoigne-t-il. Les trottoirs accidentés ne facilitent pas la marche et les édifices ne sont généralement pas conçus en fonction des besoins des personnes malvoyantes. La dégradation de ma vue a fait en sorte que j’ai eu besoin d’une canne blanche au bout de quelque temps. Or, mon statut d’étudiant étranger ne me donne pas accès aux assurances qui couvrent certains services spécialisés, tels que les ateliers pour apprendre à utiliser correctement la canne. Je dois aussi faire face à de l’incompréhension, parfois, car mon handicap n’est pas visible au premier abord. Les gens ne comprennent pas toujours pourquoi je ne les salue pas ou je ne semble pas faire attention à eux. De façon générale, je constate que la société canadienne a encore beaucoup à faire pour l’inclusion des personnes en situation de handicap. »
Naturellement, Davoud s’inquiète pour son insertion sur le marché de l’emploi : est-ce qu’un employeur saura voir au-delà de son handicap et s’intéresser à ses solides compétences de spécialiste de la protection des matériaux? « Je souhaite travailler comme consultant. Je suis suffisamment autonome pour le faire et j’ai déjà une bonne expérience professionnelle à faire valoir. » Nul doute que sa ténacité, sa grande capacité de travail et son optimisme à toute épreuve seraient également appréciables pour un employeur.
Rêver d’une communauté
À Polytechnique, l’étudiant a obtenu certains services, comme du temps supplémentaire pour ses travaux et un ordinateur adapté, mais cela ne couvre pas tous ses besoins, notamment ses besoins sociaux. Il avoue souffrir parfois de solitude. « J’ai quand même de la chance, car ma directrice d’études, la Pre Brochu, est compréhensive et attentive à mes besoins. De plus, je reçois beaucoup de soutien de mes collègues. Nous formons une belle équipe! »
Il aimerait que se forme à Polytechnique un groupe d’entraide pour les étudiants ayant des besoins spéciaux, notamment les étudiants étrangers loin de leurs repères habituels et qui ne maîtrisent pas toujours très bien le français. « Nous pourrions nous échanger des informations, des conseils, faire valoir la nécessité de certains aménagements auprès de Polytechnique. Avant tout, une telle communauté nous aiderait à briser notre isolement. Elle serait un beau moteur d’inclusion. »