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Des dispositifs électroniques compostables grâce à de l’encre venue du fond des mers
Il faudra attendre encore plusieurs années avant que des molécules organiques biodégradables soient utilisées au cœur de nos appareils électroniques. Ce jour se fait toutefois un peu plus proche avec la divulgation aujourd’hui de nouveaux résultats émanant du laboratoire de Clara Santato, professeure titulaire au Département de génie physique à Polytechnique Montréal. Dans un article publié dans Nature Communications, son groupe démontre que sa molécule phare, l’eumélanine, est dégradée rapidement par des bactéries dans un contexte industriel.

Une fois déposée en fine couche, l'eumélanine se substitue à d'autres matériaux conducteurs d'électricité.
Les produits électroniques que nous utilisons dans nos activités quotidiennes s’accompagnent d’un coût économique et environnemental difficile, voire impossible, à soutenir à long terme. Pour cette raison, plusieurs chercheuses et chercheurs dans le monde, notamment Pre Santato, tentent d’identifier des alternatives pérennes afin de remplacer une partie des métaux et des molécules inorganiques par des composés possédant les mêmes caractéristiques d’électroactivité, mais qui sont plus « verts » et même biosourcés, c’est-à-dire qui sont extraits du vivant.
« Notre objectif est de développer de nouveaux matériaux performants en vue de fabriquer des dispositifs électroniques écoresponsables ayant un impact environnemental limité et pouvant être compostés en fin de vie », explique-t-elle.
L'une des pistes explorées cible une famille de molécules très abondantes sur la planète : les mélanines. Faits de nombreux cycles d’atomes de carbone, ces pigments brun-noirâtre ont entre autres pour fonction de protéger l’ADN de l’attaque des rayons UV. On en retrouve dans la peau, les poils et les yeux de quantité d’animaux, incluant l’humain, mais aussi dans la pelure des bananes devenues trop mûres, notamment.
Les mélanines se concentrent aussi dans « l’encre » qu’expulsent les céphalopodes comme les calmars et les seiches lorsque ces animaux se sentent menacés. C’est d’ailleurs à partir d’encre de seiche que les chercheurs de Polytechnique mènent leurs expériences, confie Pre Santato.
« Comme le coût de cette molécule synthétisée en laboratoire est très élevé, on préfère acheter de l’encre de seiche dans une poissonnerie pour ensuite extraire la composante qui nous intéresse plus précisément : l’eumélanine », précise-t-elle. Ceci dit, elle précise du même coup que des bioprocédés sont présentement à l’étude afin d’assurer un approvisionnement à coût compétitif de la molécule advenant que de grandes quantités deviennent nécessaires.

L’équipe de Polytechnique Montréal purifie l’eumélanine à partir d’encre de seiche vendue dans le commerce.
Jeter ses « serpuariens » dans le bac à compost
Dans son article paru dans Nature Communications, l’équipe de Pre Santato s’est intéressée à la fin de vie l’eumélanine afin d’estimer le temps que pourrait mettre cette molécule à se dégrader au terme de son utilisation dans un dispositif électronique.
Pour ce faire, les chercheuses et chercheurs ont enfoui leurs échantillons dans un compost provenant d’un centre municipal de traitement des déchets organiques, puis ont mesuré à quelle vitesse l’eumélanine se dégradait dans des conditions naturelles à 25 degrés Celsius, ou dans un contexte industriel à 58 degrés Celsius.
Après 98 jours d’incubation, les microorganismes contenus dans le compost réchauffé ont éliminé 37 % des molécules d’eumélanine alors que seulement 4 % avaient disparu du compost maintenu à température pièce. Des tests supplémentaires ont aussi démontré que ce compost n’était pas toxique pour les végétaux et qu’il permettrait à la fois la germination de graines et la croissance des végétaux.

Clara Santato, professeure titulaire au Département de génie physique.
« C’est la première fois que la biodégradabilité de l’eumélanine était testée de cette façon », souligne Pre Santato. « Les résultats que nous avons obtenus suggèrent que cette molécule biosourcée pourrait avoir un cycle de vie bien contrôlé et sécuritaire pour l’environnement. »
Pour démontrer que la dégradation de molécules organiques dans ce contexte n’a rien d’ordinaire, son équipe a mené en parallèle une expérience de biodégradation de deux composés organiques synthétiques qui sont également envisagés pour fabriquer des composantes électroniques, soit le polysulfure de phénylène (PPS) et le bleu de phtalocyanine (Cu-Pc). Dans les deux cas, les molécules sont restées quasi intactes durant toute l’expérience, le PPS contaminant même le compost alors que le Cu-Pc a bloqué partiellement l’activité respiratoire des microorganismes responsables du processus de compostage.
Un véritable matériau du futur
La coupe est encore loin des lèvres lorsqu’il est question de fabriquer des composantes électroniques contenant de l’eumélanine. Des équipes de recherche ont toutefois déjà démontré qu’on pouvait l’incorporer à des supercondensateurs, des batteries et même des transistors électrochimiques.
Selon Pre Santato, plusieurs caractéristiques de cette molécule pourraient en faire un matériau d’avenir en électronique biodégradable. Outre son abondance dans la nature et sa non-toxicité, l’eumélanine possède aussi un potentiel de biodégradabilité intéressant, comme le démontre l’étude qu’elle vient de cosigner avec son étudiant Eduardo Di Mauro et son collaborateur Denis Rho, chercheur au Conseil national de recherche du Canada (CNRC).
« C’est un composé qui est à la fois respectueux de l'environnement tout en étant adapté à l'électronique organique durable », ajoute-t-elle, précisant qu’on pourrait entre autres l’incorporer à des dispositifs électroniques destinés aux domaines biomédical et environnemental.
En savoir plus
Article publié dans Nature Communications
Fiche d’expertise de la professeure Clara Santato
Site du Département de génie physique