
Le Magazine de Polytechnique Montréal
Approches de gestion hybrides
Grand dossier Chaînes d'approvisionnement: des hics et des solutions

Pre Maha Ben Ali, du Département de mathématiques et de génie industriel. Photo : Magenta Photo
« En face d’un environnement d’affaires de plus en plus complexe, incertain et volatil, les gestionnaires éprouvent des difficultés grandissantes à trouver un compromis entre deux modes de gestion : le mode en flux poussé, où les plans d’approvisionnement, de production et de ventes sont pilotés par les prévisions de la demande; le mode en flux tiré, où les activités ne se déclenchent que lorsque le client exprime son besoin avec une commande ferme, permettant ainsi de réduire considérablement les coûts logistiques », observe la Pre Maha Ben Ali, du Département de mathématiques et de génie industriel, une experte en gestion de la demande ainsi qu’en simulation et pilotage des systèmes de production et des systèmes logistiques.
RECHERCHE DE COMPROMIS
En flux poussé, maintenir des stocks à chaque étape du processus de production permet de répondre à la demande des clients dans des délais acceptables et d’atténuer les impacts des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement. « Ce mode de gestion présume toutefois que les prévisions de la demande soient faites avec un haut niveau de précision, ce qui est difficile à atteindre vu le grand nombre d’intervenants dans la chaîne logistique et la complexité des nomenclatures des produits, explique la Pre Ben Ali. Bien que l’entreprise dispose d’un avantage concurrentiel grâce à des délais de livraison réduits, ce mode de gestion risque de générer des coûts d’entreposage importants et des stocks non consommés. De plus, le stockage n’est pas toujours envisageable compte tenu les limites de capacité des sites logistiques. »
Produire à flux tiré pourrait nuire à la satisfaction de la demande des clients en cas de manque de coordination parfaite entre les différents acteurs de la chaîne logistique. « La moindre perturbation non anticipée pourrait avoir des effets dévastateurs pour l’entreprise, comme des ventes perdues en raison de délais d’attente excessifs, ainsi que des retards de livraison plus ou moins importants, particulièrement si l’approvisionnement auprès des fournisseurs se fait également en mode juste-à-temps. Les contraintes propres à chaque entreprise et le niveau d’attente de ses clients pourraient amener les gestionnaires à établir un compromis entre les deux approches de gestion », souligne Mme Ben Ali, dont plusieurs projets de recherche visent le développement d’approches hybrides. « L’idée est d’identifier les informations pertinentes parmi toutes celles partagées le long de la chaîne logistique, et de les exploiter pour assurer une meilleure performance, en tenant compte des besoins spécifiques du partenaire industriel. »
MISE À L’ÉPREUVE DE LA MÉTHODE DDMRP
Parmi les méthodes de gestion hybrides, les travaux de recherche récents de la Pre Ben Ali s’intéressent à la méthode dite « DDMRP » (Demand Driven Material Requirements Planning) dans différents contextes industriels. Cette nouvelle méthode permet d’intégrer le pilotage à flux tiré au mode de planification classique en flux poussé, dans le but d’assurer une certaine sécurité pour les produits et les composants critiques. Elle repose sur des stocks tampons pilotés par la demande réelle en produits ou en composants critiques à certains points de contrôle de la chaîne d’approvisionnement ainsi ajustés selon la demande réelle et non la demande prévue, ce qui permet d’atténuer l’impact de la distorsion de l’information sur la demande tout le long de la chaîne d’approvisionnement.
« Avec l’équipe de recherche Poly-DDMRP, nous cherchons à développer une preuve de concept de l’efficacité de cette méthode dans des industries aux chaînes logistiques complexes, comme l’industrie du bois d’oeuvre ou l’industrie dermocosmétique. Le positionnement des stocks tampons pilotés en DDMRP dans la chaîne d’approvisionnement, ainsi que le paramétrage et le dimensionnement de ces stocks sont des questions de recherche ouvertes auxquelles nous souhaitons répondre », explique Maha Ben Ali.
MEILLEURES TRANSPARENCE ET VISIBILITÉ
La plupart des entreprises manufacturières disposent d’un réseau logistique complexe impliquant un grand nombre d’acteurs (usines, fournisseurs, soustraitants, etc.). Chacun possède un processus de gestion des opérations et des outils de planification et d’apprentissage qui lui sont propres. Aujourd’hui, des données granulaires sont capturées tout au long de la chaîne d’approvisionnement, on peut donc parler de chaîne d’approvisionnement intelligente. Plus de transparence et une meilleure visibilité à l’échelle de la chaîne d’approvisionnement sont maintenant obtenues grâce aux outils technologiques, comme les objets intelligents et connectés, qui permettent un accès en temps réel à l’information tout le long de la chaîne d’approvisionnement.
« La simulation, l’optimisation et l’apprentissage automatique rendent possible la valorisation des données collectées dans les différents silos internes et externes à l’entreprise. Transformer les données en informations pertinentes assure une meilleure prise de décision. Les industriels seront en mesure de réagir plus efficacement et plus rapidement, malgré la dispersion géographique de leurs fournisseurs et de leurs clients. Ils pourront ainsi satisfaire des marchés qui sont de plus en plus exigeants », déclare la Pre Ben Ali.
JUMEAU NUMÉRIQUE
« L’idéal serait d’avoir une représentation virtuelle globale de la chaîne logistique, ce qu’on appelle un "jumeau numérique". Alimenté par des flux de données continus provenant de diverses sources, le jumeau numérique se distingue d’un simple modèle de simulation par sa capacité à interroger et analyser les données pour simuler des scénarios pertinents. Les parties prenantes pourraient s’en servir pour faire des analyses prédictives et prescriptives, soit pour comparer différentes stratégies, anticiper l’impact des événements imprévus et réagir pro-activement aux changements. Toutefois, à ce jour, l’usage des jumeaux numériques n’est pas encore assez répandu vu la nature complexe des réseaux logistiques. »