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Des bulles pour explorer le cerveau

22 juin 2021 - Source : BLOGUE

 

Lorsqu’elle sera utilisée sur des sujets humains, la microscopie de localisation ultrasonore dynamique révélera tout un monde jusqu’ici inaccessible aux équipes médicales. Ici, à droite, l’image d’un cerveau de souris sans localisation, et à gauche, une fois la localisation des microbulles effectuée. (Photo : Chloé Bourquin)

Dans son laboratoire du pavillon Lassonde, une équipe de Polytechnique Montréal peaufine une technique d’imagerie médicale qui pourrait permettre de détecter les signes avant-coureurs de démence ou de la maladie d’Alzheimer, et ce, plusieurs années avant l’apparition des symptômes. Un outil qui repose sur des millions de bulles, des ultrasons… et des centaines de gigaoctets d’images!

À chacun de ses battements, le cœur expulse le sang avec une pression capable d’endommager les organes. Il faut dire qu’à 130 kPa - ou 120 mm de mercure – chaque pulsation déplace le sang avec une pression équivalente à celle de l’air contenu dans le pneu d’une voiture.

Heureusement pour nous, les artères et les autres vaisseaux sanguins absorbent une partie de cette énergie en se dilatant. Au lieu de déferler comme un torrent dans l’ensemble du corps, le sang ralentit progressivement sa course. Il quitte les autoroutes que sont les artères pour gagner des vaisseaux sanguins de plus en plus petits, jusqu’à atteindre les capillaires sanguins. Des vaisseaux qui font 3 à 10 micromètres de diamètre, de 5 à 10 fois plus minces qu’un cheveu et où les pulsations du cœur sont quasiment imperceptibles.

Le hic, c’est qu’avec le temps, nos artères deviennent moins élastiques. Leur capacité à absorber la vague produite par le cœur s’atténue et le sang circule avec force jusque dans les plus petits conduits. À l’extrémité du réseau, les capillaires écopent. Leur monocouche de cellules se brise. Résultat : les tissus sont moins bien irrigués, et les cellules meurent faute d’avoir accès à suffisamment d’oxygène et de nutriments.

Selon différentes études, le phénomène pourrait être impliqué dans le développement de maladies neurodégénératives comme la démence ou l’Alzheimer. Des maladies à évolution longue qui mettent de 10 à 15 ans avant de se révéler par des symptômes. Des maladies que la médecine moderne est incapable de détecter présentement par une technique d’imagerie avant qu’il n’y ait de dommage irréversible sur le cerveau.

Mais une équipe de Polytechnique Montréal travaille sur une solution.

des bulles et des ultrasons

Professeur Jean Provost (Photo : Polytechnique Montréal)

Dans son laboratoire du Pavillon Lassonde, Jean Provost, professeur au Département de génie physique de Polytechnique Montréal, participe au développement d’une nouvelle technologie d’imagerie vasculaire. Une approche qui pourrait éventuellement permettre de détecter les premiers signes de ces maladies neurodégénératives.Comme pour une échographie, cette technique permet de visualiser ce qui se déroule à plusieurs centimètres sous la peau. Sauf qu’ici on ne cherche pas à découvrir les traits d’un futur bébé ou l’état de santé d’un appendice. La sonde à ultrasons repère plutôt de fines bulles qu’on a préalablement injectées dans la circulation sanguine du sujet étudié.

« On se sert déjà de ces microbulles comme agent de contraste en imagerie médicale, elles sont parfaitement inoffensives », soutient Pr Provost. « On en injecte des millions dans le sang du sujet étudié, puis on les détecte une à une à travers la peau avec une sonde à ultrasons. »

Par cette approche, on souhaite mesurer la « pulsatilité » du flot sanguin, ce mouvement de va-et-vient qui s’observe entre chaque battement cardiaque en raison de la variation de la pression sanguine.

La sonde à ultrasons suit le déplacement de chaque bulle à un endroit donné. En synchronisant les images avec le rythme cardiaque, elle génère non seulement une carte du réseau sanguin, mais aussi, et surtout, une vidéo. Et voilà la plus-value qu’apporte cette technique. « On ne s’intéresse pas au détail anatomique, confie Pr Provost, mais bien au mouvement des bulles dans les vaisseaux. »

Coup d'oeil sur... La microscopie de localisation ultrasonore

 

Une équipe du Laboratoire Physique pour la Médecine (ESPCI Paris-PSL, Inserm, CNRS) travaille également sur la microscopie de localisation ultrasonore pour mieux comprendre les maladies cérébrales (Crédit: YouTube)

La microscopie de localisation ultrasonore n’est pas encore utilisée dans les hôpitaux de la planète comme l’est l’imagerie par résonance magnétique (IRM) ou la tomographie par émission de positrons (PET scan).

Elle n’en demeure pas moins la seule technique ayant le potentiel de sonder la microvascularisation des tissus en profondeur sans chirurgie.

Une équipe française a récemment démontré qu’elle peut être envisagée chez l’humain.

L’histoire se trouve dans cette vidéo extraite de YouTube.

un film netflix par seconde

Avant d’utiliser de façon routinière cet outil chez l’humain, reste encore un travail d’optimisation à réaliser. C’est là qu’intervient l’équipe de Jean Provost.

« Le principal défi, c’est de détecter suffisamment de microbulles dans un temps raisonnable pour former une carte vasculaire complète », confie Pr Provost. « Si on injecte trop de microbulles, on n'arrive pas à les détecter individuellement, alors que si on en injecte trop peu, le temps requis pour capter les images devient trop important. »

Un problème qui s’ajoute au défi de gestion du stockage des images captées par la sonde. Chaque seconde, celle-ci prend de 1 000 à 5 000 images, soit l’équivalent d’un épisode de série que vous téléchargez sur Netflix (environ 0.7 à 3.5 Go, selon la qualité).

Après les 10 minutes d’acquisition requises pour reconstruire tous les vaisseaux sanguins, on arrive à plusieurs centaines de gigaoctets, ou les 10 saisons de Friends!

Un coup de main de l'IA


En analysant plus de 150 000 images captées en 4 minutes, l’équipe de Pr Provost a généré cette image montrant les vaisseaux sanguins du cerveau d’un raton. On estime que plus de 5 millions de trajectoires de bulles ont été repérées durant la procédure. (Photo : Chloé Bourquin)

Un juste équilibre doit donc être trouvé.

Pour l’identifier, l’équipe du Pr Provost s’en est remise à un outil d’intelligence artificielle.

« On a développé une nouvelle architecture de réseau de neurones qu'on a entraîné sur des simulations réalistes basées sur de la microscopie à deux photons », explique le chercheur. « Avec cette approche, on peut drastiquement augmenter la concentration des bulles et réduire du même coup le temps d'acquisition pour obtenir une même information. »

En d’autres mots, l’algorithme a appris à retrouver la structure des vaisseaux sanguins en observant un nuage de bulles qui seraient impossibles à bien distinguer pour la plupart d’entre nous. Un exploit dont les détails ont récemment été publiés dans un article scientifique de la revue IEEE Transactions on Medical Imaging.

Le chercheur et son équipe testent maintenant leur algorithme sur des images acquises sur des vaisseaux sanguins entourant le cœur d’un rat. Un autre créneau où cette technique d’imagerie pourrait s’avérer utile selon Pr Provost.

« Plusieurs problèmes de santé sont liés à une mauvaise vascularisation du cœur, explique-t-il. Avec cet outil, on pourrait savoir si les petits vaisseaux sanguins de la paroi du myocarde sont bloqués ou non, ou déterminer par exemple, si un anévrisme risque de céder prochainement. »

On... recrute!

L’équipe du Pr Provost recrute.

Elle est à la recherche d’un doctorant ou d’un stagiaire postdoctoral pour un projet connexe.

Pour plus d’information, consulter cette page.

En savoir plus

Fiche d’expertise de Pr Jean Provost
Page Web du laboratoire de Jean Provost
Page Web du Département de génie chimique
L'article scientifique de la revue IEEE Transactions on Medical Imaging.

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