Carrefour de l'actualité

Science, art et écoresponsabilité

Par Catherine Florès
8 mars 2024 - Source : Magazine Poly  | VersionPDFdisponible (Printemps 2024)

L’une s’adresse à la raison, l’autre aux émotions. Mais la science comme l’art questionnent le monde. Alliés, ils peuvent devenir un puissant vecteur de transmission des connaissances et de changement des comportements. Virginie Francoeur, professeure en gestion du changement, et Sophie Bernard, professeure en économie de l’environnement, toutes deux au Département de mathématiques et de génie industriel, en ont fait le pari avec l’exposition collective Zér0 : Les arts au cœur de la transformation écologique. Accueillie à la Biosphère du 25 novembre au 1er avril derniers, cette manifestation a présenté 10 œuvres inspirées d’une étude sur la réduction des emballages de plastique et essentiellement conçues à partir de matériaux recyclés ou récupérés.
 

Les professeures Sophie Bernard et Virginie Francoeur, du Département de mathématiques et de génie industriel
Virginie Francoeur, professeure en gestion du changement, et Sophie Bernard, professeure en économie de l’environnement, Département de mathématiques et de génie industriel. (Photo : Caroline Perron)


Un ovni dans le monde scientifique et artistique

« Nous souhaitions rendre accessibles à un plus vaste public les résultats de l’étude pancanadienne menée avec Équiterre sur la transition vers le zéro déchet chez les détaillants, à laquelle nous avions collaboré. Or, durant mon doctorat, j’avais déjà organisé une exposition reliant la science et les arts, et je cherchais à réitérer l’expérience. J’ai eu l’intuition que ce projet avec Équiterre se prêterait bien à un concept similaire », rapporte la Pre Virginie Francoeur, qui baigne depuis toujours dans le milieu des arts et est elle-même poète, écrivaine et réalisatrice. La bonne réception publique de son poème inspiré par le projet l'a encouragée à poursuivre ce projet.

« Nous pensons que cette rupture avec la diffusion traditionnelle des résultats de recherche peut démocratiser l'accès à la connaissance, poursuit-elle. En effet, la science, bien qu’essentielle, peine à elle seule à toucher pleinement le cœur et l'esprit du grand public, souvent peu familiarisé avec le langage des publications académiques. L'art offre un canal unique pour susciter des émotions et éveiller la sensibilité. Les associer augmente notre pouvoir de changer les perspectives, d'inspirer des actions et de créer des liens avec des auditoires variés au-delà du monde universitaire. »

Sous leurs casquettes de commissaires de l’exposition se trouvaient toujours deux têtes de scientifiques, qui ont considéré l’exposition elle-même comme un objet de recherche. « Nous avons intégré un troisième volet à notre projet : étudier l’impact de l’exposition sur l’adoption de comportements écoresponsables chez ses visiteurs, explique la Pre Sophie Bernard. Comme il existe encore peu de moyens d’évaluer les initiatives à la jonction de la science et des arts, nous avons développé des outils de mesure adaptés à ce contexte. Notamment, des sondages, destinés aux visiteurs de l'exposition, nous ont permis de recueillir des données sur leurs habitudes et convictions environnementales, leur niveau d’éco-anxiété ainsi que les émotions ressenties au cours de la visite. Ces données nous permettront d'évaluer leur implication et, nous l’espérons, de déterminer quels mécanismes font de la proposition artistique un outil efficace de communication scientifique et un vecteur de changement vers des comportements écologiques. »

Les professeures ont obtenu, pour leur projet, l’appui de Polytechnique et de sa Fondation et Alumni, ainsi que celui du Conseil de recherches en sciences humaines, du Réseau de recherche en économie circulaire du Québec, des Fonds de recherche du Québec, d’Équiterre et du Centre interdisciplinaire de recherche en opérationnalisation du développement durable. Elles ont également reçu l’accord d’Espace pour la vie Montréal pour installer l’exposition à la Biosphère.

Avec leur équipe de recherche, elles ont déployé une folle énergie pendant plus d’un an pour trouver et encadrer les artistes, superviser la mise en place de l’exposition et développer les protocoles de l’étude. « Nous avons été chanceuses, tout s’est enclenché sans trop d’accrocs et nous avons bénéficié d’une collaboration remarquable de l’équipe de la Biosphère, ainsi que des artistes et des équipes techniques impliquées dans la muséographie, témoigne la Pre Bernard. Il faut dire que Virginie possède le talent exceptionnel de rassembler les gens! »

Diversité et engagement artistiques

Sculpture, vidéo, photo, installation, BD… Les artistes recrutés pratiquent des disciplines fort variées, mais partagent une conscience environnementale aiguë et utilisent dans leur démarche des matériaux récupérés.

Au total, 10 artistes et collectifs ont participé : Martin Beauregard, Jean Désy, Marie-Chloé Duval, Jason Gillingham, Annie Groovie, Rodney Saint-Éloi, Studio Ascètes, Théâtre I.N.K. et Bernard Voyer, ainsi que la Pre Francoeur elle-même. « Tous les artistes avaient carte blanche pour créer à partir du rapport d’Équiterre, précise cette dernière. Certains se sont directement inspirés de ce qu’ils ont lu dans le rapport, d’autres ont plutôt travaillé sur ce que leur évoquent la crise climatique et les enjeux du zéro déchet. »

Effets durables

Au cours des prochains mois, les données recueillies auprès des visiteurs seront analysées par des étudiants à la maîtrise.

Afin de faire perdurer l’impact de l’exposition, les Pres Bernard et Francoeur ont confié à un étudiant la création du site Web expositionzero.ca. Elles prévoient aussi de faire un retour d’expérience à l’automne prochain avec les artistes.  

« Que ce soit à titre de scientifique, d’étudiant, d’artiste ou de simple visiteur, chaque personne ayant participé à cette expérience a été, je le crois, profondément marquée par celle-ci. Je pense que les effets en seront durables, témoigne Virginie Francoeur. Quant à moi, c’est sans doute le projet qui m’a le plus allumée dans ma carrière scientifique à ce jour. »

Sa collègue partage son enthousiasme : « C’était la première fois que j’explorais l’univers des arts par le prisme d’un projet de recherche. J’ai trouvé l’expérience des plus rafraîchissantes. Elle a fait tomber des barrières et m’a apporté de nouvelles pistes de réflexion pour ma discipline des sciences économiques. »

Repousser les limites du possible

Les deux professeures souhaitent que leur initiative pave la voie à ce type de démarche de recherche-création pour Polytechnique. « À travers le soutien qu’elle nous a manifesté, nous avons ressenti l’ouverture de Polytechnique à l’intégration d’une dimension artistique dans des projets de génie, conclut la Pre Francoeur. Nous avons le sentiment que tout est désormais possible, et c’est très motivant. »
 

Exposition Zér0 : Les arts au cœur de la transformation écologique
(Photo : Caroline Perron)

 

À lire aussi

29 novembre 2023
NOUVELLES

Émouvoir par l’art : deux professeures de Polytechnique commissaires d’une exposition sur le zéro déchet

1 mai 2024
NOUVELLES

L’arbre de la renaissance : nouveau symbole de l’ingénierie durable à Polytechnique Montréal