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Chirurgie du cancer : une sonde pour améliorer le pronostic en cancer du cerveau et du sein

Une intelligence artificielle (IA) a été associée à cette sonde de spectroscopie Raman développée à Polytechnique Montréal pour révéler quatre biomarqueurs qui pourraient rendre cet outil indispensable dans les salles d'opération pour bien circonscrire les tumeurs. (Photo : Reveal Surgical et Exclaro-Tridan)
Une sonde chirurgicale développée à Polytechnique Montréal est en voie de prendre sa place dans les blocs opératoires de la planète. L’équipe derrière celle-ci vient de publier trois articles qui révèlent tout le potentiel de son approche pour déceler le contour d’une tumeur durant une chirurgie, et ce, pour différents types de cancer. Une avancée qu’on doit notamment à une intelligence artificielle (IA).
Retirer une tumeur solide représente un défi de taille pour les chirurgiens. Ceux-ci doivent enlever l’ensemble des cellules cancéreuses pour assurer un bon pronostic aux patientes et patients, sans pour autant retirer des tissus sains qui ont leur propre fonction. Or, les techniques actuelles utilisées lors des chirurgies conduisent à un taux de succès mitigé qui contraint bon nombre de personnes à retourner sur la table d’opération voire subir des traitements additionnels de radiothérapie. Mais une solution toute québécoise est en voie de prendre sa place dans les blocs opératoires de la planète.
L’équipe de Frédéric Leblond, professeur au département de génie physique à Polytechnique Montréal et chercheur au Centre de recherche de Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM), développe depuis quelques années une sonde chirurgicale basée sur la spectroscopie Raman. Développée et testée en collaboration avec le neurochirurgien Kevin Petrecca de McGill, elle a vite révélé tout son potentiel. Le magazine Québec Science en a d’ailleurs fait se Découverte scientifique de l’année en 2017.
Il restait toutefois à perfectionner l’outil de manière à le rendre compatible avec les standards de l’industrie des dispositifs médicaux et à mener des études sur des cohortes de patients plus imposantes pour démontrer son utilité en prévision d’une soumission aux instances règlementaires. Et c’est maintenant chose faite.
Vers une étude pivot de phase III pour la chirurgie du cerveau

Dr Kevin Petrecca et Frédéric Leblond (Photo : Caroline Perron)
Dans un article publié le 10 juin dernier dans la revue scientifique Scientific Reports de la prestigieuse famille de journaux Nature, l’équipe du professeur Leblond a dévoilé les résultats d’une étude multicentrique effectuée avec 67 patients. Celle-ci a permis d’évaluer l'efficacité de la sonde Raman pour circonscrire les tumeurs cérébrales pendant une intervention chirurgicale. Autre percée majeure de l’étude: Elle a révélé de nouveaux biomarqueurs – c’est-à-dire des phénomènes moléculaires indiquant la présence d’une maladie – qui sont communs à tous les types de cancers du cerveau, incluant les métastases au cerveau, les méningiomes ainsi que les glioblastomes et les autres gliomes.
« C’est la plus grosse étude du genre à avoir été effectuée et la découverte récente de marqueurs diagnostiques possiblement communs à tous les cancers du cerveau augmente énormément le nombre de patients pour lesquels l’outil pourra être utilisé », confie le professeur Frédéric Leblond qui a co-signé l’étude avec le Dr Kevin Petrecca et le Dr Constantinos Hadjipanayis, affilié au University of Pittsburgh Medical Center.
Dans le cadre de cette étude, les chirurgiens ont d’abord analysé des tissus avec la sonde Raman directement dans la boite crânienne de leurs patients. Ces tissus ont ensuite été prélevés pour être analysés en laboratoire par des pathologistes avec une méthode diagnostique traditionnelle, l’histologie. Les résultats obtenus par les deux approches ont ensuite été comparés avec la contribution d’une IA pour cerner dans le flot de données Raman celles qui permettaient le mieux de distinguer un tissu sain d’un tissu comportant des cellules cancéreuses.
Cette assistance d’une IA est d’une grande aide dans les circonstances. C’est que la spectroscopie Raman présente ses résultats sous la forme de spectres, des graphiques contenant des centaines de biomarqueurs potentiels où s’alignent des pics et des vallons. L’œil d’un néophyte ne s’y retrouve pas. Mais celui d’une IA, oui. Le travail a permis de révéler quatre biomarqueurs – des régions spécifiques du spectre – où la signature des cellules cancéreuses se distingue de celle des cellules saines.
« On peut maintenant envisager des résultats encore plus précis par la sonde », explique Frédéric Leblond. « Puisque que seulement quatre régions, et non le spectre au complet, sont nécessaires afin de détecter les tumeurs durant la chirurgie, il est maintenant possible – en développant une IA qui utilise l’information biologique associée à l’entièreté du spectre – de développer des applications permettant, par exemple, de prévoir la réponse d’un patient à un traitement en se basant sur la nature génétique de sa maladie. » L’équipe du professeur Leblond a d’ailleurs récemment amorcé une étude clinique panquébécoise financée par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) visant à détecter des mutations génétiques spécifiques durant la chirurgie chez les enfants atteints d’épilepsie et de cancers du cerveau. L’étude implique des neurochirurgiens de l’Hôpital de Montréal pour enfants, du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (CHUSJ) et du Centre hospitalier universitaire de Québec (CHU Québec).
Et il y a encore mieux. De récentes données suggèrent que les nouveaux biomarqueurs ne se limitent pas qu’aux tissus de cerveaux humains. Dans un article à paraître d’ici quelques jours dans Journal of Biophotonics, le groupe de recherche révèle que les biomarqueurs découverts sont communs à plusieurs types de cancer : ceux du cerveau, du sein, du poumon et des ovaires. « Le potentiel est vraiment intéressant et pourrait avoir un impact majeur sur la qualité des soins prodigués aux patients atteints de ces types de cancers », indique avec enthousiasme le chercheur.
Pendant que différentes applications de la sonde commercialisée sous le nom SENTINELLE seront développées, le groupe prévoit mener une étude pivot de phase III d’un an, qui a été planifiée de concert avec la U.S. Food and Drug Administration (FDA) ainsi que les entreprises Reveal Surgical et Exclaro-Tridan. Ces entreprises associées au groupe du Professeur Leblond impliquent des équipes d’industriels chevronnés dans la commercialisation d’instruments médicaux et sont dirigées par Alexandre Triquet, président et directeur général. « L’étape est cruciale afin de fournir les données nécessaires aux autorités réglementaires pour que l’outil puisse être rapidement commercialisé et utilisé dans les salles d’opérations », précise-t-il.
Des avancées prometteuses en cancer du sein
Si la sonde Raman est déjà remplie de promesses pour améliorer le pronostic des patientes et patients qui subissent une chirurgie du cerveau en raison d’une tumeur, il en va de même pour celles touchées par un cancer du sein.
Dans un article paru en ligne le 6 juin dernier sur le site du Journal of Biomedical Optics, l’équipe du professeur Frédéric Leblond, en collaboration avec des chirurgiens du Centre universitaire de santé McGill, a démontré comment son outil pourrait accélérer le travail des chirurgiens tout en limitant la fréquence des récidives lors de chirurgies mammaires conservatrices.
Contrairement à la mastectomie où l’ensemble de la glande mammaire est retiré, la chirurgie mammaire conservatrice vise à retirer strictement le tissu cancéreux, ce qui vient avec un risque, confie le chercheur. « Dans environ 30 % des cas, il faut retourner les patientes sur la table d’opération parce qu’on découvre en analysant l’échantillon prélevé durant la chirurgie que des cellules cancéreuses sont toujours présentes, dit-il. Avec la sonde, on peut analyser les échantillons pendant la procédure et donc éviter à plusieurs patientes de retourner en chirurgie. »
Pour donner suite à la révélation de cette preuve de concept sur une vingtaine de patientes, le groupe réalisera une étude clinique dès l’automne 2024 sur une cohorte de patientes plus imposante pour valider ses prétentions en préparation pour des essais cliniques. L’étude sera réalisée à l’aide d’un dispositif médical nouvellement développé en partenariat avec les compagnies Reveal Surgical et Exclaro-Tridan qui consiste en une plateforme robotique permettant à la sonde SENTINELLE de produire des images complètes d’échantillons mammaires.
la spectroscopie raman... pour les nuls |
[![]() Exemple d'un spectre de dispersion Raman pour le tétrachlorométhane (Crédit : wikipedia CC BY-SA 1.0) La sonde SENTINELLE de l’équipe de Polytechnique Montréal mise sur la spectroscopie Raman, une approche basée sur la dispersion de la lumière provenant d’un laser lorsque celle-ci rencontre un échantillon. Les patrons de dispersion de la lumière dépendent des molécules rencontrées. Comme chacune offre une signature qui lui est propre, la technique permet de révéler le contenu d’un échantillon. Appliquée au cancer, l’approche permet de discerner la « signature spectrale » d’un tissu cancéreux de celle d’un tissu sain en raison notamment de son contenu en protéines et en lipides qui diffère. |
En savoir plus
Fiche d’expertise du professeur Frédéric Leblond
Site du Département de génie physique
Site du Centre de recherche du CHUM (CRCHUM)
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