
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Libérer l'innovation aéronautique avec l’IA

Dans la région genevoise qu'il a adoptée il y a vingt ans, Marc-Elian Bégin, Po 94, trace son sillon d'entrepreneur technologique avec méthode et vision. Ce Franco-Canadien a exploré la validation de systèmes critiques dans des secteurs hautement technologiques avant de chercher à transformer l'avenir de l'industrie aéronautique grâce à l'IA. Un parcours singulier qui témoigne d'une capacité rare à transformer les défis en nouvelles opportunités d’innovation.
Un étudiant prometteur
Arrivé au Québec à l'âge de deux ans, le jeune Marc-Elian grandit avec un rêve en tête : devenir astronaute. Ce désir le pousse vers le génie mécanique, à Polytechnique Montréal, qui lui semble un bon tremplin vers les étoiles. Durant ses études, un stage international chez Airbus, en France, le rapproche de son objectif : il est chargé de comparer des données d’essais de la soufflerie de la fusée Ariane 5. C’est alors qu’il découvre, avec son maître de stage, une anomalie critique relative au système de protection thermique du lanceur. La découverte est si significative que son séjour, d’une durée initiale de quatre semaines, se prolonge de plusieurs mois et ses résultats font l'objet d'une publication scientifique. Il sera même invité à présenter ses travaux lors d’une conférence de la NASA aux États-Unis – un joli coup d’éclat pour un étudiant de troisième année de baccalauréat!
Carrière européenne
Son diplôme en poche, M. Bégin débute chez CAE à Montréal avant de traverser de nouveau l'Atlantique. L'Angleterre d'abord, où il travaille sur des systèmes destinés aux sous-marins. « Le domaine ne me correspondait pas du tout, mais je n’ai pas de regrets, car c’est en Angleterre que j’ai rencontré celle qui est devenue mon épouse », mentionne-t-il. Le couple s’installe ensuite en Allemagne, où l’ingénieur travaille avec les centres d'opérations et de recherche de l'Agence spatiale européenne. Pendant sept ans, il contribue notamment aux systèmes de tests en temps réel de la Station spatiale internationale et de la constellation de navigation par satellites Galileo (le GPS européen).
Mais en 2003, il doit faire le deuil de son vieux rêve : l'Agence spatiale canadienne décide de ne pas renouveler son corps d'astronautes. Il décide alors de tourner la page de l’aérospatiale.
C'est au CERN, en Suisse, qu'il rebondit en 2004. L'organisation, en plein développement de son accélérateur de particules, recherchait des ingénieurs en informatique pour gérer le déluge de données qui n’allaient pas manquer d’être produites par l’installation. Ce tout nouveau domaine nourrit l’insatiable curiosité intellectuelle de M. Bégin, mais au bout de quelques années, celui-ci commence à se sentir à l’étroit dans la lourde structure du prestigieux laboratoire. En 2007, un événement catalyseur survient : Amazon lance son cloud. « Fasciné par cette technologie d'avant-garde, je m’y suis formé et j’ai tenté d'y convertir les équipes du CERN, sans succès immédiat. Mais cette démarche a posé les fondations de ma première entreprise », narre-t-il.
M. Bégin quitte en effet le CERN pour fonder SixSq avec son épouse et un collègue. Sa mission : aider les entreprises à gérer et à développer leurs projets technologiques en rendant les données rapides, sécurisées et prêtes pour l’avenir, même loin des grands centres informatiques. Malgré les tumultes inhérents au développement d'une jeune pousse dans un secteur émergent, l’entrepreneur novice se jette corps et âme dans le projet. En 2019, SixSq deviendra la PME technologique la mieux financée de Suisse, avec 12 millions de dollars de subventions européennes. L'entreprise, qui collabore avec le CERN et de grands laboratoires universitaires européens, compte 25 employés au moment d'être cédée en 2021 à un groupe parisien.
Xcert.ai : l'innovation au service de l’aéronautique
Fin 2024, alors que d'autres pourraient aspirer à retrouver une tranquillité professionnelle, Marc-Elian Bégin repart pour un nouveau marathon. Avec deux associés, il fonde Xcert.ai. Cette entreprise naît d'un constat implacable : « 50 % du coût de tous les appareils volants dans le monde est associé à la réglementation et à la certification, principalement sous forme de documentation textuelle. » Un marché colossal de 200 milliards de dollars par année.
Sa solution? Mettre l'IA générative au service de l'innovation écologique en automatisant jusqu'à la moitié de la documentation réglementaire nécessaire. Pilote lui-même, il connaît l'importance cruciale de la sécurité dans l'aviation : « L'humain doit rester aux commandes, insiste-t-il. L'IA est un outil remarquable, qui décuple les capacités d'un expert mais ne remplace jamais son jugement. »
Mais ce n'est pas uniquement l'opportunité commerciale qui motive l’entrepreneur. Ce sont ses deux fils, âgés de 16 et 20 ans, « très anxieux quant au climat », qui ont orienté sa vision. « L'aviation ne représente aujourd'hui que 2 à 3 % des émissions de CO2, mais cette part pourrait grimper à 20 % d'ici 25 ans. Or, le secteur peine à se décarboner, freiné notamment par le poids écrasant de la réglementation. Libéré d’une bonne partie de la production documentaire, il pourra concentrer davantage de ses ressources sur des projets de décarbonation. »
Entre Genève et Montréal, un pont transatlantique
Les retours des premiers utilisateurs de sa solution étant très favorables, c’est avec confiance que M. Bégin envisage l’avenir. Il souhaite notamment étendre les activités de Xcert.ai en Amérique du Nord où l’on trouve 60 % du marché aérospatial. Montréal lui apparaît comme la base toute désignée du déploiement de l’entreprise sur le continent.
M. Bégin voudrait se rapprocher de son alma mater à titre de partenaire, afin d’insérer son entreprise dans le riche écosystème d'innovation industrielle gravitant autour de Polytechnique. Cette synergie créerait un cercle vertueux : Xcert.ai pourrait offrir des débouchés aux talents en IA appliquée à l'aérospatiale. « J’ai eu l’occasion de rencontrer récemment Maud Cohen, la directrice générale de Polytechnique, et j’ai constaté que nous avons une vision commune de l'avenir de la formation des ingénieurs », confie-t-il.
Une inspiration pour la prochaine génération d'innovateurs
M. Bégin souhaiterait, entre autres, transmettre son expérience et sa lucidité aux aspirants entrepreneurs de Polytechnique. « Il faut qu’ils sachent que lancer une start-up en visant la richesse, c'est un bien mauvais plan de carrière! Statistiquement, 90 % des entreprises en démarrage se plantent avant trois ans. Plus le rêve est fou, plus l'échec est probable, il faut l'assumer », affirme-t-il.
Pour s'y préparer, il conseille de doser l'énergie que l’on met dans son lancement d'entreprise et de bien s'entourer, sans toutefois chercher à compléter son équipe trop tôt pour éviter de se freiner. « Une start-up, c’est comme une fusée qui monte en orbite, et qui doit lâcher des étages pour continuer à s’élever. »
Son dernier conseil pourrait désarçonner de futurs ingénieurs formés à la recherche de l'excellence : « Dans le domaine du logiciel, j'ai compris une chose essentielle : si vous êtes totalement satisfait de votre solution au moment de son lancement, c'est que vous la lancez trop tard. Mettez-la sur le marché dès qu’elle ‘‘marchote’’. Ce sont les retours des utilisateurs réels qui constituent votre meilleure chance de l’améliorer. Quand on s'investit intensément dans un projet, on tombe souvent amoureux de ses propres idées, et c'est là que réside le piège. Se faire bousculer dans ses certitudes est finalement salutaire! »