
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Chaire philanthropique en génie des matériaux : l’effet durable d’un don visionnaire sur l’innovation
Catherine Florès

Le Pr Étienne Martin, Felipe Michels, étudiant à la maîtrise en génie des matériaux, le Pr Jean-Philippe Harvey et Khadijeh Esmati, assistante de recherche, Chaire philanthropique en génie des matériaux. (Photo : Thierry du Bois)
C’est une histoire de volonté, celle de créer au Québec une mine d’expertises et de technologies cruciales pour l'avenir de l'industrie manufacturière et de la durabilité environnementale. C’est une histoire de générosité et de fidélité, exprimées par un diplômé envers son alma mater. C’est aussi une histoire de talents, stimulés par le soutien et la liberté qu’on leur offre. Cette histoire est celle de la Chaire philanthropique en génie des matériaux lancée en 2018 sous l’impulsion de Jacques L’Écuyer, Po 83.
Soutenue par un don majeur de 1,875 M$ consenti à la Fondation et Alumni de Polytechnique Montréal par la Fondation Famille Jacques L’Écuyer, cette chaire a propulsé Polytechnique à l'avant-scène des domaines de la fabrication additive et du recyclage des matériaux, en combinant recherche de pointe, concentration d’expertises et partenariats productifs avec l'industrie. En outre, par un effet levier, le don a favorisé l’obtention d’un financement de la Fondation canadienne pour l’innovation, qui a permis de fournir des équipements de pointe aux laboratoires de la Chaire.
Le geste d’un diplômé engagé

Jacques L’Écuyer, Po 83.
Jacques L’Écuyer, ancien président et fondateur de 5N Plus, producteur de matériaux avancés à haute performance d’envergure mondiale, reste passionné par l'innovation dans ce domaine. Demeuré proche de Polytechnique, notamment du Pr Gilles L’Espérance, son directeur de maîtrise en génie métallurgique, il croit en l'importance stratégiques des matériaux pour l’avenir de l’industrie. C'est pourquoi il a souhaité soutenir Polytechnique dans le développement d’expertises en lien avec la fabrication et le recyclage des matériaux de pointe. Ce don représentait également une façon de redonner un peu de ce qu’il a reçu à son alma mater.
La Chaire créée en 2018 soutient deux axes de recherche : les matériaux et procédés pour la fabrication additive ainsi que le recyclage, notamment des déchets miniers et industriels. Dans un premier temps, le Pr L'Espérance, du Département de mathématiques et génie industriel, a piloté le premier axe, tandis que le Pr Patrice Chartrand, du Département de génie chimique, a pris le second en charge. Le financement de la Chaire a permis par la suite de recruter les professeurs Étienne Martin, du Département de génie mécanique, et Jean-Philippe Harvey, Po 2004, du Département de génie chimique, à titre de cotitulaires.
Jacques L’Écuyer a toujours suivi de près les travaux de la Chaire et a même fait partie de jurys de thèses, tout en laissant aux chercheurs toute la latitude nécessaire à leurs travaux.
Une belle aventure scientifique

Le Pr Gilles L'Espérance, Département de mathématiques et génie industriel (Photo :Denis Bernier)
« Cette liberté associée à un soutien conséquent est assez rare en recherche, déclare le Pr L’Espérance. Grâce à elle, nous avons pu aborder des avenues nouvelles, porteuses d’innovation qui auraient peut-être échappé à un cadre de recherche plus restreint. »
Parmi ces avenues figure le développement de méthodes de caractérisation des matériaux au microscope électronique à balayage. Une de ces méthodes permet de réaliser des analyses chimiques d’une précision et d’une résolution considérablement supérieures à celles obtenues par les méthodes utilisées jusqu’à maintenant. Une autre avenue consiste à développer une méthode pour « reconditionner » les poudres recyclées, de façon à les réintroduire dans le procédé de fabrication additive. Les travaux en cours devraient mener à une boucle industrielle incluant la fabrication de pièces, l’évaluation des poudres recyclées, leur reconditionnement et leur réintroduction dans le procédé de fabrication de pièces.

Le Pr Patrice Chartrand, Département de génie chimique.
En tant qu’expert en thermodynamique et en modélisation thermochimique, le Pr Patrice Chartrand a, quant à lui, dirigé des projets de développement de modèles visant le recyclage de matériaux stratégiques par procédés à hautes températures. « Le recyclage des aimants, par exemple, ou encore celui du cobalt ou autres terres rares », précise le chercheur. Certains de ses projets ont pu chevaucher également l’axe de la fabrication additive, notamment en ce qui concerne la modélisation de l’oxydation à haute température de la poudre de titane, ou encore de la poudre d’alliage titane-aluminium-vanadium (Ti-6Al-4V). Les modèles pour les matériaux stratégiques développés par son équipe sont aujourd’hui employés par de nombreux centres de recherche dans le monde.
« La Chaire a permis d’étendre notre capacité de modélisation à une plus vaste gamme d’alliages stratégiques, confirme le Pr Chartrand. Nos modèles fondamentaux pourront être utilisés pendant plusieurs décennies. Ils ont fait progresser les connaissances concernant les interactions entre différents métaux et terres rares à hautes températures. Ces modèles prédictifs favorisent la maîtrise de procédés pyrométallurgiques qui permettent d’obtenir un plus haut niveau de pureté que les procédés traditionnels de récupération des métaux et terres rares et à un moindre coût. » Dans le contexte où les ressources de ces matériaux diminuent et où la demande mondiale est à la hausse, l’importance stratégique de ces avancées est claire.
Les procédés issus des travaux de la Chaire philanthropique soulèvent un vif intérêt chez les partenaires industriels de Polytechnique, dont Rio Tinto, Hydro-Québec ou Glencore, qui apportent soutien et visibilité aux projets par l’intermédiaire de contrats de recherche.
« Nous sommes profondément reconnaissants envers Jacques et la fondation de sa famille de nous avoir permis de vivre cette belle aventure scientifique », déclarent les Prs L’Espérance et Chartrand.
Philanthropie visionnaire
Comme le souligne François Bertrand, le directeur de la recherche et de l’innovation, la Chaire sait attirer les jeunes talents. « Nous nous réjouissons d’avoir pu engager Étienne Martin et Jean-Philippe Harvey, deux jeunes professeurs prometteurs. De plus, la Chaire a contribué à former des diplômés hautement qualifiés, très prisés par les entreprises. Grâce à cette relève de haut calibre, l'impact de la Chaire perdurera. »
Isabelle Péan, présidente-directrice générale de la Fondation et Alumni de Polytechnique Montréal, ajoute que l’engagement exemplaire de M. L’Écuyer éclaire le rôle que peuvent jouer de grands philanthropes visionnaires dans les avancées scientifiques pour le bénéfice de la société. « Nous le remercions et saluons son geste qui nous permet d’appuyer la recherche de pointe et la formation de talents grâce à la création de chaires philanthropiques à Polytechnique Montréal », déclare-t-elle.
M. L’Écuyer a été un véritable catalyseur permettant à de talentueux chercheurs de développer de nouvelles avenues de recherche. « Ayant étudié à Polytechnique Montréal, il me tenait à cœur de redonner à mon alma mater et surtout de contribuer au développement de l’expertise des matériaux qui sont, d’après moi, au cœur de tout développement technologique et scientifique. Jouer un rôle dans ces découvertes et innovations qui ont lieu à Polytechnique Montréal est une véritable source de fierté », confie M. L’Écuyer.
Avancée dans la technologie de fabrication additive à base de poudre d’aluminium

Pr Étienne Martin, cotitulaire de la Chaire philanthropique en génie des matériaux, Département de génie mécanique (Photo : Thierry du Bois)
Engagé en 2020, le dirige des projets portant sur une technique de fabrication additive connue sous le nom d'« impression 3D par jet de liant » (binder jetting, en anglais). Cette technique permet de fabriquer des objets par dépôt de couches successives de poudre métallique, fixées ensemble à l'aide d'un liant liquide. Beaucoup plus rapide que les méthodes d’impression conventionnelles, elle offre aussi une plus grande liberté de conception et une plus grande flexibilité, permettant de créer à moindre coût des pièces complexes autrement difficiles à usiner. Elle élargit, par conséquent, les possibilités dans de nombreux secteurs industriels.
« L’utilisation de ce procédé avec l’aluminium présente un défi de taille, indique le Pr Martin. La poudre d’aluminium étant fortement réactive, elle forme à sa surface une couche d'oxyde qui fait obstacle au frittage, un processus de fabrication consistant à chauffer la poudre à une température inférieure à son point de fusion pour permettre aux particules de se lier ensemble et ainsi former une pièce solide. Une grande partie de mes projets vise à résoudre ce problème. »
L’équipe du Pr Martin a réalisé des travaux significatifs sur l’élaboration d’un liant compatible avec la poudre d’aluminium, ainsi que sur le développement d’un modèle de simulation du procédé. Ce modèle permet de prévoir le volume de la pièce finale, après réduction à la cuisson. L’équipe souhaite maintenant finaliser un procédé répondant aux besoins industriels. La demande est pressante, car l’aluminium, léger, solide et recyclable, représente un matériau de choix pour l’industrie soucieuse de réduire ses coûts énergétiques et ses émissions de carbone.
Parmi les autres réalisations marquantes de l’équipe du Pr Martin, figure la conception d’un coffre à batteries réalisé par fabrication additive. Sa géométrie complexe est optimisée pour le refroidissement des batteries et la résistance aux chocs. Le projet résulte d'une collaboration avec General Electric, ainsi que les universités de la Caroline du Sud, de l’Arizona et de Waterloo. Les équipes des Prs Gilles L'Espérance et Jean-Philippe Harvey ont également apporté leur contribution.
Ouvrir la voie aux méthodes de recyclage de l’avenir

Pr Jean-Philippe Harvey, cotitulaire de la Chaire philanthropique en génie des matériaux, Département de génie chimique (Photo : Thierry du Bois)
« La métallurgie a beau être une vieille industrie, elle est grand ouverte aux nouvelles technologies, en particulier avec l’impératif de diminuer les émissions de CO2 et la nécessité de répondre à la demande croissante en métaux », rappelle le Pr Jean-Philippe Harvey, nommé cotitulaire de la Chaire en 2021. Ses travaux se concentrent sur divers enjeux liés à l'extraction de matériaux de valeur à partir de déchets, englobant méthodologies, procédés, santé, sécurité et risques environnementaux, entre autres.
Le chercheur se penche actuellement sur le développement de nouvelles méthodes pour extraire les métaux de valeur présents dans les produits électroniques, les batteries et les résidus de production de l'aluminium. « De nombreux produits en fin de vie contiennent des polymères difficiles à séparer des matériaux récupérables, d'où la nécessité de trouver de nouvelles méthodes. »
Il réalise en outre des projets en thermochimie numérique, pour lesquels il emploie des méthodes informatiques et des modèles mathématiques afin de comprendre et maîtriser les processus chimiques à haute température liés au recyclage. « Nous développons, par exemple, des jumeaux numériques pour optimiser des procédés existants et mettre au point de nouvelles technologies. »
La diversité de ses projets révèle la richesse de sa recherche, qu'elle soit proche de la commercialisation ou plus fondamentale : nouveaux procédés de pyrométallurgie et d’hydrométallurgie, technologies au plasma, méthodes de carboréduction pour l'industrie métallurgique, procédé électrochimique de sels fondus pour le recyclage des déchets électroniques, amélioration des performances des aciers recyclés, recyclage des poudres de fabrication additive, etc.
Les retombées à ce jour sont notables. À titre d'exemple, des entreprises intéressées par la valorisation du verre, ont souhaité poursuivre la collaboration avec l'équipe du Pr Harvey pour le développement de projets d'envergure totalisantt 1,5 M$ et découlant directement de l'investissement philanthropique de la Fondation Famille Jacques L'Écuyer.
« Le recyclage est la clé d’une industrie durable et c’est un thème fédérateur pour les professeurs de Polytechnique, quel que soit leur domaine, constate Jean-Philippe Harvey. Si la Chaire philanthropique en génie des matériaux peut se poursuivre, j’ose rêver qu’elle s’apparentera à une sorte de "Projet Manhattan" environnemental, dans lequel nous travaillerions tous en synergie. »
Cinq ans après la création de la Chaire, le don de M. L’Écuyer continue donc à faire des petits, permettant à Polytechnique Montréal d’affirmer à long terme son leadership dans un domaine de pointe aux enjeux stratégiques. L’envergure du projet a permis d’attirer et de former de nouveaux talents, d’entamer des collaborations industrielles fructueuses au Québec, d’avoir un effet levier important pour l’obtention de nouveaux fonds et de développer l’expertise en génie des matériaux à Polytechnique Montréal.
En bref
- Le diplômé Jacques L'Écuyer, ancien président et fondateur de 5N Plus, a soutenu à Polytechnique la création d'une chaire en génie des matériaux, qui se concentre sur deux axes de recherche : les matériaux et procédés pour la fabrication additive, ainsi que le recyclage des déchets miniers et industriels.
- Le financement de la chaire a permis de recruter des professeurs et de soutenir des projets innovants, comme le développement de méthodes de caractérisation des matériaux au microscope électronique, la modélisation thermochimique pour le recyclage de matériaux stratégiques, et la recherche sur des techniques de fabrication additive, notamment l'impression 3D par jet de liant.
- Les travaux de la chaire suscitent un fort intérêt chez des partenaires industriels de Polytechnique. Les résultats obtenus, tels que le recyclage des métaux stratégiques et le développement de procédés innovants, contribuent en effet à une industrie plus durable et répondent à la demande croissante en métaux, tout en formant une relève de haute qualité.