
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Iconoclaste-née
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Photo : Caroline Perron
Le verbe vif et précis, Virginie Francoeur émet des idées qui bousculent joyeusement le monde du génie. À la fois professeure au Département de mathématiques et de génie industriel, chercheuse en sciences humaines, essayiste, romancière, poète et réalisatrice, elle convoque les sciences, la technologie et les arts à une démarche créative et mobilisatrice de recherche de solutions aux enjeux écologiques et sociaux.
Perspective holistique
« Moi, je ne veux pas faire de recherche déconnectée. Et je ne vois pas l’intérêt de l’enseignement des disciplines en silo. Le monde n’est pas façonné comme cela. » Pour avoir un impact réel sur la société, Virginie Francoeur en est convaincue, il faut travailler en transdisciplinarité. Si le génie apporte des technologies qui transforment le monde, les sciences humaines amènent des méthodes et des outils rigoureux pour gérer cette transformation afin de la rendre profitable au plus grand nombre. « Enseigner à Polytechnique me donne la chance de travailler à la source de la transformation technologique. J’apporte une perspective holistique en faisant découvrir aux étudiants la complémentarité entre le génie et les sciences sociales dans la résolution de problèmes, déclare-t-elle. Que peut souhaiter de mieux une fille qui aime les défis? »
Entrée en 2020 à Polytechnique, la Pre Francoeur enseigne la gestion des changements technologiques et organisationnels ainsi que leurs impacts dans les entreprises. « Je forme les étudiants à appréhender les impacts des changements et à développer leurs aptitudes à l’empathie et à la communication. L’être humain ne devrait pas être considéré comme un pion qu’on peut déplacer sans considération pour ses émotions et ses aspirations. »
« Fidèle à l’optique de casser les silos, je n’hésite pas à faire travailler les étudiants sur des cas éloignés des milieux où évoluent traditionnellement les ingénieurs. » Elle réalise également des capsules vidéos qu’elle utilise comme support pour organiser des débats. Son approche rencontre le succès chez les étudiants. Dès 2021, l’Association des étudiants des cycles supérieurs de Polytechnique a d’ailleurs honoré la professeure d’un prix Méritas.
Mordue de pédagogie active, Mme Francoeur est en train de mettre sur pied le LAC : Laboratoire d’apprentissage par les cas, avec le soutien du Bureau d’appui et d’innovation pédagogique et la collaboration des Presses internationales de Polytechnique. « Il s’agit de développer toute une série de cas représentatifs de situations rencontrées dans les grandes entreprises ou dans les PME. Leur sont associées des fiches pédagogiques sur la façon de rédiger un cas et de l’animer dans un cours. »
Placer les arts au centre de la vie… et du génie
Pour cette fille de poètes réputés (Lucien Francoeur et Claudine Bertrand, par ailleurs enseignants tous les deux), la littérature est depuis toujours aussi vitale que l’air qu’elle respire. Elle y fait même appel dans sa pratique de professeure… oui, même dans une université d’ingénierie! « Lire des romans, c’est la meilleure façon de se sensibiliser aux problèmes de gestion », assure-t-elle, se réjouissant que certains de ses étudiants aient trouvé l’envie de lire grâce à ses cours. Dans sa bibliothèque, Edgar Morin, Pierre Bourdieu et Noam Chomsky côtoient tout aussi bien Anaïs Nin, Henry Miller ou Virginie Despentes que le philosophe Alain Deneault.
Poète, essayiste et romancière, elle poursuit résolument la veine familiale. « C’est drôle, car, lorsque j’étais adolescente, la dernière chose que je souhaitais, c’était de faire la même chose que mes parents! » À cette époque, cet esprit rebelle – « J’ai vécu une jeunesse très rock’n roll », avoue-t-elle – se sentait rebuté par la durée d’une formation universitaire. En maîtrise à HEC, elle a perçu comment le milieu universitaire peut avoir un impact concret sur la société. Cette perspective l’a poussée à poursuivre des études doctorales en sciences de l’administration et management à l’Université Laval.
Son rôle de professeure ne canalise pas entièrement son indomptable énergie. Depuis quatre ans, elle travaille à la réalisation d’un film documentaire sur son poète rock de père, et dont la sortie est prévue l’an prochain. « Ces dernières années, j’ai donc jonglé autant avec les demandes de subventions de recherche scientifique qu’avec celles de financement auprès de la SODEC! », souligne-t-elle. Seriez-vous surpris d’apprendre qu’elle intègre aussi cette expérience de réalisation à ses études de cas?
Elle perçoit la séparation entre les sciences et les arts comme une aberration moderne. « J’ai toujours fait le lien entre le pathos (la sensibilité) et le logos (la logique). Je suis persuadée que pour mobiliser davantage les gens et les amener à agir efficacement vis-à-vis d’un problème, il faut parvenir à toucher leur imaginaire. Pour cela, l’art est souverain. Dans mes cours, j’emploie les métaphores et les images produites par l’art pour mieux faire assimiler la matière à mes étudiants. Exposer les ingénieurs à la vision des artistes enrichit considérablement leur propre perception des problèmes. » On envie ses étudiants!