
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Cybersécurité : un simulateur de vol pour accumuler les données

Hans Obas, pilote et étudiant au doctorat étudiant au doctorat en génie informatique, et la Pre Gabriela Nicolescu, directrice du Département de génie informatique et génie logiciel. (Photo : Denis Bernier)
Le passage au numérique bouscule quantité de sphères technologiques, et celle de l’aéronautique n’y échappe pas. Comment garantir la sécurité des passagers et des membres de l’équipage alors qu’on s’en remet de plus en plus à des ordinateurs à bord des avions? La Pre Gabriela Nicolescu et son équipe se penchent sur la question en se servant d’un instrument qui vient « d’atterrir » à Polytechnique.
Certains l’auront remarqué derrière de grandes baies vitrées qui donnent sur l’agora qui relie les pavillons Pierre-Lassonde et Claudette-MacKay-Lassonde : un simulateur de vol est désormais installé à Polytechnique. Et ce n’est pas dans le but d’entraîner de futurs pilotes de ligne! Le simulateur a plutôt pour fonction de faciliter le développement de solutions de cybersécurité adaptées aux avions.
Jusqu’ici, le milieu de l’aéronautique a principalement fait les frais d’attaques qui ont compromis les réseaux aéroportuaires ou les plateformes en ligne des aéroports et compagnies aériennes. Selon les informations qui ont été rendues publiques, les avions, eux, semblent avoir été épargnés, sinon que des écrans en cabine auraient déjà été pris pour cible afin de contrôler les contenus affichés.
N’empêche, la menace est bien réelle, confie la Pre Gabriela Nicolescu, professeure titulaire au Département de génie informatique et génie logiciel de Polytechnique Montréal. « Les problèmes peuvent venir de partout, affirme celle qui agit aussi à titre de directrice du Département. On pourrait attaquer l’avionique d’un appareil, perturber des communications qui ne sont pas cryptées entre la tour de contrôle et les avions ou faire apparaître de faux aéronefs sur un radar », ajoute-t-elle en énumérant quelques exemples possibles parmi plusieurs autres.

Le Projet Alliance Cybersécurité des avions actuels et futurs, sur un simulateur de vol Ontop Duo. (Photo : Caroline Perron)
Un projet d’envergure
Pour identifier les failles potentielles et apporter les correctifs requis, la Pre Nicolescu a pris sous son aile les activités du Projet Alliance Cybersécurité des avions actuels et futurs en collaboration avec une myriade de partenaires. Outre Bombardier, les organisations Carillon Information Security, le groupe RHEA, Rockwell Collins et l’International Air Transport Association (IATA), le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) et le Consortium de recherche et d'innovation en aérospatiale au Québec (CRIAQ) appuient le projet. Leur objectif : apporter des solutions compatibles avec ce qui est déjà en place dans les avions. « L’approche permet d’être beaucoup plus efficace et rapide, souligne la Pre Nicolescu. Plutôt que de proposer de nouveaux outils qui nécessiteraient d’être certifiés, nos solutions vont déjà être adaptées à ce qui existe. »
Mais pourquoi donc s’en remettre à un simulateur de vol au lieu de travailler avec de vrais avions? Les raisons sont multiples, évoque la directrice du projet. D’abord, en travaillant avec de vrais avions, on leur ferait perdre leur sceau de sécurité. « Comme une simulation d’attaque peut laisser des traces dans le système, le risque serait trop important, explique la spécialiste. L’avion devrait être certifié à nouveau avant de pouvoir voler. » Le simulateur permet aussi de générer une grande quantité de données qui permettront éventuellement d’entraîner des outils d’intelligence artificielle. « Avant d’être en mesure de détecter une situation anormale, on doit d’abord avoir un aperçu des données lorsque l’avion se comporte de façon normale, explique la Pre Nicolescu. Le simulateur permet d’accumuler ces données, mais aussi de tester des cas limites, comme des conditions météo ou des problèmes mécaniques pour aller chercher des données complémentaires qu’on ne pourrait pas nécessairement obtenir en situation réelle. »
Le projet a également pour objectif de réunir pilotes et experts en cybersécurité autour d’un même projet afin de garantir que toutes les failles de sécurité potentielles soient identifiées.
Un doctorant et pilote aux commandes
Pour accumuler toutes ces données, Gabriela Nicolescu mise sur une perle rare : le pilote de ligne Hans Obas. Celui qui vient d’entamer des études doctorales à Polytechnique pourrait aussi vous transporter à Malaga, Barcelone ou Punta Cana la fin de semaine prochaine. Il cumule 24 années d’expérience depuis son premier essai comme pilote d’un jour au Collège de pilotage de l’aéroport de Saint-Hubert.
Son expertise permet à l’équipe de la Pre Nicolescu de comprendre dans le détail chacune des procédures suivies par un pilote avant, pendant et après un vol, de façon à identifier non seulement les vecteurs potentiels d’attaque informatique, mais aussi à observer comment un pilote analyse les informations qui lui sont présentées et comme il y réagit.
Pour donner un exemple, Hans Obas saisit une tablette dans son sac et présente une application qui lui permet d’estimer la vitesse à atteindre pour un décollage en fonction des conditions de vent et de météo. « J’ai une idée des valeurs qui devraient être affichées, mais si l’outil a été piraté et qu’il affiche des valeurs erronées sans que je le réalise, le décollage pourrait rater », dit-il.
Son expérience permet aussi aux membres de l’équipe de valider les solutions qu’ils mettent au point. « Parfois, les contraintes de temps et de procédure font en sorte que ce qui fonctionne sur papier ne s’applique pas à la vie réelle, explique-t-il. Alors, je n’ai pas le choix de "challenger" mes collègues. »
En adaptant ainsi ses solutions tant aux procédures qu’aux outils mis en place par les compagnies aériennes, Gabriela Nicolescu s’attend à ce que les solutions que son équipe développe trouvent rapidement leur place dans l’industrie. « On n’a presque pas le choix d’adopter cette façon de travailler, parce que c’est un univers qui évolue très vite », précise-t-elle.

Le simulateur de vol a pris sa place à Polytechnique grâce au travail de Jean Yves Ouattara, associé de recherche, qui a coordonné toutes les étapes de transport et de manutention du simulateur depuis l’Espagne où il a été assemblé. (Photo : Caroline Perron)
En bref
- Un simulateur de vol a été installé à Polytechnique dans le but de développer des solutions de cybersécurité adaptées aux avions
- La Pre Gabriela Nicolescu et son équipe dirigent le Projet Alliance Cybersécurité des avions actuels et futurs, avec des partenaires tels que Bombardier, Carillon Information Security, Rockwell Collins, l'IATA, le CRSNG, et le CRIAQ
- Le projet vise à identifier les cybermenaces pesant sur l'aéronautiques à développer des solutions de cybersécurité compatibles avec les systèmes existants à bord des avions
- Le simulateur génère également des données utiles pour l'entraînement d'outils d'intelligence artificielle
- La collaboration avec un pilote de ligne expérimenté permet à l'équipe de comprendre les procédures des pilotes et de valider les solutions développées, en tenant compte des contraintes de temps et de procédure de l'industrie aéronautique