
Le Magazine de Polytechnique Montréal
L’électronique aux superpouvoirs
Conducteurs, élastiques, autoréparants, biocompatibles et recyclables sans perte de propriétés : les matériaux multifonctionnels explorés au Département de génie chimique par l’équipe du Pr Fabio Cicoira, et notamment par l’étudiante au doctorat Jinsil Kim, annoncent des avancées marquantes dans le domaine de l’électronique.

La doctorante Jinsil Kim et le Pr Fabio Cicoira, du Département de génie chimique.
« Nous nous intéressons en particulier à un polymère nommé PEDOT, pour Poly(3,4-éthylènedioxythiophène). Flexible, conducteur et stable en milieu aqueux, c’est un candidat de choix pour les applications électroniques implantables. Nous l’utilisons notamment pour développer des électrodes souples et biocompatibles », indique Fabio Cicoira.
En l’associant à d’autres matériaux, comme du polyuréthane (PU) et du polyéthylèneglycol (PEG) conçus spécialement pour lui, son équipe a cherché à conférer au PEDOT de nouvelles performances. « L'un de nos plus grands défis a été de combiner les propriétés du PEDOT et du polyuréthane sans qu'elles n'interfèrent entre elles, tout en conservant la recyclabilité et l'autoréparation, témoigne Jinsil Kim. Grâce à des tests rigoureux et à l'ajout d'additifs, nous avons surmonté cet obstacle. »
Le matériau obtenu (PEDOT/PU/PEG) présente en particulier une élasticité exceptionnelle : il peut s'étirer jusqu'à 3,5 fois sa taille initiale sans rompre. Il présente aussi une ténacité élevée, de 24,6 MJ/m³.
Le « Wolverine » de l’électronique
L'une des caractéristiques les plus fascinantes du polymère est sa capacité d'autoréparation, tel le super-héros Wolverine qui se régénère après un combat. Les tests montrent qu'après plusieurs cycles de découpe et réparation, le polymère conserve presque 100 % de sa conductivité électrique et de sa résistance mécanique.
Tout aussi impressionnant : le matériau peut être réutilisé jusqu'à 20 fois sans perdre ses propriétés mécaniques ou électriques.

Un pas vers l'électronique durable
Ces propriétés pourraient ainsi contribuer à réduire l'impact environnemental de l’électronique, dont la gestion des déchets représente un défi de taille. Les systèmes fabriqués à partir de ce matériau pourraient, en effet, non seulement durer plus longtemps, mais aussi être recyclés au lieu de finir au dépotoir.
Applications prometteuses
« Il reste certains défis à relever pour rendre ce matériau accessible à grande échelle, comme la compréhension approfondie des mécanismes d’autoréparation et l’optimisation des processus de fabrication, souligne le Pr Cicoira. Cependant, on peut déjà entrevoir des champs d’applications très prometteurs, en particulier dans le domaine médical. Ainsi, grâce à sa flexibilité et à sa compatibilité avec les tissus biologiques, le PEDOT/PU/PEG pourrait s’employer dans les dispositifs médicaux implantables, réduisant le besoin de remplacement fréquent et améliorant le confort des patients. Des électrodes souples et biocompatibles fabriquées avec ce matériau peuvent, quant à elles, épouser les mouvements du corps sans provoquer d'inflammation, tout en assurant une transmission optimale des signaux électriques. »
Les travaux de l’équipe du Pr Cicoira ont également montré que des électrodes d'électrocardiogramme (ECG) et des capteurs de pression fabriqués à partir de ce matériau présentent une stabilité exceptionnelle, même après plusieurs cycles d'autoréparation et de recyclage.
Le polymère pourrait également apporter des solutions nouvelles pour les dispositifs portables et les technologies de santé connectée. Par exemple, on pourrait envisager de l’employer dans la conception de capteurs capables de s'intégrer facilement dans les vêtements ou de se fixer directement sur la peau.
« Voir notre travail se traduire en de telles applications concrètes confirme la pertinence et l’importance de nos recherches pour répondre aux défis technologiques futurs. Ce projet illustre comment l'innovation scientifique peut mener à des solutions à la fois fonctionnelles et durables », estime Jinsil Kim.
Ce matériau révolutionnaire annonce donc une ère où l'électronique et l'environnement deviendront dorénavant des alliés de la santé humaine… et de celle de la planète.