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La réalité virtuelle au service des futurs ophtalmologistes

Des équipes du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et de Polytechnique Montréal ont développé la première application pour casque de réalité virtuelle qui permet de simuler différentes interventions chirurgicales sur la rétine de l’œil. (Photos : Dr Farès Antaki)
Votre casque de réalité virtuelle pourrait faire de vous un futur chirurgien de l’œil. Enfin, après plusieurs années d’études et de pratique, et à condition d’avoir suivi un entraînement spécialisé, évidemment. N’empêche, une application développée conjointement par des équipes du CHUM et de Polytechnique Montréal aidera les ophtalmologistes en formation à se familiariser avec une partie de leur travail. Une première en ce qui a trait à la rétine.
On s’en doute, une chirurgie de la rétine requiert un doigté précis et un travail minutieux. L’espace dans lequel manœuvrent les instruments s’avère restreint. Il n’y a pas de place à l’erreur. Pour développer les compétences des ophtalmologistes sans mettre à risque la santé de leurs patients, les centres hospitaliers entraînent leurs spécialistes sur des simulateurs, des outils qui sont précieux dans tous les sens du terme, à 250 000 dollars l’unité, et qui ne sont pas toujours accessibles.
Dr Farès Antaki, ophtalmologiste et chercheur en technologies émergentes au CHUM, fait partie des privilégiés qui ont pu s’entraîner sur ce genre d’outil au cours de leur formation. Celui-ci a vite compris sa chance. Même qu’il s’est donné pour mission de développer une alternative.
« Le problème avec ce genre de simulateur, c’est qu’il n’est pas accessible à tous les ophtalmologues en formation sur la planète, explique-t-il. En plus, il ne permet d’entraîner qu’une personne à la fois ».
Sous la supervision, et à l’initiative, du Dr Karim Hammamji, ophtalmologiste et chirurgien vitréo-rétinien au CHUM, le jeune chercheur a entrepris de développer une nouvelle solution s’appuyant sur une technologie déjà démocratisée : celle du casque de réalité virtuelle.
« Ça me semblait être une idée qui tombait sous le sens, confie Dr Antaki. En plus d’avoir un simulateur abordable, on aurait une option à la fois portative et immersive. »
Le groupe de recherche a fait valoir son idée en 2021 dans le cadre d’un concours organisé par la Société canadienne d’ophtalmologie qu’il a remporté, lui permettant de se procurer notamment quelques casques de réalité virtuelle Meta Quest afin de tester l’application en développement. Restait maintenant à trouver la personne qui permettrait de donner vie au projet.
Un courriel iNattendu

Dr Farès Antaki, ophtalmologiste, chercheur en technologies émergentes au CHUM et chercheur postdoctoral clinicien à l’University College de Londres, Dr Karim Hammamji, ophtalmologiste et chirurgien vitréo-rétinien au CHUM et Benoît Ozell, professeur associé retraité au Département de génie informatique et génie logiciel de Polytechnique Montréal. (Photos : CHUM et Polytechnique Montréal)
Benoît Ozell, professeur associé au Département de génie informatique et génie logiciel de Polytechnique Montréal, ne connaissait rien de cette histoire jusqu’à ce qu’il voit atterrir dans sa boîte courriel un message de la part du Dr Hammamji. Spécialiste de la réalité virtuelle et en réalité augmentée, il a vite mis sur le projet l’un de ses étudiants à la maîtrise, Cédryk Doucet, afin qu’il développe une application adaptée aux casques de réalité virtuelle.
« On a essentiellement fait du développement logiciel par essai et erreur », explique Benoit Ozell. Chaque nouvelle version de l’application développée par l’étudiant et son directeur était ensuite testée au CHUM par les deux médecins. Puis, on lui apportait des modifications, selon la rétroaction. « C’est comme avoir une discussion autour d’un texte écrit, explique celui qui vient tout juste de prendre sa retraite de Polytechnique. On retourne améliorer le produit de fois en fois. »
Tout ce travail a permis de créer une application baptisée « RetinaVR » qui permet de simuler différentes étapes de la chirurgie rétinienne : la vitrectomie, utile pour apprendre à naviguer dans le corps vitré, le « rasage » périphérique, qui permet la pratique d’enlever le vitré périphérique très proche de la rétine, le pelage, qui consiste à retirer une membrane fine à la surface de la rétine, et finalement l’utilisation d’un laser à l’intérieur de l’œil.
Les utilisateurs saisissent à l’envers les manettes associées au casque afin de simuler l’utilisation d’instruments chirurgicaux. Leurs mouvements sont amplifiés environ 6 fois dans le casque afin de simuler le travail qui se fait normalement sous microscope.
Pour valider l’efficacité de leur application, les chercheurs ont mené une étude a auprès de dix résidents en ophtalmologie novices ainsi que dix ophtalmologistes spécialistes des chirurgies vitréo-rétiniennes. Les résultats, publiés dans un article du magazine scientifique Translational vision science & technology, ont notamment démontré une corrélation entre les performances des utilisateurs et leur expérience à mener ce genre de chirurgies.
« Ce qui permet à une personne de performer, c’est d’abord son niveau d’expérience, explique Dr Farès Antaki. Ce n’est pas parce qu’on est bon dans les jeux vidéo, par exemple, qu’on va nécessairement avoir de la facilité dès le départ. »
Le groupe de recherche a aussi noté une corrélation entre la répétition de l’exercice et le taux de succès des chirurgies virtuelles, ce qui suggère un apprentissage des participantes et participants. « Ce qui reste à démontrer scientifiquement, c’est que notre outil permet de former de meilleurs chirurgiens, explique l’ophtalmologiste. Ceci dit, on pense avoir développé une application au moins aussi bonne que ce qui existe présentement comme simulateur, mais à une fraction du prix. »
Selon Benoît Ozell, abonde dans le même sens, soulignant que cette application démontre que la réalité virtuelle s’offre en solution accessible de partout. « Avec la version actuelle de l’application, on atteint déjà notre but. », ajoute-t-il.
S’en remettre à la réalité virtuelle vient toutefois avec de légers compromis, admettent les chercheurs. « On souhaitait avant tout proposer une application à bas coût accessible de partout dans le monde », souligne Dr Antaki.
Par exemple, en plus du poids des manettes, qui ne correspond pas exactement à celui des instruments chirurgicaux, l’équipe a accepté qu’il n’y ait pas de rétroaction tactile pour l’instant. « Normalement, on devrait par exemple sentir une certaine résistance en manipulant les instruments, indique-t-il. L’action d’un instrument devrait aussi avoir un impact sur celui tenu par l’autre main. » Mais selon Benoît Ozell, ces faiblesses pourraient éventuellement être corrigées en ajoutant, notamment, un module où seraient fixées les manettes.
Nonobstant ces aspects qui restent à améliorer, l’application RetinaVR offre déjà plusieurs avantages par rapport à ce qui est présentement disponible pour entraîner les futurs ophtalmologistes, selon Dr Farès Antaki. En jumelant la réalité virtuelle à la praticité d’un casque abordable et portatif, l’équipe de recherche a développé un outil dont le coût d’utilisation est nettement inférieur à ce qui existe déjà, en plus d’être accessible de partout dans le monde, et ce, à tout moment.
En savoir plus
L'article paru dans Translational vision science & technology
Fiche d'expertise du professeur Benoît Ozell
Site du Département de génie informatique et génie logiciel
Fiche d'expertise du Dr Farès Antaki
Fiche d'expertise du Dr Karim Hammamji
Site de l'équipe de rétine du CHUM
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