
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Emballages : des polymères qui passent au vert
Grand dossier

Il est dans l’air du temps de crier haro sur les emballages plastiques, en particulier dans le secteur alimentaire. Mais pourrions-nous nous en passer? Ce ne serait pas facile... le marché mondial de l’emballage atteindra 1 000 milliards de dollars américains en 2023, dont 35 % représentés par les emballages plastiques. celui des emballages alimentaires, qui pesait près de 274 milliards de dollars américains en 2017, devrait connaître quant à lui une croissance de l’ordre de 5 % entre aujourd’hui et 2022.
Ce paradoxe de désamour public et de succès commercial ne doit pas faire perdre de vue les réponses scientifiques aux enjeux véritables de l’emballage plastique. En effet, ce domaine, beaucoup plus innovant qu’on ne le pense, fait l’objet de recherches de pointe visant à faire baisser son empreinte environnementale. Des chercheurs et des diplômés de Polytechnique actifs dans l’industrie contribuent à augmenter les performances environnementales des films plastiques.
Emballage contre gaspillage alimentaire

Celui-ci fait valoir que la fonction première des emballages alimentaires, c’est de protéger un produit, en préserver le plus longtemps possible sa qualité. Ils jouent un rôle important pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Ainsi, en juin dernier, le magazine L’Actualité mentionnait qu’en Angleterre, la vente des raisins dans des sacs ou des plateaux en plastique a réduit le gaspillage en magasin de 20 %. L’enjeu est de taille, étant donné qu’au moins un tiers de la production mondiale d’aliments, est perdu chaque année dans le monde entre la récolte et l’assiette du consommateur, selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations unies.
« Les emballages, en particulier les emballages polymères qui font barrière à la contamination bactérienne, à l’oxygène, à l’humidité et aux UV, diminuent non seulement le risque environnemental et économique causé par le gaspillage alimentaire mais aussi le risque de santé publique », souligne le Pr Ajji. « En outre, les aliments viennent de loin aujourd’hui et les emballages permettent souvent d’optimiser la logistique de la distribution. Donc, à moins d’envisager une organisation sociale drastiquement différente, on ne pourrait se passer de ces emballages à l’heure actuelle. »
Polymères champions de l’emballage alimentaire
Les polymères dominent effectivement le marché de l’emballage alimentaire, en raison de leurs performances techniques supérieures à celles des autres matériaux sur les plans de la sécurité, de la légèreté, de la flexibilité et du coût de revient. Toutefois, ces performances peuvent encore être améliorées.
Le Pr Ajji consacre notamment un de ses axes de recherche à l’optimisation des fonctionnalités des polymères. Par exemple, il met au point des films capables de détecter et de signaler par un changement de couleur les gaz produits par la détérioration des aliments par les bactéries. De même, il développe des films qui absorbent l’oxygène responsable de la dégradation de certains aliments.
Le défi du recyclage des films polymères
« Les emballages polymères souples destinés à l’alimentation sont souvent souillés par les aliments avec lesquels ils sont en contact et peuvent donc contaminer le contenu du bac de recyclage. D’autre part, la plupart de ces emballages sont composés de films multicouches formées de différents matériaux, qui permettent d’obtenir des propriétés différentes. Mais cela complique le recyclage car la plupart des procédés de recyclage actuels nécessitent la séparation des différents polymères », explique le Pr Ajji.
Il travaille également à résoudre ce défi, en développant des films polymères multicouches performants mais monomatériau, donc plus compatibles avec le recyclage.
« Il y a certainement encore beaucoup d’efforts à mener pour améliorer la circularité de l’usage des polymères, ainsi, d’ailleurs, que des plastiques en général, estime-t-il. Une meilleure réglementation pourrait sans doute changer beaucoup de choses. »
Les bioplastiques entrent en scène

En tant que spécialiste des alliages polymères, le Pr Favis s’intéresse en particulier aux matériaux bioplastiques, c’est-à-dire les polymères biosourcés et les plastiques biodégradables et compostables. Les premiers sont issus de sources non pétrolières (végétales en particulier), les seconds se dégradent sous l’action de micro-organismes dans des conditions spécifiques, par exemple dans un composteur industriel.
« Je mène en particulier mes travaux sur les matériaux en acide polylactique, ou PLA, entre autres fabriqués à partir de maïs, et sur les matériaux en amidon thermoplastique, ou TPS. Avec mon équipe, je développe des polymères hybrides, à base de PLA ou TPS, avec d’autres polymères, afin d’obtenir des propriétés grandement améliorées », précise le professeur, qui a au moins 15 brevets déposés à son actif.
Par exemple, le PLA est compostable. Mélangé à d’autres composants qui pallient sa faible résistance à l’impact ou à l’étirement, il devient un produit intéressant pour diverses applications, incluant l’emballage alimentaire. L’équipe du Pr Favis a ainsi conçu un polymère PLA hybride dont la résistance à l’impact est 45 fois plus élevée que le PLA seul et qui est compatible avec les procédés de mise en forme habituels des polymères.
Une des autres innovations sorties du laboratoire du Pr Favis est un procédé de fabrication d’un matériau composé à 10 % de plastiques recyclés dont 30 % sont des déchets plastiques normalement envoyés à un site d’enfouissement. Ce nouveau plastique recyclé a les mêmes propriétés que le polypropylène conventionnel. Une telle technologie pourrait donc permettre de réduire les quantités de déchets plastiques ultimement enfouis. Elle donnerait en outre un avantage concurrentiel aux entreprises canadiennes de recyclage du plastique.
Concurrence du pétrole
Si les emballages représentent 66 % des déchets de plastique non recyclés dans le monde, le problème n’est pas le manque de technologies, mais le coût du pétrole, estime le Pr Favis. « Le faible coût de revient des plastiques pétrosourcés est difficile à concurrencer. Avant l’utilisation des gaz de schiste, l’avenue des bioplastiques était commercialement prometteuse. Aujourd’hui, elle a perdu en attractivité en comparaison avec les plastiques traditionnels. Il en est de même pour les matériaux fabriqués à partir de plastiques recyclés. »
Lui aussi plaide en faveur d’une réglementation plus efficace, qui exigerait par exemple que la composition des emballages intègre désormais une proportion de plastiques recyclés ou de bioplastiques. Et d’ajouter : « Pour résoudre les problèmes environnementaux causés par les emballages, je pense qu’un plan d’action national serait nécessaire, avec une vision globale du problème et impliquant tous les acteurs de la chaîne de production et de consommation. »
Affaires de sacs
Bannir les sacs distribués gratuitement aux points de vente représente-t-il un excellent geste environnemental? Ce n’est pas si simple, montre une étude réalisée en 2017 par le Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG).
Utilisant les indicateurs de l’épuisement des combustibles fossiles, de la santé humaine et de la qualité de l’écosystème, cette étude a comparé les impacts environnementaux potentiels des sacs plastiques conventionnels avec ceux des sacs dits jetables en papier, en plastique oxodégradable, en bioplastique compostable, en plastique épais, et des sacs réutilisables en plastique (polypropylène tissé et non-tissé) et en coton.
Les résultats se sont avérés nuancés : ce sont les sacs biosourcés « naturels » qui obtiennent de moins bons résultats.
L’impact sur l’indicateur « santé humaine » du sac en coton considéré dans l’étude, fabriqué en Chine avec du coton chinois, n’en fait pas une option recommandée. Il faudrait l’utiliser entre 100 et 2 954 fois pour que son impact sur les indicateurs environnementaux de cycle de vie équivalent celui du sac en plastique conventionnel.
La réutilisation des sacs conventionnels, entre autres comme sacs à ordures comme dans 77,7 % des cas, diminue leur impact environnemental.
Ce sont les sacs réutilisables, à condition de les réutiliser suffisamment, qui obtiennent une meilleure performance. Une fois le nombre seuil d’utilisations atteint, cette performance s’améliore à chaque utilisation supplémentaire.
Efforts industriels
Conscients des enjeux environnementaux, les industriels du secteur des films d’emballage n’attendent pas l’arrivée éventuelle d’une nouvelle législation pour chercher des solutions. « Notre secteur industriel est beaucoup plus innovant que le public ne le pense. Les équipements pour convertir les films ont énormément évolué depuis 15 ans. On a ajouté des performances aux films, on en produit davantage en cinq à six fois moins de temps et avec moins de matières premières, d’où une diminution du coût de la production et de l’empreinte carbone », témoigne Pierre Sarazin, directeur R&D et Services techniques chez PolyExpert, une entreprise produisant des films par procédé de soufflage, en monocouche ou multicouche. Ce diplômé de Polytechnique, ancien étudiant au doctorat du Pr Basil Favis, collabore à des projets menés par le Pr Abdellah Ajji sur l’amélioration des propriétés barrières des films polymères.
L’emballage a toujours sa raison d’être
Sans nier les défis environnementaux posés par les films plastiques, M. Sarazin signale que ces produits utilisent 70 % moins de matériaux et génèrent moins de déchets potentiels que les plastiques rigides. « Il faut garder en tête que l’emballage représente un coût pour les entreprises du secteur alimentaire, elles font donc tout leur possible pour minimiser le suremballage, sans compromettre la sécurité des aliments durant le transport et la distribution. L’emballage a toujours une raison d’être. Quand on dénonce le suremballage, bien souvent, il s’agit plutôt de cas où c’est le produit lui-même qui est proposé au consommateur sous une forme problématique, telles ces oranges pelées mais emballées sous plastique qu’on a pu voir dans certains commerces. »
Au sujet des images d’amas de plastiques dans les océans, qu’on a tous pu voir dans les médias, il nuance : « Ces images ont le mérite de sensibiliser le public au problème de la pollution océanique, connu depuis au moins 30 ans. Cependant, une étude publiée par la Fondation Ellen MacArthur pour l’économie circulaire révèle que même si le Canada, l’Europe et les États-Unis recyclaient la totalité de leurs plastiques, cela ne diminuerait que de 2 % la quantité de plastique dans les océans. Certaines actions doivent donc être menées à l’échelle internationale. »
Matériaux « nobles » contre polymères?
Souhaiter le remplacement des films polymères par des matériaux perçus comme plus « nobles » ou plus « sains », comme le verre ou le métal, n’est pas une solution soutenable, rapporte cet expert. Le verre, par exemple, peut représenter jusqu’à 50 % de la masse transportée à l’expédition, contre 3 % pour le plastique flexible. En outre, les mélanges de verre sont très difficiles à recycler. L’empreinte carbone du verre est donc loin d’être avantageuse, sans compter les risques de bris.
Les résultats d’une étude européenne datant de 2011 sur l’analyse du cycle de vie comparative des plastiques et d’autres matériaux utilisés pour l’emballage confirment les propos de M. Sarazin. Elle montre que le remplacement des emballages plastiques par des matériaux plus lourds (aluminium, verre...) aurait pour conséquences une masse d’emballages multipliée par 3,6; une consommation énergétique durant le cycle de vie multipliée par 2,2 et des émissions de gaz à effet de serre (GES) multipliées par 2,7, soit une augmentation de 61 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an (équivalant à la circulation de 21 millions d’autos).
L’information, source de solutions
La comparaison avantageuse du plastique avec d’autres matériaux ne signifie pas que rien n’est à améliorer, bien au contraire, souligne M. Sarazin. À cet égard, l’information joue un rôle-clé :
« Notre industrie n’est qu’un maillon de la chaîne, elle a besoin d’être informée sur les objectifs et les enjeux de ses clients afin de créer des emballages réellement compatibles avec les principes du développement durable. Par exemple, proposer des films compostables ou recyclables, c’est bien, encore faut-il que les chaînes logistiques du client prévoient le recyclage ou le compostage en fin de vie de l’emballage. Dans tous les cas, la source d’information la plus fiable pour explorer ou évaluer une solution demeure certainement une analyse du cycle de vie rigoureusement réalisée. »
Le consommateur a besoin également d’information claire sur les gestes à poser pour bien recycler.
S’il est encore difficile de prédire quel type d’emballage aura la faveur de l’industrie et des consommateurs de demain, la réponse aux enjeux des emballages s’annonce donc d’ores et déjà dans l’alliance de ces composantes : la recherche en solutions innovantes et performantes, telles des matériaux biosourcés, biodégradables, biosourcés-compostables ou fabriqués à partir de matériaux recyclés, mais aussi l’écoconception et le recyclage chimique (voir Du génie dans nos poubelles, Magazine Poly, printemps 2017), l’application d’un modèle d’économie circulaire, un cadre réglementaire adapté et une consommation raisonnée, qui privilégie la réutilisation et la récupération.
Sources :
The Future of Global Packaging to 2022, Smithers Pira - 2017
Analyse du cycle de vie des sacs d’emplettes au Québec – CIRAIG, 2017
Flexible Packaging Market: Global Industry Trends, Share, Size, Growth, Opportunity and Forecast 2018-2023 - IMARC Group, 2018
The impact of plastics on life cycle energy consumption and greenhouse gas emissions in Europe – Denkstatt, 2011
New Plastics Economy: Rethinking the future of plastics - Fondation Ellen MacArthur, 2016