
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Au clair de la Lune, transmettre l’énergie
L’imminence des prochaines missions Artemis de la NASA rapproche l’humanité de la réalisation de son vieux rêve de coloniser la Lune. Toutefois, le succès de l’ambitieux programme Artemis dépendra en grande partie de la capacité à alimenter en énergie les systèmes, les robots nécessaires et les installations des futures bases lunaires.
« Étant donné les conditions extrêmes du milieu lunaire, il n’est guère envisageable de déployer un réseau physique de câbles sur la surface de la Lune pour réaliser son électrification. Les systèmes de transmission sans fil se présentent donc comme des solutions de rechange », indique la Pre Güneş Karabulut Kurt, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les nouvelles frontières en communication spatiale. Cette chercheuse au Département de génie électrique est membre et cofondatrice d’Astrolith, l’unité de recherche transdisciplinaire du génie des ressources et des infrastructures spatiales récemment lancée à Polytechnique Montréal. Dans le contexte de ses projets spatiaux, elle explore les possibilités et les limites de la transmission optique d’énergie par faisceaux laser, ainsi que de la transmission par radiofréquences.

De gauche à droite : Mohamed Naqbi, étudiant à la maîtrise en génie aérospatial; Sébastien Loranger, professeur adjoint au Département de génie électrique; Güneş Karabulut Kurt, professeure agrégée au Département de génie électrique et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les nouvelles frontières en communication spatiale; Bariş Dönmez, étudiant au doctorat en génie électrique.
Signaux laser et poussières trouble-fête
La transmission d'énergie par laser consiste à utiliser l'électricité fournie par une source (par exemple, panneaux photovoltaïques, réacteurs nucléaires ou batteries) pour générer un faisceau laser concentré, lequel est ensuite dirigé à travers l’espace libre vers un point distant, où il est capté et converti en énergie électrique. Cette méthode, dite FSO (pour Free Space Optics), permet d’acheminer de l'énergie sur de longues distances, avec un débit de données élevé et une latence relativement faible. De plus, elle n’est pas sensible aux interférences électromagnétiques. Elle offre, en outre, l’avantage de la flexibilité, en fournissant une connectivité là où elle est nécessaire, sans nécessité de maintenir une infrastructure de transmission permanente.
« Cependant, il reste beaucoup d’inconnues. Nous ignorons notamment si les poussières électrostatiques présentes dans l’exosphère lunaire et chargées par le Soleil ne risqueraient pas de créer des perturbations dans la transmission du signal et donc nuire à son efficacité », modère la Pre Karabulut Kurt, dont l’équipe étudie ces impacts en collaboration avec le Pr Sébastien Loranger, expert en applications spatiales de l'optique et photonique au Département de génie électrique, ainsi qu’avec Mohamed Naqbi, étudiant à la maîtrise en génie aérospatial.
Transmission par les ondes
La transmission sans fil de l’énergie sur la Lune par le déploiement d’un système d’antennes radiofréquences est l’autre voie étudiée par Güneş Karabulut Kurt. Cela consiste à moduler l’énergie générée par une source en signaux radiofréquences, grâce à des dispositifs émetteurs. Propagés dans l'espace lunaire, ces signaux sont ensuite captés et convertis en énergie utilisable à l'aide de dispositifs de réception spéciaux. L’énergie pourrait ainsi alimenter des équipements ou être redistribuée vers d'autres endroits, selon les besoins.
La méthode risque moins d’être compromise par les poussières lunaires, mais d’autres conditions peuvent générer des pertes énergétiques. « La scintillation solaire, notamment, est forte sur la Lune. Elle peut créer des interférences avec les radiofréquences entraînant des pertes de signal et une distorsion de la transmission, de même qu’elle peut affaiblir l’efficacité de la conversion », mentionne la professeure, qui développe des solutions pour minimiser ces pertes. « Que ce soit par cette méthode ou la méthode FSO, nous cherchons aussi à découvrir les limites de distance dans lesquelles on peut transmettre l’énergie », précise-t-elle.
Rêver du futur
Le caractère extrêmement novateur des projets dirigés par la Pre Karabulut Kurt a le potentiel d’attirer une nombreuse relève étudiante, d’autant que ces projets pourront également trouver des applications terrestres, telles que l’alimentation électrique d’équipements et les communications dans des zones éloignées ou difficiles d'accès.
« C’est une chance exceptionnelle de participer à l’aventure spatiale au sein d’Astrolith, souligne Mme Karabulut Kurt. Notre collaboration étroite avec l’industrie nous permet de saisir ses défis, alors qu’en même temps, le fait d’être à l’université permet de rêver davantage et d’oser explorer des solutions nouvelles. »