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Transformer des tresses... en bâtons de hockey


Maissaloun El-Jakl, étudiante au doctorat au laboratoire de Pr Louis Laberge Lebel, développe une partie du procédé de tressage et de pultrusion permettant de fabriquer en série le manche de bâtons de hockey en composite. (Photo : Martin Primeau)
Tresser des bâtons de hockey? Voilà le projet ambitieux de Louis Laberge Lebel, professeur agrégé au Département de génie mécanique à Polytechnique Montréal. En jumelant une tresseuse industrielle à une pultrudeuse, son équipe et lui comptent fabriquer en série des manches de bâtons de hockey faits de matériaux composites… et jeter les bases d’une nouvelle industrie au Québec.
Février 2020. En Chine, l’apparition du SARS-CoV-2, le virus causant la COVID-19, bouscule plusieurs chaînes d’approvisionnement. C’est le cas de celle des bâtons de hockey fabriqués en matériaux composites. La fermeture là-bas des usines de Bauer et de CCM laisse planer l’ombre d’une pénurie de bâtons de hockey haut de gamme en Amérique du Nord. Même les joueurs de la Ligue nationale de hockey (LNH) commencent à s’inquiéter.
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De ce côté de la planète, Louis Laberge Lebel a le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Le professeur au Département de génie mécanique à Polytechnique Montréal vient de recevoir un courriel fort attendu de la part du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG). L’organisme subventionnaire, conjointement avec PRIMA Québec, lui donne son « go » pour démarrer un projet ambitieux : celui de développer un nouveau procédé de fabrication de bâtons de hockey en matériaux composites.
Pourquoi chercher une alternative à une façon de faire déjà mise à l’épreuve? Parce que fabriquer un manche de bâton de hockey en composite thermodurcissable n’a rien de très simple à l’heure actuelle. Chaque pièce prend sa forme par moulage après avoir été écrasée contre les parois d’un moule par une vessie gonflable, puis chauffée à une température avoisinant les 125 degrés Celsius. « C’est un travail qui est très difficile physiquement pour les travailleurs », explique Pr Lebel. « En plus, plusieurs étapes doivent être réalisées à la main. »
Mais l’ancien ingénieur de chez Bombardier et Pratt & Whitney pense avoir une alternative à proposer d’ici quelques années aux fabricants de bâtons de hockey. Une alternative permettant d’automatiser la fabrication des manches par un procédé qui a fait ses preuves dans le secteur de l’automobile et de l’aéronautique et qu’on connait sous le nom de « pultrusion ».
Coup d'oeil sur... La pultrusion |
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Contraction du verbe anglais « tirer » (to pull) et du procédé de fabrication « extrusion », le mot pultrusion désigne un procédé de fabrication où un matériau est tiré à travers une série de filières afin d’adopter une forme désirée. Le procédé existe depuis les années 1950. Il a d’abord servi à la fabrication de longues pièces comme des tubes et des profilés en métal ou en fibre de verre, puis plus récemment, en matériaux composites. « Le grand avantage de la pultrusion, c’est de permettre une fabrication en continu », explique Pr Laberge Lebel. « On pourrait presque laisser l’appareil fonctionner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 », ajoute-t-il. « Tout ce qu’il faut faire, c’est couper le morceau une fois qu’on obtient la taille désirée. » Cette technique est notamment utilisée pour fabriquer des poutres structurelles en fibre de verre ou en matériaux composites. Un exemple? Les échelles destinées aux électriciens : leurs montants en fibre de verre sont bien souvent fabriqués par pultrusion. |
Tirer des tresses
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Sur papier, utiliser la pultrusion pour fabriquer des manches en composites tombe sous le sens. Mais lorsqu’on s’attarde aux détails du procédé, on comprend que la route pour y arriver est encore très longue.
Avant de prendre forme sous l’action de la pultrudeuse, le bâton devra d’abord être tressé en amont. Les fils de carbone seront combinés à d’autres à base d’une résine thermoplastique pour former un fil hybride qui servira à tresser. Ces tresses seront ensuite chauffées juste après qu’elles aient adopté la forme d’un tube rectangulaire. Et ce ne sont là que quelques-unes des étapes.
L’équipe du Pr Laberge Lebel jumèlera bientôt une tresseuse industrielle et sa pultrudeuse dans ses installations d’Anjou. Une fois l’opération terminée débutera le vrai travail d’optimisation des différentes étapes. Un processus qui s’annonce long compte tenu de la quantité de paramètres à optimiser.
« Si on souhaite produire en continu, il faut s’attarder à chaque détail », explique Pr Laberge Lebel. « On doit être capable de produire les manches rapidement, mais sans faire de compromis sur la qualité du produit. »
Quelle combinaison de fils de verre, de fils de carbone et de fils de polymère privilégier? Comment les intégrer dans une tresse pour fabriquer des manches à la fois flexibles et résistants? Comment amener la tresse tubulaire à former un tube rectangulaire uniforme? Quel angle de tressage doit-on sélectionner?
Voilà seulement quelques-unes des questions auxquelles s’attardent déjà quatre étudiantes et étudiants aux cycles supérieurs et un stagiaire postdoctoral qui se consacrent à temps plein au projet. Un autre étudiant ou une autre étudiante devrait éventuellement s’ajouter au groupe (Pr Laberge Lebel attend d’ailleurs votre CV, si le projet vous intéresse). Parce que des paramètres à fixer, il y en a largement plus que l'on compte de joueurs dans l’alignement d’une équipe de hockey.
Maissaloun El-Jakl s’attarde d’ailleurs à un autre critère important. L’étudiante au doctorat a pour mission d’identifier quels matériaux à faible empreinte carbone sont à privilégier. Elle doit surtout développer une façon de les combiner pour produire des bâtons de hockey. Un processus pas si simple.
« On souhaite enduire les fils avec un polymère thermoplastique qui pourra être réparé ou recyclé », explique Mme El-Jakl. « Le problème, c’est que ce type de matériau est très visqueux, et il faut trouver une façon d’imprégner les fils pour qu’ils soient recouverts de façon uniforme. »

Félix Lessard, étudiant au doctorat, testera bientôt un procédé de son cru pour fabriquer par pultrusion la pièce d’un siège passager destiné à l’industrie aéronautique. (Photo : Martin Primeau)
DES BÂTONS conçus... Au québec |
![]() Le projet piloté par l’équipe de Pr Louis Laberge Lebel pourrait conduire à la création d’un écosystème de fabrication de bâtons de hockey en matériaux composites au Québec. Le fabricant Bauer Canada de Blainville est d’ailleurs déjà impliqué dans le projet, tout comme le spécialiste Pultrusion Technique de Saint-Bruno-de-Montarville et le concepteur sherbrookois de textiles composites FilSpec. |
En savoir plus
Fiche d'expertise du professeur Louis Laberge Lebel
Site du Département de génie mécanique
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