
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Des technologies chimiques alternatives pour sortir de l’économie carbonée

Ressource abondante et renouvelable d’« énergie propre », la biomasse devrait jouer un rôle central dans la transition énergétique. Cependant, en extraire de l’énergie de façon rentable pose des défis scientifiques complexes qui mobilisent des chercheurs en chimie du monde entier. Daria Boffito, titulaire de la chaire de recherche du canada en procédés mécanochimiques intensifiés pour la conversion durable de la biomasse, fait partie de ces explorateurs de la bioénergie.
Révolution annoncée dans l’industrie chimique
« C’est une révolution qui s’annonce dans l’industrie chimique », prévoit la Pre Daria Boffito. Car cette industrie, pour pouvoir transformer efficacement et à faible coût la biomasse en énergie, doit remettre en question l’ensemble de ses procédés habituels. »
La chercheuse explique qu’en matière énergétique, l’un des principaux enjeux pour l’industrie chimique était, jusqu’à présent, d’oxyder les molécules issues du raffinage des produits fossiles afin d’obtenir des carburants divers et aux fonctionnalités plus nombreuses. La transformation de la biomasse renverse la situation : comme le raffinage produit des molécules complexes et très oxydées, l’enjeu industriel devient de les simplifier pour pouvoir les utiliser comme matière première.
Pour augmenter l’efficacité des processus chimiques en vue d’obtenir de nouveaux procédés d’extraction de l’énergie plus efficaces, Daria Boffito favorise une approche multidisciplinaire assez nouvelle, basée sur l’intensification des procédés (IP). Elle collabore notamment avec des équipes de l’Université de Milan, son alma mater, ainsi que de l’Université de Melbourne. À Polytechnique, elle mène également des travaux avec les Prs Gregory Patience et Jamal Chaouki du Département de génie chimique, ainsi que le Pr Étienne Robert du Département de génie mécanique.
IP et catalyse hétérogène associées
« Quand on parle d’intensification de procédés, il s’agit de maximiser l’efficacité des effets inter-moléculaires et intra-moléculaires des réactions chimiques, de réduire leur durée, de mieux les contrôler et d’uniformiser les conditions des réactions, le tout, en produisant moins de déchets », précise Daria Boffito. « L’IP est une approche assez récente, mais susceptible de transformer profondément l’industrie chimique, car elle devrait mener au remplacement des procédés traditionnels actuels et à la réduction de la taille des équipements industriels. »
La biomasse est physiquement et chimiquement hétérogène, sa conversion en énergie ou en produits requiert de combiner plusieurs méthodes pour obtenir des résultats intéressants pour l’industrie. Ainsi, certains travaux menés par la Pre Boffito associent l’IP et la catalyse hétérogène. Utilisée dans une vaste majorité de processus chimiques industriels, la catalyse hétérogène met en oeuvre des procédés stables, même à grande échelle, et elle permet de récupérer assez aisément les produits des réactions. Elle joue donc un rôle prépondérant en chimie durable. En intensifiant les procédés catalytiques, Daria Boffito souhaite ouvrir la voie au développement de nouveaux systèmes de catalyseurs et de réacteurs beaucoup plus efficaces que les systèmes classiques.

Ultrasons pour réactions chimiques à haut rendement
La chercheuse explore également une voie assez inédite en Amérique du Nord en matière d’IP : celle de la sonochimie. « La sonochimie s’intéresse aux effets des ultrasons sur les réactions chimiques », explique-t-elle. On sait en effet qu’à certaines fréquences, la propagation des ultrasons dans un liquide forme des bulles de cavitation. Lorsqu’elles implosent, ces bulles libèrent une grande quantité d’énergie. C’est ce qu’on appelle le phénomène de cavitation. Nous cherchons à utiliser cette énergie pour augmenter le rendement des réactions chimiques dans les réacteurs. »
L’utilisation de procédés sonochimiques pour produire des biocarburants et des bioproduits à partir de la biomasse est appelée à se développer au cours des années, pense-t-elle, bien que l’approche demande de résoudre plusieurs grands défis. Par exemple, celui posé par la viscosité des produits issus de la transformation de la biomasse, qui freine la formation des bulles de gaz. Il faut aussi parvenir à quantifier les effets de ces phénomènes transitoires et à moduler l’action des ultrasons sur les milieux. De plus, il faut réussir à « capturer » les radicaux très réactifs issus de ces processus. « Il y a beaucoup d’imprévus. Parfois, nos hypothèses ne se vérifient pas, mais il se produit d’autres réactions qui nous mènent vers de nouvelles pistes intéressantes », mentionne Mme Boffito.
Diversité des champs d’application
La chimiste s’enthousiasme pour la diversité des champs d’application des méthodes qu’elle étudie. « Certains des projets de ma Chaire concernent la production de biocarburants, d’autres, de biolubrifiants, mais nous sortons parfois aussi du domaine strictement énergétique. Ainsi, nous nous intéressons à des procédés d’oxydation avancée obtenus en couplant photocatalyse et ultrasons, qui permettent de dégrader des polluants présents dans l’eau. »