
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Un jeu vidéo pour faire vivre la langue innue

Depuis deux ans, une équipe multidisciplinaire de notre campus se plonge dans l'univers de Nui Innu-Aimin : Kushpitau! (Je veux apprendre l'innu : allons à l'intérieur des terres!), un projet de jeu vidéo qui vise à maintenir vivante la langue innue. Le « chef d’orchestre » de l’équipe chargée du développement technique, Olivier Gendreau, maître d’enseignement au Département de génie informatique et génie logiciel, dévoile les coulisses de ce projet inédit et passionnant.
Le code au service d’une culture ancestrale
Pendant la pandémie, la professeure Yvette Mollen, du Département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal, a découvert que sa petite-fille apprenait le mandarin sur une tablette grâce à un jeu vidéo. Cette observation a convaincu cette éminente spécialiste de l'innu-aimun (la langue innue) que la technologie pourrait également aider à préserver et transmettre cette langue autochtone aux jeunes générations. Pour concrétiser son idée d’un jeu vidéo éducatif, outre l’intervention de divers spécialistes en apprentissage des langues et en pédagogie, elle devait pouvoir compter sur une expertise en ingénierie des jeux vidéo. Lorsqu’elle a contacté le Département de génie informatique et génie logiciel de Polytechnique Montréal pour obtenir cette aide, Olivier Gendreau n'a pas hésité une seconde. Enseignant lui-même le développement de jeux vidéo, il y a vu une occasion unique d'allier sa passion pour la technologie à un projet porteur de sens.
« Ce qui m'intéresse, c’est de parvenir à traduire la vision de la Pre Mollen et à la matérialiser », déclare-t-il.
Pour lui, ce projet transcende le simple défi technique : c'est l'occasion de participer à la sauvegarde d'une identité culturelle fragilisée. Avec à peine 10 000 locuteurs aujourd'hui, la langue innue a besoin d’un effort accru de transmission aux jeunes générations pour assurer sa survie. Le jeu vise à élargir ce nombre de locuteurs, non seulement parmi les personnes issues des communautés innues vivant hors communauté, mais aussi chez les non-Autochtones.
Programmeurs, designers, artistes, professeurs et stagiaires, chacun apporte sa pierre à l'édifice. « L'été dernier, une quinzaine de personnes gravitaient autour du projet, dont la moitié à plein temps », témoigne M. Gendreau. Cette équipe diversifiée comprend, entre autres, Michael Roussel, étudiant de quatrième année en génie logiciel et membre de l’équipe Laval Virtual. Un diplômé en génie logiciel, Mackly Férère-Antoine, est également intervenu à titre de producteur. Une illustratrice innue apporte quant à elle son expertise essentielle, veillant à l'authenticité culturelle des représentations visuelles.

Défis culturels
« Le développement classique d’un jeu vidéo repose sur trois piliers : design, art et ingénierie, explique Olivier Gendreau. Mais ici, chaque élément doit aussi respecter l'intégrité culturelle innue. »
Le défi va bien au-delà de la programmation : « Il ne s'agit pas simplement d'animer un lexique, mais de contextualiser les mots dans un univers captivant pour des enfants et culturellement authentique. »
Les subtilités culturelles ont émaillé le parcours de développement, sources d’apprentissage pour l'équipe. Par exemple, l'intégration du « sapinage », une pratique traditionnelle consistant à tapisser le sol des tentes traditionnelles de branches de conifères. « L'idée a été très bien accueillie, raconte l'ingénieur, mais nous avons découvert que la disposition des branches peut différer selon les communautés innues, ce qui constitue un défi de design dans le jeu! »
Ces enjeux culturels qui ajoutent une couche de complexité au développement rendent le projet encore plus passionnant, selon lui. « C'est ce qui rend ce travail si différent de tout ce que j'ai pu faire avant. De plus, j'adore les défis. »
Créativité technique au service des jeunes apprenants
Dans le prototype actuel, le personnage principal est un enfant, à qui des adultes de sa famille apprennent des choses relatives à la culture innue.
L'adaptation aux besoins spécifiques des enfants de 5 à 8 ans stimule la créativité de l'équipe, qui développe des solutions innovantes aux défis rencontrés. « Le jeu prévoit, par exemple, un dictionnaire, mais les enfants de 5 ans ne savent habituellement pas lire, note M. Gendreau. Il nous a donc fallu adapter l’idée, avec des mots prononcés dans le jeu lorsqu'ils sont survolés par la souris. »
S'inspirant d'applications d’apprentissage des langues existantes tout en créant une expérience unique, l'équipe s'efforce de trouver le parfait équilibre entre apprentissage et plaisir de jouer, afin que les jeunes joueurs restent engagés au fur et à mesure que l’histoire progresse. Des tests auprès des jeunes Innus guident chaque itération du jeu.
Fierté
« Ce n'est pas tous les jours que notre expertise technique peut contribuer à sauvegarder un patrimoine linguistique et culturel », confie Olivier Gendreau. Collaborer avec la Pre Mollen, qu'il décrit comme « une grande dame et une visionnaire », est une grande fierté, souligne-t-il.
À l'intersection de la technologie et de la tradition orale, Nui Innu-Aimin : Kushpitau! illustre une façon dont le génie logiciel peut générer un impact social profond et durable.