Carrefour de l'actualité

Quand les téléphones verront l’invisible

Par Catherine Florès
27 novembre 2023 - Source : Magazine Poly  | VersionPDFdisponible (Automne 2023)
27 novembre 2023 - Source : Magazine Poly
VersionPDFdisponible (Automne 2023)
Jean-Sébastien Boisvert
Jean-Sébastien Boisvert, doctorant en génie physique. (Photo : Jorge Martinez)
 

Et si nous parlions de spectres? Non pas de fantômes - l’Halloween est passée - mais de spectres lumineux, que votre téléphone pourrait bientôt être en mesure d’analyser pour vous donner une multitude d’informations sur votre environnement. C’est ce que laisse présager la nouvelle avancée d’une équipe du Poly-Grames, le centre de recherche avancée en micro-ondes et en électronique spatiale de Polytechnique. En employant un procédé d’écriture laser femtoseconde, cette équipe a, en effet, réussi à concevoir un spectromètre à intégrer au téléphone intelligent.

Procédé transférable à l’industrie

« En écrivant au laser femtoseconde dans un matériau transparent, on parvient à en modifier l’indice de réfraction, et donc ses propriétés optiques. Notre dispositif permet d’utiliser son téléphone comme un spectromètre, qui mesure la lumière frappant un objet et la décompose en ses différentes longueurs d'ondes », explique Jean-Sébastien Boisvert.

Celui-ci a consacré son projet de doctorat de génie physique au développement du procédé, sous la direction du Pr Raman Kashyap et en collaboration avec le Pr Sébastien Loranger. L’idée originale de ce projet fut proposée par le Pr Raman Kashyap et Jérôme Lapointe, alors doctorant en génie physique, avec l’intégration de guides d’ondes intégrés au verre par écriture laser femtoseconde (le concept a fait partie du palmarès des 10 découvertes de l’année 2015 de la revue Québec Science). Plutôt que d’écrire directement dans le verre de l’écran du téléphone, Jean-Sébastien Boisvert propose de le faire dans l’écran de protection amovible de l’appareil. On pourrait ainsi personnaliser la fonctionnalité spectrographique d’un téléphone, selon l’écran utilisé. Le chercheur ajoute que son projet d’application spectrométrique s’associerait aisément avec une intelligence artificielle pour le traitement des informations fournies par les spectres.

« Depuis 2015, nous avons acquis une meilleure compréhension des phénomènes influençant le changement d’indice obtenu, ce qui nous permet d’en augmenter la valeur maximale », mentionne M. Boisvert. Le Poly-Grames a conçu à cet effet son propre appareil de mesure d’indice de réfraction, nommé The non-invasive Phase Refractive Index Profiler, ou « RIPPER », et repris par Photonova inc. « Avant, nous devions calculer approximativement les indices de réfraction de structures parfois complexes. Aujourd’hui, le RIPPER nous fournit des mesures fiables en une fraction de seconde. »
 

Image spectrographique
Image spectrographique des pavillons Lassonde.


De nombreuses avenues d’applications

Mais à quoi peut servir un tel spectromètre « domestique »? « Les applications potentielles sont nombreuses, répond M. Boisvert. Comme chaque matière possède sa signature spectrale unique, avec un téléphone, on sera en mesure d’identifier la présence de tel ou tel composé dans un échantillon ou dans l’environnement, par exemple, mesurer le taux de chlorophylle dans des fruits ou des plantes, ou détecter à peu de frais la présence de contaminants dans l’eau ou les sols. »

Les chercheurs sont également parvenus à écrire dans un polymère souple préalablement photosensibilisé, et qui peut être placé devant l’œil de la caméra du téléphone. «  Dans ce polymère, on peut aussi créer un réseau microfluidique associé au réseau de guides d’ondes. On obtient alors un véritable laboratoire d’analyse d’échantillons liquides pour détecter des anticorps dans le sang ou la salive, par exemple. Le téléphone pourrait transmettre instantanément les résultats à une équipe médicale. On ouvre ainsi la voie à un instrument supplémentaire destiné aux professionnels de la santé pour la télémédecine  », évoque M. Boisvert.

La preuve de concept étant faite (elle a fait l’objet d’un article dans Scientific Reports*), l’équipe espère que son projet suscitera l’intérêt d’entreprises ou d’autres équipes de recherche. De cette façon, cette percée technologique nous promettra un avenir où nos téléphones ne se contenteront pas seulement de nous connecter au monde, mais aussi de nous éclairer sur la composition de celui-ci.
 

* Fs laser written volume Raman–Nath grating for integrated spectrometer on smartphone, Jean-Sébastien Boisvert, Sébastien Loranger & Raman Kashyap.
 

En bref:
 

  • Une équipe du Poly-Grames a développé un spectromètre à intégrer dans les téléphones intelligents en utilisant un procédé d'écriture laser femtoseconde.
     
  • Le procédé propose d'utiliser l'écran de protection amovible du téléphone, offrant ainsi la possibilité de personnaliser la fonctionnalité spectrographique en fonction de l'écran utilisé.
     
  • Le spectromètre présente de nombreuses applications potentielles, notamment l'identification de composés dans des échantillons ou dans l'environnement.

À lire aussi

6 janvier 2016
NOUVELLES

Les travaux de Jérôme Lapointe et du Pr Raman Kashyap parmi les 10 découvertes de l’année de Québec Science

11 décembre 2023
INNOVATIO

Un spectromètre à portée des doigts