
Le Magazine de Polytechnique Montréal
L’IA : cinq ans d’avancées et de nouveaux enjeux
Mot de François Bertrand, directeur de la recherche et de l'innovation
En 2017, le gouvernement québécois annonçait la création du comité d’orientation chargé d’élaborer un plan stratégique pour la constitution de la grappe québécoise en intelligence artificielle (IA), avec l’ambition de faire du Québec un chef de file dans ce domaine. Cinq ans plus tard, on mesure des résultats tangibles : entre 2017 et 2021, l’IA a ajouté 1,9 milliard de dollars au produit intérieur brut du Québec (selon une étude de PwC). Montréal, quant à elle, se démarque sur la scène internationale avec sa communauté universitaire dans ce domaine et attire des laboratoires de recherche de grandes firmes du numérique, telles que Google, Microsoft ou Facebook. Polytechnique, qui a placé l’IA dans la nouvelle cartographie de ses pôles d’excellence en recherche, en la désignant, avec la modélisation, comme l’un de ses trois pôles-clés des technologies habilitantes, est un moteur important de cet essor.
Le Québec, terre d’IA
L’indice de référence Global AI Index établi par la firme britannique Tortoise Media mesure le niveau d'investissement, d'innovation et de mise en œuvre de l'intelligence artificielle d’une soixantaine de pays. À la demande du Forum IA Québec (un organisme à but non lucratif rassemblant les représentants de l’écosystème québécois en IA, dont l’Institut de valorisation des données IVADO, autour de projets communs), Tortoise Media a récemment analysé la place occupée par le Québec dans son classement. Selon cette analyse, le Canada occupe le quatrième rang mondial, et le Québec est au septième rang, dépassant la France et Israël.
Le Québec a pu se hisser à cette position dominante, d’une part, grâce à des soutiens gouvernementaux conséquents, soit plus de 800 millions depuis 2017 en fonds publics provenant des gouvernements du Canada et du Québec, auxquels se sont ajoutés près de 1,5 milliard en capital-risque. D’autre part, la province a été propulsée grâce à l’effervescence de sa recherche collaborative en IA, en particulier à Montréal (consacrée première métropole nord-américaine de l’IA par le Financial Times en 2019).
Aujourd’hui, plus de 2 000 entreprises au Québec – parmi lesquelles un nombre croissant de jeunes pousses technologiques – intègrent l’IA dans leur stratégie d’affaires, ce qui ne représente que 6 % des entreprises. Au Canada, seulement 16 % d’entre elles utilisent l’IA, et 9 % sont en train d’adopter une application d’IA. Il reste donc beaucoup de travail pour effectuer le transfert de l’IA dans les entreprises afin de lui permettre de réaliser son plein potentiel de transformation industrielle. C’est ici que Polytechnique joue un rôle-clé.
Polytechnique, actrice phare de l’écosystème IA canadien et québécois
Le campus HEC-Polytechnique Montréal-UdeM est la scène de 50 années de collaborations scientifiques entre les trois établissements en recherche opérationnelle et optimisation, et, depuis plus récemment, en apprentissage automatique et en apprentissage profond. Par conséquent, il constitue un terreau fertile pour le développement de connaissances de pointe et d’innovations ce qu’il convient d’appeler l’intelligence numérique.
Cette dernière occupe aujourd’hui une place centrale dans la formation, la recherche et l’innovation à Polytechnique. Notre université est notamment partie prenante de grands consortiums consacrés à la recherche en intelligence numérique, dont celles formant le fameux « Hub du Mile-End », soit :
- IVADO (fondé par Polytechnique, HEC et UdeM, grâce à une subvention des Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada obtenue en 2016). Fort d’un budget de 350 millions de dollars, IVADO réunit maintenant 1 400 chercheurs et collaborateurs, et compte plus d’une centaine de partenaires industriels. Il a donné le jour à plus de 300 projets collaboratifs et a permis de former plus de 20 000 personnes en intelligence numérique depuis 2017. Mentionnons également que le Pr Foutse Khomh est le titulaire d’une des 3 Chaires de recherche FRQ-IVADO pour la diversité et l’équité en science des données, avec un programme de recherche en assurance qualité des logiciels d’apprentissage automatique.
- Le MILA, un institut de recherche en intelligence artificielle fondé par le Pr Yoshua Bengio, de l’UdeM. Fruit d’une collaboration entre l’UdeM, Polytechnique, HEC et l’Université McGill, il rassemble plus de 900 chercheurs spécialisés en apprentissage automatique et se voue à l’innovation portée par l’IA pour le bénéfice de tous. Parmi les chercheurs de Polytechnique membres du MILA, trois sont titulaires de chaires CIFAR en intelligence artificielle : les Prs Christopher Pal, Sarath Chandar et Foutse Khomh.
Polytechnique est également partenaire de Scale-AI, la supergrappe d’IA du Canada. À ce titre, elle prend part à des projets visant l’accélération de l’intégration de l’IA dans toutes les industries. Notamment, elle contribue à la mise au point des plateformes de chaînes d’approvisionnement de prochaine génération qui seront fondées sur l’intelligence artificielle et l’intégration de technologies de pointe, comme la robotique. Polytechnique accueille depuis décembre dernier la Chaire de recherche sur le rôle des données dans les chaînes d’approvisionnement, dont le titulaire est le Pr Thibault Vidal.
Enfin, Polytechnique fait partie des membres fondateurs d’OBVIA, l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique. Il s’agit d’un réseau de recherche ouvert réunissant les expertises de plus de 200 chercheurs de 18 établissements postsecondaires du Québec, ainsi que des partenaires nationaux et internationaux. Ses projets visent à maximiser les retombées positives et à minimiser les effets négatifs de l’IA et du numérique dans la société et les organisations, ce qui rejoint une préoccupation fondamentale de Polytechnique.
Pallier le manque d’ingénieurs en intelligence numérique
Tandis que l’IA s’introduit dans tous les secteurs et les transforme radicalement, les entreprises peinent à recruter des spécialistes du domaine. Polytechnique contribue à en augmenter le nombre grâce à ses programmes de formation directement liés à l’intelligence numérique : une concentration en IA et sciences des données au baccalauréat en génie informatique et en génie logiciel, ainsi qu’une maîtrise en ingénierie et analyse des données.
Avant tout, c’est au travers de sa démarche partenariale en matière de recherche que Polytechnique forme des experts comprenant la nature transversale de l’intelligence numérique, aptes à réaliser le transfert des outils d’IA vers l’industrie et à en saisir les enjeux sociaux et éthiques.
Vision transversale
Les nombreux projets basés sur l’intelligence numérique menés par nos chercheurs sont réalisés en mode multidisciplinaire et en collaboration avec divers partenaires universitaires ou industriels. Ces projets sont orientés vers différents secteurs de l’industrie. Parmi ceux-ci, mentionnons par exemple le Pr Samuel Kadoury, qui développe un outil d’IA destiné à aider les oncologues à choisir le meilleur traitement pour leurs patients atteints de cancers du cou; au Centre interuniversitaire de recherche sur les réseaux d'entreprise, la logistique et le transport (le CIRRELT), les Prs Nicolas Saunier, Bruno Agard, Martin Trépanier et Louis-Martin Rousseau, qui exploitent les données de mobilité urbaine pour mettre au point des approches de mobilité durable; ou encore, dans le domaine du génie civil, le Pr James Goulet, dont les outils d’IA visent à assurer la maintenance préventive des infrastructures.
Robustesse, fiabilité et éthique des algorithmes
Au-delà de la volonté d’accroître les capacités techniques de l’IA et de concevoir des outils innovants, nos chercheurs ont la même préoccupation : avoir l’assurance que l’IA déployée dans les processus industriels ou intégrée au cœur des produits et services fournis par les entreprises soit une IA de confiance. Si cela est important dans tous les secteurs, c’est primordial dans les secteurs critiques, où les accidents, les pannes, les piratages ou les erreurs peuvent avoir des conséquences désastreuses (aérospatiale, énergie, santé, industrie 4.0, véhicules autonomes, etc.). Comme on l’a évoqué dans le grand dossier de ce numéro, plusieurs de nos chercheurs mènent spécifiquement des travaux visant à permettre de garantir, voire de certifier, l’IA employée dans certaines industries. Certains participent, par exemple, au projet DEEL (DEpendable & Explainable Learning), une collaboration entre universités et industries pour le développement d’une intelligence artificielle interprétable, robuste, sécuritaire et certifiable destinée aux systèmes critiques de l'aérospatiale.
L’IA de confiance, telle que nous la concevons, se doit aussi d’être une IA éthique dont le déploiement ne créera pas de discriminations et qui améliorera réellement la vie des gens. Polytechnique en porte le flambeau et, en collaboration avec des partenaires, travaille à mettre en œuvre une initiative en ce sens au Québec. Je vous en reparlerai prochainement.