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Reconstruire un pays grâce au savoir et au développement concerté

Engagement social

Par Catherine Florès
4 novembre 2018 - Source : Magazine Poly  | VersionPDFdisponible (Automne 2018)
4 novembre 2018 - Source : Magazine Poly
VersionPDFdisponible (Automne 2018)
PIGraM-Cité du savoirCréer un institut de formation universitaire supérieure en Haïti et développer un pôle du savoir en pleine zone rurale : des projets utopiques ? Pas lorsqu’ils sont orchestrés par un professeur de Polytechnique et soutenus par une communauté internationale de bénévoles ayant la même notion du bien commun !

Fournir une formation scientifique de qualité aux cycles supérieurs dans un pays qui manque de ressources essentielles

Professeur Samuel Pierre« On ne peut espérer rebâtir un pays si on ne rebâtit pas sa tête. Et pour cela, la solution, c’est de donner à sa population l’accès à une véritable éducation », affirme le Pr Samuel Pierre, du Département de génie informatique et génie logiciel.

 

Membre de la diaspora haïtienne, ce spécialiste réputé des réseaux de télécommunications préside le Groupe de réflexion et d’action pour une Haïti nouvelle (GRAHN-Monde). Il a fondé cet organisme mondial de vigie citoyenne avec d’autres représentants de la communauté haïtienne internationale au lendemain du séisme de 2010 qui a dévasté Haïti. GRAHN-Monde prône une approche participative pour la reconstruction du pays, visant la restauration des institutions ( justice, santé, éducation, etc.), au-delà de la réfection des infrastructures physiques.

M. Pierre rappelle que, bien avant d’être dévasté par le tremblement de terre en 2010, Haïti avait perdu une grande partie de ses élites, qui avaient fui durant les années de dictature. Aujourd’hui, sur 100 Haïtiens détenant un diplôme postsecondaire, 83 vivent à l’étranger, indiquent les données de la Banque mondiale. « Haïti a un besoin criant de décideurs bien formés pour jouer les rôles d’agents du développement de la société et de modèles pour leur communauté.»

Des travaux du GRAHN-Monde est né en 2013 l’Institut des sciences, des technologies et des études avancées d’Haïti (ISTEAH), un établissement universitaire de cycles supérieurs destiné à la formation des chefs de file haïtiens de demain, notamment dans certaines disciplines du génie.

Haïti ne possédant pas encore les infrastructures nécessaires ni le nombre de professeurs suffisant pour fournir un enseignement scientifique et technologique supérieur de qualité, l’ISTEAH assure cet enseignement aux deuxième et troisième cycles, grâce à un important réseau de partenaires universitaires régionaux et internationaux. « Les cours sont donnés pour la plupart dans des établissements haïtiens répartis dans six villes et retransmis par vidéoconférence, ce qui permet aux étudiants de régions isolées de les suivre », explique le professeur, soulignant que les formations offertes par l’Institut sont accréditées.

Outre Polytechnique, l’ISTEAH compte de prestigieux partenaires hors Haïti : University of British Columbia (Canada), Dartmouth College (États-Unis), École Polytechnique Fédérale de Lausanne – EPFL (Suisse), École normale supérieure de Lyon (France), Institut national des sciences appliquées – INSA de Lyon (France), Université du Québec à Montréal, Université de Strasbourg (France). Quelque 220 professeurs de ces établissements, dont une quinzaine de Polytechnique, donnent bénévolement des cours à distance et se rendent également sur place quelques semaines par an. L’ISTEAH reçoit de plus le soutien du Centre de recherches pour le développement international (CRDI) du Canada, de quelques fondations, ainsi que de donateurs privés.

Le choix des disciplines proposées est assez conséquent : administration des affaires ; formation professionnelle et technique ; gestion de projets ; ingénierie ; management des collectivités territoriales; sciences ; sciences de l’agriculture, de l’alimentation et de l’environnement ; sciences de l’éducation; sciences de la gestion; sciences économiques. Un programme en sciences juridiques devrait également voir le jour en 2019. Des centres de recherche ont également vu le jour dans les domaines suivants : mathématiques ; éducation et gouvernance ; technologies de l’information pour le développement ; sciences moléculaires et du vivant ; gestion des risques, aménagement du territoire et environnement, commercialisation des produits agricoles ; innovation et entrepreneuriat.

L’ISTEAH compte actuellement plus de 350 étudiants en DESS, maîtrise et doctorat. Ceux-ci bénéficieront prochainement des services d’un centre de placement.

Création d’une cité du savoir en zone rurale

Encouragé par les succès de l’ISTEAH, GRAHN-Monde lance un projet de pôle d’innovation qui devrait s’avérer particulièrement structurant pour le développement socio-économique d’Haïti. C’est à Génipailler, troisième section communale de 8 500 habitants de la commune de Milot, non loin du deuxième aéroport du pays, que se développe le Pôle d’innovation du Grand Nord (PIGraN)-Cité du savoir, sur un terrain de 31 hectares mis à disposition par l’État. « Il s’agit d’un véritable campus qui accueillera des bâtiments de l’ISTEAH, mais aussi des écoles primaire et secondaire, un centre de santé communautaire, un secteur agricole comprenant entre autres une ferme et des serres, sans oublier de nombreuses PME », explique Samuel Pierre.

« On peut dire que, sur ce campus, la jeunesse sera formée de la garderie jusqu’au doctorat, car, après avoir écouté les besoins exprimés par la population locale, nous avons décidé d’ajouter à notre projet un centre de la petite enfance inspiré du modèle québécois. » Construit grâce à une campagne de financement, le CPE Paul-Gérin-Lajoie possède trois bâtiments et un jardin potager communautaire et accueille déjà 82 enfants. Son personnel a été formé par l’ISTEAH. Parallèlement, la construction d’une centaine de maisons pour les familles à revenus modestes est en cours à Génipailler, avec l’aide de l’ONG Food for the Poor. Une vingtaine de ces maisons sont destinées à des travailleurs de la Cité du savoir. Ce village sera doté d’un centre communautaire et d’un marché public.

Samuel Pierre estime que le PIGraN-Cité du savoir, projet pilote décentralisateur de 75 M$, pourrait générer 20 000 emplois. Son succès donnera le coup d’envoi au développement de deux projets similaires, un dans la région du Grand Sud et l’autre dans celle du Grand Centre. Malgré les difficultés que rencontre le redressement d’Haïti, une initiative structurante d’une telle ampleur redonne de l’espoir au pays, en particulier à sa jeunesse (plus de la moitié de la population haïtienne a moins de 25 ans) qui aspire à changer les choses et a besoin d’une autre perspective que l’exil pour se construire un avenir.

Le PIGraN-Cité du savoir incarne la vision de l’université qui sort du champ strict de la formation pour agir sur le développement sociétal, en devenant notamment entrepreneure. Avec ses retombées concrètes, le Pôle encourage les ingénieurs à s’engager dans la société. « À chaque rentrée, je ne manque pas de rappeler à mes étudiants du baccalauréat que la raison d’être ultime des ingénieurs est d’améliorer la vie des gens, commente Samuel Pierre. Les situations complexes, avec des défis humains mêlés aux défis techniques devraient les interpeller en premier. Car là où il y a des problèmes, les ingénieurs voient des occasions de changer les choses. »

Centre de la petite enfance Paul-Gérin-Lajoie

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