Carrefour de l'actualité

Des éponges microscopiques pour capturer l’eau de l’air

28 septembre 2021 - Source : BLOGUE

 


Le traitement par pyrolyse de ces billes de résine génère des centaines de pores capables de capturer l’eau de l’atmosphère. (PHOTO : Ind.Eng.Chem.Res.)

 

Dans son laboratoire du Département de génie chimique, Jason R. Tavares peaufine un matériau qui se retrouvera très bientôt au cœur d’une technologie donnant accès à de l’eau potable. Une technologie qui extirpe l’eau de l’air de façon passive, et à faible coût.

L’année 2021 n’a pas été épargnée par les événements de météo extrême. Un peu partout sur la planète, des régions ont à nouveau atteint des records de température, mais aussi cumulé les journées sans pluie. Ça a été le cas en Californie et dans l’Ouest canadien, mais aussi au Brésil et à Madagascar, pour ne parler que de ces cas, forçant les autorités à rationner l’eau.

Au Canada, certaines communautés autochtones vivent aussi des difficultés d’approvisionnement en eau potable. L’absence de système d’épuration dans les villages force les habitants de ces communautés à faire bouillir leur eau quotidiennement et à dépendre d’approvisionnements périodiques et coûteux en eau potable.

C’est en pensant au sort de ces populations que Jason R. Tavares, professeur titulaire au Département de génie chimique à Polytechnique Montréal, a entrepris avec ses collaborateurs de développer une solution à la fois économique et peu énergivore pour capturer l’eau présente dans l’air. Une solution qui emprunte la voie de la capillarité et qui, sur papier, pourrait conduire à une technologie de 60 à 80 % moins énergivore que les déshumidificateurs conventionnels.

Coup d'oeil sur... La capillarité

Les molécules d’eau mouillent la surface du verre en raison de leur tension de surface – la même tension qui fait en sorte qu’une goutte d’eau prend la forme d’une sphère – menant à la formation d’un ménisque sur son pourtour. L’attrait « électrostatique » des molécules d’eau pour la silice du verre joue aussi un rôle. (PHOTO : PRHaney sous lisence CC BY-SA 3.0)

La vapeur d’eau se condense naturellement lorsque la température de l’air tombe en dessous du point de rosée. C’est ce qui provoque l’apparition de gouttelettes d’eau sur la végétation à la tombée du jour l’été. C’est aussi le principe qui rend efficaces les déshumidificateurs et climatiseurs. La voie empruntée par Pr Tavares est toutefois différente. Elle s’inspire plutôt de ces sachets remplis de mystérieuses perles – du gel de silice - que l’on cache dans les boîtes à chaussures pour les garder au sec. Un matériau qui capture l’eau par capillarité grâce aux nombreux pores qui tapissent la surface des perles.

Comment ça fonctionne? Pour bien comprendre, il faut d’abord savoir que les molécules d’eau sont bipolaires et comportent un pôle négatif et un autre positif. En s’associant les uns aux autres, ces pôles permettent de stabiliser les molécules d’eau. Celles laissées en surface ont toutefois moins de partenaires avec lesquels danser. Lorsqu’il y en a un qui se présente, elles se dirigent vers lui pour stabiliser leurs forces. On assiste d’ailleurs au phénomène dans un simple verre d’eau : un ménisque se forme sur le pourtour du verre, la silice du verre offrant elle aussi des pôles électrostatiques qui stabilisent les molécules d’eau.

Dans le cas du gel de silice, tout le phénomène prend place à l’intérieur des nanopores. Un film de molécules d’eau se forme sur toutes les surfaces du matériau. À l’intérieur du canal que constitue un nanopore, ces surfaces se rapprochent à certains endroits, conduisant les molécules d’eau à se regrouper… et à créer de l’eau sous forme liquide.


Des éponges nanoporeuses de carbone

Le procédé de pyrolyse, qui implique de chauffer un matériau en absence d’oxygène, crée des nanopores dans la résine de résorcinol-formaldéhyde. Ici, le avant/après du procédé. (PHOTO : Laboratoire du Pr Tavares)

L’équipe de Polytechnique Montréal, en collaboration avec une autre de McGill, a identifié un matériau prometteur en 2017 pour effectuer ce travail. Un matériau peu coûteux à synthétiser et dont la porosité peut être ajustée selon les paramètres de fabrication : une résine de résorcinol-formaldéhyde - une colle à base de carbone - ayant subi un traitement de pyrolyse. Les chercheurs lui ont donné le petit nom d’éponge nanoporeuse, abrégé par les lettres NPS en anglais.

Le NPS capte l’eau atmosphérique comme le font les perles de gel de silice, mais à une différence bien précise, souligne l’ingénieur en génie chimique. « Le problème avec les gels de silice, c’est qu’il faut les chauffer beaucoup pour récupérer l’eau qui y a été emprisonnée », explique celui qui agit aussi à titre de directeur du Laboratoire d’ingénierie photochimique des surfaces (LIPS). « Notre objectif, c’est de proposer une solution qui nécessite juste ce qu’il faut de chaleur. On pense y arriver en créant des pores suffisamment petits, qui sont inférieurs à 2,2 nm de diamètre, pour que le processus d’absorption-désorption de l’eau devienne réversible, avec des requis minimes d’énergie. »

Son équipe travaille présentement à identifier les paramètres optimaux pour que les billes de NPS capturent l’eau avec efficacité dans des conditions de faible humidité relative, tout en permettant d’extraire l’eau absorbée avec un minimum d’énergie. Taille des pores, traitement de surface, répartition des billes dans un volume, etc. : plusieurs critères sont à évaluer.

« Depuis le début, on garde en tête qu’il faudra mettre à l’échelle notre procédé de fabrication, et qu’il devra être peu coûteux », indique Pr Tavares. Certains matériaux du genre, les metal organic framework-based systems (MOFs), peuvent être fabriqués avec une précision digne d’un scalpel, selon lui, mais ils sont coûteux et longs à fabriquer. « Certains prennent jusqu’à deux semaines », affirme-t-il. « Dans notre cas, on souhaite développer un procédé de fabrication rapide, qui repose sur des technologies matures, afin d’obtenir un produit à la fois à la hauteur de la tâche à effectuer et accessible pour les communautés dans le besoin. »

L’équipe a atteint cette année des jalons importants qu’elle a présenté dans un article publié en août dernier dans la revue scientifique Industrial & Engineering Chemistry Research. Elle y démontre d’une part comment son procédé de fabrication du NPS pourrait rapidement être amené à une échelle industrielle, produisant 10 000 fois plus de matériel que par le passé. Le groupe a aussi doublé la capacité absorbante du matériau par un simple traitement de surface qui permet aux billes d’absorber l’équivalent de 28 % de leur poids en eau tout en conservant leurs propriétés au fil des cycles de capture et de relargage de l’eau.

Ces travaux ont fait l’objet d’une demande de brevet avec comme inventeur principal le stagiaire postdoctoral Ulrich Legrand.

Des communautés autochtones Comme Bêta-testeurs

Pr Jason R. Tavares et Ulrich Legrand (Photo: Polytechnique Montréal)

Une fois la phase d’optimisation terminée, l’équipe de Polytechnique entend assembler le premier de plusieurs prototypes misant sur le NPS pour capter l’eau atmosphérique. Pr Tavares se donne pour objectif d’y arriver d’ici la fin de l’année 2022.

« On veut construire des générations successives de prototypes capables de capter de 1 à 10 litres d’eau par jour », explique-t-il.

Ceux-ci seront testés sur le terrain dans des communautés autochtones. Un travail effectué en collaboration avec un partenaire industriel, l’entreprise Awn Nanotech de Richard Boudreault (aussi professeur associé à Polytechnique Montréal), ainsi que les Pr Pierre-Luc Girard-Lauriault et Jean-Luc Meunier, affiliés à l’Université McGill, et les Pr Françoise Bichai, Michel R. Wertheimer et Émilie Bédard, de Polytechnique Montréal.

En savoir plus

Fiche d'expertise du professeur Jason Robert Tavares
Site du Laboratoire d’ingénierie photochimique des surfaces (LIPS)
Site du Département de génie chimique

Commentaires

Commenter

* champs obligatoire

À lire aussi

4 avril 2025
Magazine Poly

Jamais trop poreux

7 avril 2020
Magazine Poly

Eau potable et changements climatiques : régime sec pour nos villes ?

Mots-clés