Carrefour de l'actualité

Traiter des perturbations en composant avec l’incertitude

Grand dossier Chaînes d'approvisionnement : des hics et des solutions

Par Catherine Florès
15 juin 2022 - Source : Magazine Poly  | VersionPDFdisponible (Été 2022)
15 juin 2022 - Source : Magazine Poly
VersionPDFdisponible (Été 2022)
Professeur Thibaut Vidal

Pr Thibaut Vidal, titulaire de la Chaire de recherche SCALE AI sur les chaînes d’approvisionnement pilotées par les données. Photo : Thierry du Bois

Les outils d’aide à la décision utilisés en gestion des chaînes logistiques sont de plus en plus sophistiqués et répandus dans les organisations. Des outils classiques d’optimisation y côtoient des modèles d’apprentissage, ainsi que des décisions ad hoc provenant des utilisateurs. « Notre objectif est de joindre ces approches efficacement pour bénéficier de leurs synergies », mentionne le Pr Thibaut Vidal, titulaire de la Chaire de recherche SCALE AI sur les chaînes d’approvisionnement pilotées par les données, au Département de mathématiques et de génie industriel.

Son équipe se retrouve souvent confrontée à un défi de taille : concilier des approches basées sur l’optimisation avec des techniques d’apprentissage. La première famille de méthodes requiert de poser le problème à résoudre, de le caractériser, afin de développer un modèle qui analyse toutes les données disponibles pour trouver une solution. La seconde tente de déterminer les règles implicites qui ont mené à des décisions prises dans des situations similaires par le passé, afin de suggérer une solution. « Autrement dit, pour régler des situations qui vont avoir des conséquences sur l’avenir, nous devons concilier une approche qui s’occupe du présent et une qui extrapole le passé », souligne le Pr Vidal.

« Prenons l’exemple d’un réseau ferroviaire, poursuit le chercheur. Chaque jour, plusieurs dizaines d’événements imprévus surviennent sur les lignes : retards, annulations, équipements qui tombent en panne, etc. On doit réagir très rapidement à ce genre de perturbation, avec une décision – par exemple, changer les horaires des trains – qui soit cohérente avec l’environnement opérationnel du réseau. Mais cette décision doit être prise alors qu’on ne détient qu’une connaissance très imparfaite de la perturbation, avec très peu de données. Les deux approches, optimisation et apprentissage, peuvent facilement se compléter. On peut envisager d’obtenir à long terme une solution grâce à l’optimisation avec une modélisation avancée, lorsqu’on aura suffisamment de données, et à court terme, une solution plus intuitive, fournie par l’apprentissage profond. »

« Envisageons maintenant le contrôle de production d’une usine : un modèle d’apprentissage pourrait jouer dans l’immédiat le rôle de voyant vert ou rouge, stoppant la chaîne s’il détermine que le contexte de production est défavorable, tandis qu’un projet d’optimisation pourra conduire à repenser le fonctionnement de la chaîne de décisions. »

VERS UNE SIMPLIFICATION DES MODÈLES

Autre défi de taille : comment convaincre les décideurs de la pertinence des résultats obtenus grâce à l’outil intelligent mis en place ? « Les algorithmes de décision réalisent des opérations très complexes. Ils explorent des millions, voire des milliards de combinaisons pour prendre la meilleure décision possible en regard d’un objectif clairement défini. Un décideur ne fait pas spontanément confiance à une machine, a fortiori quand la méthode ayant permis d’arriver à la solution est comme une boîte noire, dont le raisonnement est inexplicable. Pour cette raison, un volet important de ma chaire de recherche est consacré à l’apprentissage machine interprétable. Nous développons des techniques d’interprétabilité et d’explication algorithmique dans les procédures de décision pour la logistique de l’approvisionnement. Ainsi, nous souhaitons que les systèmes d’aide à la prise de décisions que nous développons puissent étayer leurs décisions avec des arguments concrets », rapporte Thibaut Vidal.

Un récent projet de sa chaire permet de simplifier très significativement les modèles d’apprentissage machine basés sur des forêts d’arbres aléatoires. Nous transformons des modèles complexes, basés sur une décision collective émanant de centaines d’arbres de décisions, en un arbre unique qui prend des décisions mathématiquement identiques. Ainsi, pour l’utilisateur, il est plus facile de visualiser le processus décisionnel, et la vitesse de l’inférence est aussi grandement augmentée. La chaire du Pr Vidal apporte, par conséquent, des contributions fondamentales aux méthodes d’apprentissage machine. Ses travaux permettent à ces dernières de gagner en interprétabilité. « Évidemment, la simplification dépend du degré d’approximation accepté. Si on veut conserver le même niveau de prédiction du modèle original, une certaine complexité est inévitable. Si on autorise des divergences infimes, on peut simplifier le modèle tout en conservant des garanties de performance. C’est toujours une question d’équilibre à trouver. »

À lire aussi

12 juin 2022
Magazine Poly

Chaînes d’approvisionnement : des hics et des solutions

16 juin 2021
NOUVELLES

Logistique des transports : une nouvelle Chaire SCALE AI à Polytechnique