
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Le plasma froid a le pouce vert

Procédé de plasma froid au laboratoire du Pr Stephan Reuter, Département de génie physique
À Polytechnique, le professeur Stephan Reuter, du Département de génie physique, cultive une idée étonnante : utiliser le plasma froid – souvent décrit comme le quatrième état de la matière – pour que l’air et l’eau, en alliant leurs forces, favorisent la santé des plantes.
Une technologie qui pourrait rendre obsolètes des pratiques centenaires
Le projet PLANET (Plasma-Electrification of Chemical Produce - net-zero carbon emission technology for sustainable greenhouses) dirigé par le Pr Reuter a obtenu l’an dernier un financement fédéral de 3,4 millions de dollars sur 4 ans. Ce soutien confirme le potentiel transformateur d'une approche qui pourrait bientôt redéfinir radicalement la production sous serre.
La technologie développée repose sur un procédé électrochimique simple mais innovant. Elle utilise le plasma physique froid, une forme de décharge électrique qui peut modifier la composition chimique de l'air et de l'eau. En pratique, lorsque ce plasma froid est appliqué aux bassins d'eau des cultures hydroponiques, deux phénomènes bénéfiques se produisent en même temps : d’une part, l'azote présent dans l'air se transforme en composés nutritifs directement assimilables par les plantes, d’autre part, sont générées des molécules qui assurent une protection contre les champignons pathogènes, renforçant ainsi la santé des cultures sans nécessiter de fongicides chimiques.
« Ce serait potentiellement la fin d'une dépendance à deux piliers polluants de l'agriculture moderne, souligne le Pr Reuter. D'un côté, le procédé Haber-Bosch, méthode centenaire de fabrication d'engrais azotés responsable de près de 2 % des émissions planétaires de gaz à effet de serre. De l'autre, les pesticides chimiques avec leur cortège de problèmes environnementaux. »
Un effet à la demande
L'avantage crucial de cette technologie? « Elle fonctionne "à la demande", là où on en a besoin, quand on en a besoin, résume le Pr Reuter. Plus besoin de transporter, stocker ou manipuler des produits chimiques dangereux. »
Testée depuis plus de trois ans, la technologie semble tenir ses promesses : stimulation de la croissance des plantes, renforcement de leur résistance aux maladies, désinfection écologique des semences et du sol, prolongation des périodes de production... « Nos partenaires agricoles sont très enthousiastes à l'égard de ce projet, particulièrement dans le contexte climatique canadien où il offre des solutions efficaces contre les infections fongiques », souligne le chercheur.

Professeur Stephan Reuter, Département de génie physique
Un projet profondément collaboratif
Pour mener à bien cette révolution verte, le Pr Reuter a constitué une équipe pluridisciplinaire impressionnante. En matière d'agriculture, l'innovation technique doit être associée à l'expérience. Des professeurs de génie chimique, civil, électrique et physique de Polytechnique Montréal collaborent avec des chercheurs en agroalimentaire de l'Université Laval et en agronomie de l’Université McGill, ainsi qu’avec l'Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA). « Un langage commun, une compréhension mutuelle et une vision d'ensemble constituent les conditions essentielles à la réussite de ce projet, souligne le Pr Reuter. Le projet s'appuie également sur des partenaires industriels comme Gen-V, un des plus gros producteurs de légumes sous serre au Québec, avec qui un projet-pilote est déjà en cours. »
Le Conseil mohawk d'Akwesasne intervient également comme un partenaire consultatif, rôle que le Pr Reuter considère comme essentiel. Cette technologie représente un espoir pour les communautés isolées ou dépendantes de l'extérieur en leur offrant une solution prometteuse pour développer leur propre autonomie alimentaire.
Des défis à l'échelle industrielle
L'objectif des quatre prochaines années est d'étudier la faisabilité économique du procédé à grande échelle (du laboratoire expérimental vers les serres professionnelles) et de l'adapter aux besoins tant des petites que des moyennes exploitations.
« Le traitement de grands volumes d'eau pour l'hydroponie nécessite des systèmes à la fois puissants et économes en énergie, explique Stephan Reuter. Pour l'eau recyclée en hydroponie, il faut ajuster très précisément les paramètres électriques de nos systèmes plasma pour garantir une qualité microbiologique stable dans toute l'installation. L’utilisation étendue de notre système requiert également une compatibilité avec les réseaux de distribution d'eau et les substrats de culture. »
Pour renforcer encore son équipe, le Pr Reuter recrute activement des doctorants et postdoctorants passionnés par le développement d'une agriculture plus propre et durable.