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Concevoir des dents par IA


Intégrer des algorithmes d’apprentissage automatisé au processus de design des prothèses dentaires pourrait diminuer la fréquence des erreurs de conception. (Photo : Laboratoire de recherche MAGNU)
L’intelligence artificielle (IA) pourrait bientôt trouver des applications jusque dans nos bouches. Une équipe de Polytechnique Montréal y travaille afin de réduire le risque d’erreurs lors de la confection de couronnes dentaires. Une solution susceptible d'économiser de précieuses heures, tant aux patients qu’aux dentistes et prothésistes.
Si vous n’avez jamais eu l’occasion de vous faire poser une couronne dentaire, voici d’abord une belle occasion de toucher du bois, mais aussi de poursuivre la lecture de ce texte pour comprendre tous les défis que surmontent celles et ceux qui conçoivent ce genre de dent artificielle.
Lorsqu’une dent casse, est trop usée ou a largement été abimée par une carie, le dentiste propose bien souvent de remplacer la partie endommagée par une couronne. Il installe alors cette prothèse sur la partie de la dent épargnée afin de la protéger pendant des années.
Mais avant de réaliser cette intervention, le dentiste et le prothésiste doivent d’abord fabriquer cette nouvelle dent. Un travail qui demande de la minutie parce que chaque prothèse est unique. Le défi est surmonté la plupart du temps du premier coup. À certaines occasions, toutefois, le travail doit être corrigé pour une raison ou une autre, et engendre une perte de temps pour le patient et tous les intervenants impliqués.
Des algorithmes d’apprentissage automatisé pourraient corriger le problème. Une équipe de Polytechnique Montréal est sur le cas.
Frôler la perfection
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Cette équipe, c’est celle de François Guibault, professeur titulaire au Département de génie informatique et génie logiciel à Polytechnique Montréal. Son groupe se spécialise en modélisation géométrique et en optimisation de formes en s’appuyant sur l’intelligence artificielle pour améliorer ses outils informatiques.
Après s’être notamment penché sur la modélisation de turbines, son équipe et lui s’intéressent maintenant à vos dents. Le groupe a pour objectif de créer un outil informatique pour appuyer le travail des prothésistes et leur éviter de commettre des erreurs lors de la conception de couronnes.
Les dentistes et prothésistes s’appuient déjà sur des outils numériques pour limiter le plus possible les insuccès. Après avoir usiné la dent pour retirer la partie abimée et lui donner une forme capable d’accueillir une couronne appelée « préparation », le dentiste prend une empreinte qu’il numérise ensuite ou capte directement l’information à l’aide d’une caméra 3D.
Le prothésiste travaille ensuite avec ce modèle in silico. Il positionne une dent virtuelle à l’emplacement désigné, puis modifie sa forme pour qu’elle s’y installe correctement. Une fois le travail terminé, cette prothèse virtuelle devient réelle. On la fabrique la plupart du temps en porcelaine cuite.
La procédure peut sembler routinière, mais la réalité est toute autre, selon Pr Guibault. « On doit prendre en compte plusieurs contraintes », souligne-t-il. La couronne doit d’abord pouvoir s’insérer sur la préparation quasi parfaitement, « à quelques dizaines de microns près », indique l’ingénieur. Elle doit aussi éviter de s’appuyer sur les parois de ses voisines de palier, tout en offrant une surface qui complète celle des dents opposées pour une mastication efficace.
« On doit aussi tenir compte de la trajectoire à emprunter lors de la pose », fait remarquer Pr Guibault, certaines bouches offrant des accès limités. »
Coup d'oeil sur... les réseaux de neurones de type GAN |
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Pour proposer des designs de couronne qui frôlent la perfection, le groupe du Pr Guibault se base sur des réseaux de neurones dits « générateurs antagonistes » (GANs en anglais), un concept né à Montréal à la suite du travail de l’équipe du Pr Yoshua Bengio, professeur au Département d’informatique et de recherche opérationnelle de l’Université de Montréal et directeur scientifique du MILA. L’approche permet de générer des images, des sons ou des vidéos qui passent pour des vrais. Les hypertrucages (deepfakes en anglais), par exemple, utilisent cette stratégie. Les GANs réalisent leur coup en faisant entrer en compétition deux algorithmes aux objectifs opposés. Le premier réseau est celui qui génère de façon automatique des « solutions » comme des images, par exemple. Le second réseau, lui, agit comme discriminateur. Il compare les images proposées par le générateur à celles provenant d’une base de données remplie d’images réelles. S’il détermine que l’image du générateur diffère trop des autres, il l’écarte et le signifie au premier algorithme qui utilise cette information pour ne pas répéter son erreur. Ce jeu de ping-pong se termine lorsque le générateur réussit à tromper le flair du discriminateur qui ne voit plus de différence entre les vraies images et celle que lui propose le générateur. « Avec cette stratégie, on fait apprendre au réseau à générer une forme qui pourrait remplacer la partie de la dent qu’on a enlevée », explique Pr Guibault. L’image obtenue est en fait un nuage de points. L’équipe du Pr Guibault la crée à partir de trois opérations de calcul menées en parallèle. Chacune offre un niveau de résolution différent. « On refait ensuite la surface en postproduction à partir de ces nuages de points », indique-t-il. |
Automatiser la segmentation des dents
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L’équipe du Pr Guibault entraîne ses outils à partir des images de quelques centaines de couronnes et de bouches, des données provenant de ses partenaires, les entreprises Intellident Dentaire, associée au laboratoire dentaire KerenOR, ainsi qu’iMD Research, qui est spécialisée dans le développement de technologies destinées au milieu de la dentisterie.
En plus de travailler au design des couronnes, l’équipe cherche aussi à automatiser l’étiquetage des dents, une étape qui vient en amont dans le processus.
Des étudiants de niveau collégial provenant du Cégep Édouard Montpetit et recrutés par le Centre collégial de transfert de technologie en sciences pharmaceutiques, situé au Cégep John-Abbott, se sont chargés de cette tâche que Pr Guibault espère automatiser par IA.
Le travail d’étiquetage consiste à associer des mots-clés à chaque image en indiquant, par exemple, le numéro de chacune des dents à identifier ainsi que celles à réparer. En s’entraînant avec le jeu de données déjà étiquetées, les algorithmes devraient éventuellement effectuer cette tâche automatiquement pour toute nouvelle image qu’on leur présenterait.
Ce travail semble plus simple qu’il ne l’est vraiment, selon Pr Guibault. « On travaille parfois avec des arches dentaires où il ne reste que quelques dents ou qui proviennent de patients vivant avec un défaut congénital », rappelle-t-il.
Pareil outil sera utile à la préparation de couronnes, mais pas seulement. « Toute planification de traitement demande qu’on doive d’abord segmenter les dents », explique le professeur du Département de génie informatique et génie logiciel. « Dans le futur, cet outil pourrait aider les dentistes dans le cadre d’autres procédures. »
En savoir plus
Fiche d'expertise du professeur François Guibault
Site web du Département de génie informatique et génie logiciel
Site web du Laboratoire de recherche en maillage et géométrie numérique (MAGNU)
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