Carrefour de l'actualité

L'esprit généreux de l'innovation

Point de vue de diplômé

Par Catherine Florès
3 mars 2021 - Source : Magazine Poly  | VersionPDFdisponible (Printemps 2021)
Jean-Charles Phaneuf

Jean-Charles Phaneuf, Po 89, génie industriel, directeur général de Carl Data Solutions

C’est à Polytechnique qu’il a « bu le lait de l’innovation technologique », affirme Jean-Charles Phaneuf, gestionnaire spécialisé dans les partenariats stratégiques, les fusions et acquisitions, la propriété intellectuelle, la gestion de l’innovation et l’entrepreneuriat. Ce diplômé de génie industriel est depuis peu aux rênes de Carl Data Solutions, une société d’internet des objets industriels et d’exploitation industrielle des mégadonnées établie en Colombie-Britannique.

La proactivité, attitude-clé du succès

« Le goût de l’innovation, je l’ai acquis pendant mes études d’ingénieur et tout particulièrement auprès de mon professeur et mentor Roger A. Blais. À l’époque, celui-ci était le champion de l’innovation à Polytechnique. Il m’a enseigné la démarche de la prospective et l’importance de la proactivité. Cela m’a servi toute ma vie », déclare M. Phaneuf.

Sa proactivité – certains diraient audace – se manifeste également dans sa façon de bâtir sa carrière. Ainsi, sa nomination à la direction générale de Carl Data Solutions en janvier dernier ne résulte pas d’un processus d’embauche classique : alors qu’il dirigeait une entreprise de développement de solutions cryptographiques pour la sécurisation des communications, il a ressenti le besoin de prendre une pause et d’approfondir ses connaissances en intelligence artificielle. Il a pris quelques mois pour suivre une formation dans le domaine, offerte par le MIT, à l’issue de laquelle il a méthodiquement répertorié les entreprises technologiques actives dans la sphère de l’intelligence artificielle. Carl Data Solutions a retenu son attention en particulier. Pourtant, l’entreprise ne recherchait pas un nouveau dirigeant.

« J’ai profité d’un voyage de pêche en Colombie-Britannique pour aller me présenter à la direction. Ensuite, à l’automne, j’y suis retourné pour travailler à un plan stratégique que j’ai soumis au conseil d’administration de Carl Data Solutions juste avant Noël. La réception du plan a été excellente, au point que le fondateur m’a cédé son poste à la direction générale que j’occupe officiellement depuis le 12 janvier », rapporte M. Phaneuf.

Des données pour tous les secteurs

Carl Data Solutions oeuvre dans la sphère de l’Internet des objets industriels et propose une plate-forme de solutions basées sur l’exploitation des mégadonnées pour la collecte, le stockage et l’analyse de données de nouvelle génération. La capacité de gérer la composante temporelle des données et de l’exploiter avec l’intelligence artificielle représente une des grandes forces de Carl Data.

L’entreprise a fait notamment sa marque dans l’exploitation de réseaux de capteurs pour la surveillance des cours d’eau, des pipelines et des barrages, ainsi que le monitorage des équipements de traitement des déchets industriels et municipaux, en plus du développement d’applications pour les systèmes de gestion des eaux.

La vision stratégique de M. Phaneuf, c’est d’offrir cette plate-forme à des clientèles plus diversifiées. « Nous rendons accessible notre plate-forme aux firmes d’ingénierie ou aux PME spécialisées qui possèdent rarement les ressources pour acquérir ou exploiter des systèmes d’IA qui leur permettraient d’offrir de nouveaux services à leurs clients. Au cours des prochains mois, je souhaite que ces entreprises puissent exploiter leur savoir-faire en réalisant elles-mêmes leurs implantations avec les langages que nous soutenons, soit Python, Julia ou R pour l’instant. Nous nous ouvrons également à de nouveaux secteurs, comme celui des sciences de la vie. En effet, grâce à la modélisation des données obtenues par le monitorage de signes vitaux, notre module d’IA pourrait prédire les complications menaçant l’état de santé des patients. On pourrait ainsi sauver de nombreuses vies. Pour résumer, je dirais que notre plate-forme donne à des professionnels de divers secteurs la capacité de prendre les meilleures décisions possible, basées sur la science des données. Et nous, nous excellons dans les données temporelles. »

Innover, un état d’esprit

Manquer de vision de l’innovation condamne une entreprise, croit M. Phaneuf, qui cite en exemple la faillite de la firme Kodak, qui avait pourtant tout pour prendre le virage du numérique. « Évidemment, innover demande du courage managérial. Kodak a continué à faire ce que les gens ne voulaient plus… Elle n’a pas su se remettre en question et sortir de sa zone de confort ! Encore trop d’organisations se contentent de nommer un vice-président innovation. Elles ne comprennent pas que l’innovation est transversale et qu’elles devraient l’infuser dans toutes leurs activités, et pas seulement dans leurs produits ou services. »

« On confond parfois invention et innovation, mais c’est différent, poursuit-il. Inventer, c’est créer quelque chose de complètement nouveau. Cela relève de l’éclair de génie. Il faut bien admettre que l’occasion est assez rare. De plus, si une invention ne trouve pas un écosystème propice, son impact sera minime. Innover, en revanche, c’est associer de façon inédite des choses qui existent déjà. Avant tout, c’est une tournure d’esprit, qui pousse à être attentif aux tendances émergentes, aux besoins des clientèles et aux environnements. Innover demande aussi d’être ouvert à la collaboration, aux partages d’expertises et d’idées. J’ai pu l’observer dans la Silicon Valley, où j’ai résidé quelque temps. Je pense vraiment que c’est en partageant les idées, en co-créant, qu’on génère le plus de richesses. Les plus grands succès sont collectifs. »

Un leader qui détient cet esprit d’innovation peut rallier les meilleurs collaborateurs, ajoute M. Phaneuf. Selon lui, les milléniaux, en particulier, recherchent des organisations qui leur permettent de déployer leurs ailes, qui cultivent leur potentiel et leur énergie. Leur leader doit prendre des décisions rationnellement justifiables et alignées sur leurs valeurs.

L’ingénieur en lui se réjouit que la transformation accélérée des entreprises sous l’impulsion des technologies numériques remette les ingénieurs sur le devant de la scène. « Durant les dernières décennies, ce sont plutôt les avocats et les comptables qui ont eu la vedette dans les entreprises. Aujourd’hui, un bon leader doit pouvoir comprendre de façon conceptuelle comment fonctionnent les technologies. Or, les rouages de l’innovation technologique, ce sont naturellement les ingénieurs qui les maîtrisent le mieux. »

 

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