
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Changement des normes en cours de projet : ce qu’il faut savoir

Tout ingénieur devant gérer un projet peut à l’occasion être confronté à un changement normatif ou règlementaire ayant une influence importante sur la continuation du projet et sur ses coûts.
Comment les tribunaux au Québec ont-ils défini les obligations des ingénieurs face à ce type de changement ? Que devrait faire un ingénieur lorsque, au moment de la conception d’un immeuble, les normes applicables édictent une certaine façon de calculer ou de construire alors qu’au moment de la construction ces normes ont changé ? Dans ce cas, il est fort probable que les nouveaux critères de conception soient plus stricts, ce qui impliquera vraisemblablement des modifications coûteuses et potentiellement une prolongation imprévue du projet.
La Cour d’appel du Québec a, dans la décision Clouâtre c. Factory Mutual Insurance Company, 2011 QCCA 1699, énoncé les critères qui s’appliquent en l’espèce. Ce litige faisait suite à l’effondrement de la structure d’un entrepôt dû à des charges de neige et débattait de l’application des versions de 1990 et de 1995 du Code national du bâtiment. Ces deux codes énonçaient une méthodologie différente pour calculer les charges de neige sur ce type de toit, le code de 1995 étant plus strict que celui de 1990. Bien que le code de 1995 ait été publié, et donc disponible, il n’était pas officiellement en vigueur à titre de loi au Québec au moment de la conception de l’entrepôt. Les ingénieurs ont conçu l’entrepôt en se fiant uniquement au code de 1990 en vigueur à l’époque.
Dans son analyse, la Cour d’appel conclut qu’un ingénieur prudent aurait dû utiliser le Code national du bâtiment de 1995, puisque, quand bien même il n’était pas encore en vigueur, il avait été publié et était disponible. Ainsi, le principe de la Cour d’appel établit que l’obligation de l’ingénieur prudent ne se limite pas au respect des normes et des lois en vigueur au moment de la conception d’un ouvrage, mais bien également au respect de celles publiées ou qui pourraient être en vigueur au moment de sa construction. Cette décision a créé un important précédent selon lequel les ingénieurs doivent se tenir en tout temps informés des changements aux règles de l’art, notamment des publications des nouveaux codes et normes, qui s’appliquent à leur domaine. Dans le présent cas, la responsabilité civile personnelle des ingénieurs a été retenue par la Cour d’appel. Cette interprétation offerte par la Cour d’appel va dans le même sens que les obligations prévues à l’article 3.02.05 du Code de déontologie des ingénieurs qui prévoient que l’ingénieur doit informer le plus tôt possible son client de toute erreur préjudiciable et difficilement réparable qu’il a commise dans l’exécution de son mandat.
Au surplus, ce principe énoncé par la Cour d’appel doit être interprété avec les dispositions du Code civil du Québec, notamment l’article 2118 qui crée une obligation solidaire entre l’entrepreneur, l’architecte et l’ingénieur lorsque la perte d’un ouvrage survient dans les cinq ans suivant la fin des travaux. De plus, il importe de noter une obligation supplémentaire de garantie contre les malfaçons prévue à l’article 2120 pour l’ingénieur qui a supervisé ou dirigé les travaux.
Au regard de ce qui précède, nous invitons les ingénieurs à redoubler de prudence et à se tenir informés de tout changement règlementaire ou normatif pouvant survenir en cours de conception ou de projet. De plus, il convient que les ingénieurs respectent leur obligation d’informer leur client d’un tel changement, afin que des mesures appropriées puissent être mises en oeuvre, le cas échéant.