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Du métal et de l’humain

Portraits de professeurs

Par Catherine Florès
23 octobre 2022 - Source : Magazine Poly  | VersionPDFdisponible (Automne 2022)
23 octobre 2022 - Source : Magazine Poly
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« Je n’ai jamais voulu être ingénieure. Enfant, je m’intéressais à toutes sortes de domaines. Ensuite, au moment de commencer mon cégep, je voulais devenir avocate. Je ne vous cache pas que j’étais influencée par la série La Loi de Los Angeles, très populaire à l’époque! », s’amuse Myriam Brochu, professeure au Département de génie mécanique. 

Professeure Myriam Brochu
Myriam Brochu, professeure au Département de génie mécanique. (Photo : Thierry du Bois)

 

Un chemin détourné

Le don évident de la jeune Myriam pour les mathématiques et les sciences la pousse cependant à s’inscrire au programme de sciences pures, comme sa mère le lui recommande fortement. « J’ai cependant pris des cours complémentaires de droit, fidèle à mon objectif, poursuit la Pre Brochu. Jusqu’au jour où il m’a fallu débattre d’un sujet qui me tenait à cœur. J’ai perdu mes moyens et livré une piètre performance à cause de ma trop grande nervosité. M’avisant que je n’étais peut-être pas faite pour plaider, j’ai remis en question mon choix de domaine. J’ai envisagé de me tourner vers mon autre grand intérêt, l’étude de la flore et de la faune. Je cherchais ce qui pouvait allier la biologie aux mathématiques et à la physique. Une amie de ma sœur, étudiante à Polytechnique, m’a alors parlé du domaine du génie biomédical, ce qui m’a convaincue d’aller étudier à Polytechnique. »

À l’époque, Polytechnique n’offre le génie biomédical qu’aux cycles supérieurs. Elle choisit le baccalauréat en génie des matériaux, attirée par les travaux en microscopie qui lui semblent se rapprocher de l’observation de la nature. « C’était aussi une petite cohorte d’à peine 20 étudiants, et j’aimais sentir que je faisais quelque chose de différent par rapport à la majorité. » Durant sa dernière année de baccalauréat, l’étudiante tient à partir en stage au Japon. Elle en trouve un de huit mois, non pas en génie biomédical comme elle l’espérait, mais dans une aciérie, où elle développe ses connaissances en métallurgie. « Cette expertise m’a ouvert les portes de la maîtrise en génie métallurgique, même si initialement j’en visais une en génie biomédical. Polytechnique créait alors sa première cohorte de bac-maîtrise intégré et je souhaitais en faire partie. J’étais pressée d’avoir la confirmation d’être prise en maîtrise, j’ai donc accepté l’offre la plus rapide de projet de maîtrise. »

Détour en entreprise avant le doctorat

Après son diplôme, avide de démarrer dans l’industrie, elle entre chez Frein NewTech, une PME de R et D, où elle demeure trois ans. Ensuite, un chargé de cours de Polytechnique de sa connaissance l’engage dans l’entreprise dont il est copropriétaire, X-per-X Inc., une PME québécoise d’essais mécaniques, d’études de défaillance et de  Étrangement, j’ai renoué ici avec ma passion pour le droit, car il m’arrivait d’intervenir en tant qu’experte dans des cas litigieux de bris de pièces, afin d’en déterminer la cause et les responsabilités. »

Au retour de son second congé de maternité, elle trouve l’ambiance de travail différente, X-per-X Inc. ayant été achetée par une multinationale. De plus, la pression du travail en génie-conseil se concilie plus difficilement avec les contraintes familiales d’une mère de deux jeunes enfants. C’est alors qu’elle rencontre un de ses anciens professeurs de Polytechnique qui s’étonne que cette excellente étudiante ne soit pas devenue professeure. Il lui suggère de solliciter une bourse d’excellence du Canada pour faire un doctorat. Grâce à cette bourse, elle revient étudier à Polytechnique en 2006.

« Mon doctorat en génie mécanique portait sur l’endommagement par fatigue des matériaux métalliques. J’ai vécu un choc en recevant mon sujet d’examen de synthèse sur l’écoulement des pâtes semi-solides. Il me manquait des bases en génie mécanique, notamment en dynamique des fluides. J’ai dû mettre les bouchées doubles. » Elle reçoit son doctorat en 2011 et Polytechnique l’engage dans l’année qui suit.

Une professeure à l’écoute

Depuis 1997, Myriam Brochu a pris l’habitude de donner des cours, durant sa maîtrise d’abord, puis pendant sa vie professionnelle. Mais à partir de son doctorat, son rapport à l’enseignement change. « Je pense que la maturité professionnelle m’a ouvert les yeux sur la diversité d’apprentissage des étudiants. Je me suis également nourrie des discussions que j’avais pu avoir sur la pédagogie avec ma mère, enseignante au primaire, et ma sœur, psychiatre. Le fait d’éduquer des enfants m’a certainement montré les bons résultats de l’encouragement positif. Je ressentais de moins en moins la nécessité de restituer la matière de la façon dont on me l’avait apprise et j’ai commencé à définir mon propre style d’enseignement, en cherchant à adapter ma pédagogie selon les besoins de mes étudiants. »

Dans son enseignement, la Pre Brochu suit une veine intuitive et résolument orientée sur les aspects humains. « Je vérifie si l’étudiant a vraiment compris mon cours et j’essaie de comprendre la cause d’un éventuel blocage. Je n’hésite pas au besoin à changer de support ou d’exemples. J’emploie aussi beaucoup la vulgarisation pour expliquer des notions. Et surtout, j’essaie d’émailler mes cours d’anecdotes qui suscitent des émotions positives, comme le rire, car elles augmentent la mémorisation. » Par ailleurs, sa rigueur sécurise ses étudiants et les incite à bien s’organiser.

Souhaitant faciliter l’inclusion des étudiants, elle a mis en place plusieurs initiatives, selon les conseils d’une étudiante en adaptation scolaire venue faire un stage d’été dans son équipe. Elle a, par exemple, instauré des plages hebdomadaires de discussion en libre-service pour les étudiants aux cycles supérieurs qu’elle dirige, ainsi que des repas de groupe informels. Son équipe se partage un calendrier multiculturel permettant de souligner les fêtes et événements marquants pour chaque étudiant. De plus, l’équipe organise trois activités au cours de l’année où conjoints et enfants sont invités.

« Depuis que ces initiatives ont été mises en place, j’ai pu observer un renforcement de l’esprit d’équipe et de la confiance interpersonnelle dans mon équipe. Des étudiants viennent spontanément se confier à moi sur leurs situations et leurs défis particuliers. Je peux ainsi les accompagner dans la recherche de ressources. Moi-même, j’aborde plus sereinement les défis de l’enseignement. » Connectée à ses valeurs profondes, elle les transmet de façon naturelle à ses étudiants : l’empathie, la rigueur scientifique, de même que la capacité à évaluer ses limites et l’honnêteté de les fixer, sans oublier le professionnalisme dans les communications.

Les témoignages des étudiants sur la qualité de son enseignement et sur leur plaisir à travailler dans son équipe sont fréquents. « Un des freins à l’orientation des femmes vers le génie, c’est qu’elles ont souvent du mal à estimer l’impact qu’elles pourraient avoir sur les gens. Quand les étudiants me manifestent que cet impact est réel dans leur vie, quelle grande satisfaction! »

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