
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Énergies durables : une place au soleil pour toutes les communautés?

Carole Brunet, chercheuse postdoctorale au Département de mathématiques et génie industriel.(Photo : Avril Franco)
Propre, inépuisable, bon marché, le solaire semble cocher toutes les cases de la source énergétique de l’avenir. Sans surprise, les projets d’installations solaires sont dans la ligne de mire de nombreux pays : ceux qui veulent s’électrifier et ceux qui visent la carboneutralité, comme le Canada. Mais les populations qui accueillent les installations sur leurs territoires en récoltent-elles toujours les fruits espérés? La réponse n’est pas évidente, observe Carole Brunet, chercheuse postdoctorale au Département de mathématiques et de génie industriel, spécialisée dans l’analyse des impacts des énergies renouvelables sur les communautés.
UNE APPROCHE DE SCIENCES SOCIALES INTÉGRÉE À LA VISION DU GÉNIE
Chercheuse de terrain, Carole Brunet réalise des enquêtes dans diverses communautés du monde directement touchées par l’implantation de technologies d’énergie durables. Les informations recueillies lui permettent de développer des outils d’évaluation de durabilité. « L’originalité de mon travail est d’associer des méthodes qualitatives aux méthodes quantitatives habituelles en génie. J’interviewe les gens qui vivent en première ligne les changements apportés par la technologie. Je peux étudier de près les interactions sociales, capter aussi les non-dits, et parfois lire le langage corporel souvent révélateur. »
ENQUÊTES EN AFRIQUE
Durant son doctorat réalisé sous la codirection du Pr Oumarou Savadogo, du Département de génie chimique, du Pr Pierre Baptiste, du Département de mathématiques et de génie industriel, et du Pr Michel A. Bouchard, du Département des génies civil, géologique et des mines, Mme Brunet s’est rendue dans six pays africains afin d’explorer les retombées de l’exploitation de centrales photovoltaïques en matière de lutte contre les changements climatiques, ainsi que leurs effets sur la croissance et le bien-être des habitants.
Ses études de cas lui ont permis de produire une grille d’analyse approfondie des impacts sur les plans local, régional, national et international, ainsi que de définir un indice de durabilité spécifique aux centrales photovoltaïques connectées au réseau électrique. Son analyse révèle que ces centrales pourtant récentes n’ont qu’un impact limité sur le développement durable et la réduction de la pauvreté, surtout pour les communautés locales, même si les situations peuvent différer d’un pays à l’autre.
Carole Brunet évoque une série de facteurs négatifs sur les plans économiques et sociaux : « Les centrales versent peu de redevances locales, elles n’ont pas créé autant d’emplois permanents de qualité qu'attendus et elles n’ont pas non plus eu d’impact sur la formation de personnel qualifié dans les pays visités, sauf au Burkina Faso. De plus, comme les centrales sont raccordées aux réseaux électriques des centres urbains, les zones rurales ne profitent pas des bienfaits de l’électrification. C’est un peu comme si on avait posé un gâteau interdit devant des gens qui ont faim. »
Elle mentionne également la confiscation des terrains agricoles ou des pâturages pour accueillir les installations. La sécurité alimentaire des populations rurales s’en retrouve menacée. L’entretien des centrales peut aussi accaparer l’eau disponible, obligeant parfois les villageois à parcourir de longues distances pour accéder à une ressource hydrique.
« JUSTE DES PANNEAUX QUI REGARDENT LE CIEL »
Mme Brunet souligne que, de manière générale, les promoteurs n’ont pas toujours accordé assez d’attention à l’acceptabilité sociale de leurs projets d’installation de centrales. Il aurait fallu davantage d’efforts de consultation des communautés afin de comprendre leurs besoins réels et leur vision de ces projets. C’est ainsi que pour certaines populations négligées, les installations sont « juste des panneaux qui regardent le ciel », selon le maire d’un village au Sénégal qu'elle a interviewé.
« Au Rwanda, j’ai toutefois vu un cas enthousiasmant, mentionne-t-elle. Le projet d’installation de la centrale a intégré une véritable approche de durabilité, en instaurant un dialogue avec les communautés. Pour entretenir la centrale, du personnel tournant est embauché dans un village différent chaque mois. Des efforts sont faits pour recruter des femmes et elles reçoivent des salaires équivalents à ceux des hommes. »
ÉTUDIER LES IMPACTS SUR LES COMMUNAUTÉS AUTOCHTONES
Carole Brunet oriente aujourd’hui sa recherche vers les communautés autochtones, notamment celles du Canada. Le pays vise en effet, d’ici 2035, la création d’un réseau électrique carboneutre incorporant entre autres l’énergie solaire et implique les communautés autochtones dans les projets.
« Le Canada entreprend avec ces communautés une démarche de financement proactive, c’est louable, constate la chercheuse. Mais aboutir à une transition énergétique inclusive nécessite de poser certaines questions, par exemple : quelle est la vision des communautés autochtones? Se pourrait-il qu’il y ait des effets non prévus? Quels seront les impacts sur le bien-être des femmes? »
Un élément-clé de son travail sera d’étudier comment intégrer les savoirs autochtones dans l’évaluation environnementale et sociale des technologies solaires. « Cette intégration nécessite d’être à l’écoute de la vision du monde des Autochtones et de comprendre comment ceux-ci abordent leurs enjeux sociaux, économiques et culturels. Une telle démarche suppose un dialogue continu, à instaurer dès la phase de conception des projets de création de centrales. Elle requiert également de s’engager vers une recherche collaborative en considérant d’autres paradigmes de connaissances. »