
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Caroline Boudoux : le bonheur est dans la science
Portrait de professeure

Professeure-chercheuse en imagerie médicale, éditrice et autrice d’ouvrages scientifiques, entrepreneure, l’inclassable et infatigable Caroline Boudoux cultive avec bonheur les fruits de sa passion scientifique.
Une jeunesse baignée dans l’univers scientifique
Dès sa prime enfance, Caroline Boudoux a vécu un lien étroit et décomplexé avec la science. « Mes parents sont originaires de Belgique. Mon père était ingénieur forestier, ma mère, pharmacienne. Comme elle ne pouvait exercer ici, elle est devenue enseignante en sciences, puis directrice d’école. Ils ont toujours considéré la science comme une chose naturelle et m’en ont transmis la passion. Ils étaient d’excellents vulgarisateurs, témoigne-t-elle. À Noël, selon celui des deux qui se chargeait de l’achat de mon cadeau, je recevais un jeu pour m’initier soit au génie, soit aux sciences de la vie! » Elle se souvient aussi avec bonheur des soupers familiaux où les nombreux amis universitaires de la famille étaient fréquemment reçus, discutant inévitablement de sujets scientifiques.
En toute logique, Caroline Boudoux s’est dirigée vers les études scientifiques, brillant en mathématiques et en physique et se passionnant pour les sciences de la vie. « Mais si j’ai étudié en génie physique, c’est de la faute de mon père, s’amuse-t-elle. J’envisageais au départ de faire de la physique médicale, mais mon père tenait à ce que je porte le titre d’ingénieur de l’Ordre des ingénieurs du Québec, car lui n’avait pu s’en prévaloir. »
Vocation biomédicale
Elle a tout de même souhaité valider sa passion en s’essayant à une autre discipline, histoire de ne pas passer par ignorance à côté de sa vraie vocation. Profitant d’une césure au cégep, elle s’est inscrite pour une session en études de langues à l’université. « L’expérience a été concluante : plus le moindre doute, j’étais bel et bien faite pour les sciences! Cela dit, elle a tout de même été profitable puisqu’elle m’a appris à rédiger très rapidement mes devoirs, sans laisser le temps à l’angoisse de la page blanche de survenir. Ça m’aide encore aujourd’hui pour remplir mes demandes de subventions. »
Après son baccalauréat en génie physique à l’Université Laval, la jeune femme poursuit des études doctorales dans un programme associant ingénierie et médecine, proposé conjointement au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et l’Université Harvard. « C’était passionnant, mais énormément exigeant, certainement une des choses les plus difficiles que j’ai entreprises. »
À la fin de son doctorat, elle se fait offrir par Polytechnique Montréal un poste de professeure en génie physique. Elle part réaliser préalablement un stage postdoctoral à Polytechnique Paris. Cela lui donne l’occasion de se familiariser avec une autre réalité qu’au MIT, où on ne regardait pas à la dépense lors de l’acquisition d’équipements de recherche. Elle se tient à cette règle : ne jamais restreindre ses ambitions d’excellence en recherche sous prétexte de ressources plus limitées.
Les travaux qu'elle mène à Polytechnique Montréal bouleversent l'imagerie médicale en donnant naissance à de nouveaux systèmes et instruments intégrant la fibre optique, qui permettent d'observer des organes internes en 3D de façon non invasive.
Exigeante envers elle-même, bienveillante avec les autres
La Pre Boudoux souhaite enseigner le goût du dépassement à ses étudiants. « Je leur recommande des lectures et leur donne des "quiz" à réaliser avant de venir en cours. Ceux qui le font participent davantage. J’aime quand les cours donnent lieu à d’enrichissants échanges intellectuels. »
Se questionnant en permanence sur sa façon d’enseigner, elle procède à la refonte de ses cours tous les trois ans et consulte régulièrement le Bureau d’appui pédagogique de Polytechnique. « J’ai une crainte tenace : m’embourgeoiser intellectuellement. Je me remets toujours en question et je me pousse à sortir de mes zones de confort. »
La création de Castor Optics est un symptôme de cette crainte. L’entreprise, qu’elle a fondée en 2013 avec son collègue le Pr Nicolas Godbout, est vouée au développement de coupleurs optiques conçus par les deux scientifiques. Cette technologie est tellement prometteuse qu’elle a rapidement attiré l’intérêt du premier distributeur mondial d’équipement optique, Thorlabs, qui la met en marché.
Innover en recherche, enseigner et développer une entreprise technologique : est-ce suffisant pour combler un emploi du temps ou pour répondre à un besoin de dépassement? Pas quand on se nomme Caroline Boudoux! La professeure s’est lancée en 2016 dans l’écriture d’un livre de génie biomédical, Fundamentals of Biomedical Optics, et par la même occasion dans la création de sa propre maison d’édition, Pollux. Publié en 2017, l’ouvrage est déjà devenu une référence dans les universités. « Je suis fière de cette réalisation, en même temps j’angoisse terriblement à l’idée d’être lue ! »
Le sport l’aide à canaliser (un peu) sa bouillonnante énergie. Dès l’âge de trois ans, elle a découvert l’équitation et l’a pratiquée intensément en sport-études. Puis, c’est le tennis qui a pris la relève. « J’aime dans le sport ce que j’aime dans les sciences : apprendre et construire. Ne me cherchez pas dans un gym! Les sports qui m’intéressent sont ceux qui demandent une analyse sans fin de la mécanique du mouvement et qui me donnent des métriques pour m’évaluer. Et j’admets avoir l’esprit de compétition. »
Si donner le meilleur de soi-même est une de ses valeurs cardinales, la bienveillance en est une autre. « Si j’ai toujours peur de me tromper, je réalise, quand ça arrive, que je peux compter sur la bienveillance des gens autour de moi pour m’aider à me relever. Pouvoir faire confiance et donner confiance permet de construire, sur le plan individuel comme sur celui de la société », estime-t-elle. Les professeurs bienveillants hissent les jeunes vers le haut, leur donnent des moyens de s’épanouir intellectuellement et de contribuer à la richesse de notre société. Ce rôle magnifique, elle est fière de pouvoir le jouer à Polytechnique : « Nous formons des athlètes olympiques de la matière grise! »
Rendre la science plus visible
Quant à ce qui l’horripile : « La malveillance évidemment, la paresse intellectuelle et le charlatanisme », déclare-t-elle. Si ce dernier prospère, c’est, selon elle, parce que la communauté scientifique n’a pas pris la place qui lui revenait dans la société. Les pseudo-sciences occupent donc le terrain vacant. « Comment se fait-il que la science soit si peu présente dans les grands médias? On devrait avoir des bulletins scientifiques aussi fréquents que les bulletins météo! »
Les scientifiques ont le devoir de dénoncer le charlatanisme et de se rendre plus visibles auprès du public, pense la professeure, saluant au passage le travail du Scientifique en chef du Québec et des journalistes qui s’intéressent sérieusement aux sciences. Elle-même ne rechigne jamais à répondre aux demandes des médias.
La curiosité heureuse
Caroline Boudoux a raffiné l’art de se simplifier la vie en s’organisant et en allant à l’essentiel dans tous les domaines. « Depuis la naissance de mon fils il y a un an, j’ai augmenté mon niveau d’efficacité. Ma tolérance à la perte de temps, autrefois déjà limitée, a totalement disparu. »
Toujours dans l’action, elle n’en sait pas moins savourer la vie. « J’ai le bonheur facile! Je m’estime très chanceuse de pouvoir réaliser ce qui me fait le plus vibrer. Et la curiosité me procure une source inépuisable de joie. C’est gratifiant de la retrouver chez mes étudiants ou chez mon fils, qui en déborde. »
Et si vous voulez connaître son endroit favori, elle vous répond : « Dans ma tête, où je suis toujours dans le futur. »